Chronique du lundi 21 juin 2011.
A un peu plus d’un an de la Coupe du Monde 2011 organisée sur leurs terres, les All Blacks ne semblent pas dominer le monde du rugby comme ils le faisaient pour les éditions précédentes. Est-ce une bonne nouvelle pour eux, alors que le statut de grand favori ne leur a jamais réussi ? Ou est ce à dire que cette équipe ne sera pas à la hauteur de l’évènement ? Tentative d’explication…
Une excellente équipe sans énorme point fort ?
Là où l’Afrique du Sud présente une présence physique hors norme, où l’Australie propose une ligne de trois-quarts à la précision chirurgicale, la Nouvelle-Zélande possède actuellement une équipe qui est, bien sûr, excellente mais qui ne présente pas le points forts qui donne un avantage avant même de rentrer sur le terrain. Quand on regarde la 1ère mi-temps face au Pays de Galles ce week-end, on peut voir que leur mêlée tient la route, la touche est bien organisée, la troisième ligne colle plutôt au ballon, la densité physique et l’organisation défensive suffisante pour faire reculer l’adversaire, la charnière tente d’accélérer le jeu et d’alterner vis-à-vis de la défense, le jeu de passe des trois-quarts est bien au dessus de la moyenne et la vitesse sur les extérieurs bonne. De quoi être un entraîneur satisfaisait quand on est capable de proposer une telle addition de compétences. Mais de quoi être champion du Monde 2011 ? Sur cette 1ère mi-temps face aux Gallois, j’en doute. Par contre, sur ce que j’ai vu sur la 2ième partie de ce même match, il y a des éléments qui laissent penser que rien n’est perdu pour les All Blacks même si le compte n’y est pas encore.
La force des All Blacks aujourd’hui, c’est la capacité de certains joueurs à hausser leur niveau de jeu bien au-delà des autres pour faire la différence. C’est exactement ce qu’a réussi Dan Carter contre le Pays de Galles avec, notamment, un 2ième essai où il a rappelé à tout le monde qu’il pouvait être intouchable sur un terrain de rugby. Le fait d’avoir des joueurs capable de faire basculer les rencontres est, bien sûr, un élément incontournable pour rendre une équipe intouchable. Mais est ce que les All Blacks ont, à ce niveau, un avantage sur leurs adversaires ? Au poste d’ouvreur, les Australiens ont Cooper et Giteau qui semblent avoir une capacité à créer et à faire la différence sur leurs qualités seules, par contre les Sud-Africains n’ont pas l’équivalent même si François Steyn revenait en grâce. En Europe, Toby Flood, Stephen Jones, Jonathan Sexton et François Trinh-Duc restent un degré en dessous même si ces joueurs sont d’excellentes rampes de lancement quand leur pack avance.
Mais est-ce qu’une équipe ne peut reposer que sur un seul joueur ? Les All Blacks ont eu les amères expériences de 1999, avec Jonah Lomu, et 2007 avec Carter blessé lors du quart de finale contre la France pour savoir que la réponse est négative. C’est là où il est important de regarder l’ossature complète de cette équipe pour mesurer ses chances.
L’équipe type est loin d’être complète :
Je ne sais pas si Graham Henry est persuadé de connaître son équipe type susceptible d’attaquer la Coupe du Monde mais moi, en ce qui me concerne, j’ai l’impression qu’il y a des morceaux qui manquent. Or, à un peu plus d’un an du début de la compétition, le temps presse. Les Tri-Nations qui s’annoncent vont avoir un rôle primordial pour le destin néo-zélandais car, après, il ne restera plus beaucoup de matchs pour solidifier cette équipe type en termes de repères communs. Et le basculement entre une équipe bonne partout et une avec un ou plusieurs points forts, qui la rendent réellement supérieure, doit se faire dans les semaines qui viennent pour que cette équipe puisse attaquer sa préparation à la Coupe du Monde avec les garanties suffisantes.
Voyons où le bât blesse pour le moment. Commençons par la mêlée. Celle-ci semble correcte avec les frères Franks mais rien de plus. Tony Woodcock reste l’un des meilleurs gauchers du monde mais l’ombre de Carl Heyman plane encore sur cette équipe. Ce n’est certainement pas un hasard si la fédération sur les conseils de Graham Henry a tenté de récupérer son pilier droit. Je pense que, pour l’intérêt national du rugby néo-zélandais, la fédération devrait tenter la même manoeuvre en 2011 et essayer de récupérer son joueur le temps de la compétition et de la préparation. De toute façon les tentatives pour empêcher les meilleurs joueurs de partir en Europe ne sont pas réellement un succès. Alors autant adapter le règlement le temps d’une compétition qui revêt une importance supra nationale. En ce qui concerne le talonneur, les All Blacks ne sont pas, là-aussi, excessivement riches. Pour faire un parallèle, je dirai qu’avec Mealamu, ils possèdent leur Szarzewski mais qu’il manque un Servat. Et quand on voit l’apport de celui-ci dans la qualité de la mêlée française, les néo-zélandais peuvent continuer à chercher un 2ième talonneur, plus axé sur la puissance, comme l’était Oliver.
La touche néo-zélandaise est une belle machine, bien sûr, mais il lui manque une tour de contrôle qui ferait de l’ombre à tous ses adversaires. Je ne l’ai pas vu sur le terrain contre le Pays de Galles jusqu’à la…57ième minutes et l’entrée de Sam Whitelock. Ce seconde ligne mesure plus de 2m et présente un physique à la Matfield qui pourrait en faire la perle rare. Le problème, c’est que ce joueur n’a que 21 ans et le temps est compté pour en faire, à l’image du Sud Africain, une référence mondiale. Son utilisation dans le prochain Tri-Nations va, à ce sujet, être décisive. Il faut qu’il s’impose et je crois qu’il a les qualités physiques pour le faire. Son apport créerait alors une sacré différence et l’alignement néo-zélandais ne serait plus regardé de la même façon par les adversaires.
Au niveau de la troisième-ligne, il y a, bien sûr, Richie McCaw, l’autre joyau de la couronne. Même si les nouvelles adaptations des règles semblent jouer en sa défaveur, ce joueur reste incontournable dans l’organisation de l’équipe et la capacité de réagir face à n’importe quelle situation. A ces côtés, c’est plutôt le flou. Entre Reid, Kaino, Thompson et autre Vito personne ne s’est encore imposé et l’équilibre idéal est loin d’être trouvé. Là aussi la question de faire revenir un joueur Européen, Chris Masoe en l’occurrence, peut se poser. Elle est moins fondamentale que pour Heyman mais, au vu des performances du joueur Castrais, il peut apporter quelque chose à cette équipe.
La charnière reste un sujet sensible. Entre Dan Carter, qui n’a pas de suppléant du niveau de Nick Evans en 2007, et Cowan qui semble s’imposer mais à encore des progrès à faire notamment sur sa capacité à coller au ballon où qu’il se trouve sur le terrain, ce pourrait être l’endroit le plus fragile du squad. Au centre, les All Black ne possèdent pas encore de paire incontournable même si l’association Smith Nonu semble tenir la corde.Néanmoins, maintenant, avec Conrad Smith l’équipe possède un joueur cadre qui est en train de s’imposer comme une référence mondiale. A ses côtés, il est plus facile de bâtir et la richesse du réservoir devrait permettre de trouver des solutions.
Le trident arrière est depuis longtemps le point fort de l’équipe avec des joueurs aussi fort en termes de vitesse que de capacité à se créer des espaces pour faire la différence. Josevata Rokocoko reste la référence mais qui derrière lui ? Malili Mulaina est blessé et aura 31 ans l’an prochain. S’il revient à son meilleur niveau il reste un cadre incontournable sinon, et c’est ce que fait actuellement Graham Henry, il faudra s’appuyer sur la jeune ( trop jeune ? ) génération. Est ce que ces joueurs, avec de formidables qualités, auront suffisamment de temps pour s’aguerrir au plus haut niveau et surtout, est ce que ces joueurs seront capables de résister à la pression de tout un pays au moment de l’épreuve ?
La jurisprudence équipe de France 2007 ?
La dernière inconnue concerne la capacité des All Blacks à jouer le rôle de favori et leur capacité à supporter la pression qu’ils vont subir pendant les mois qui précèdent et surtout le mois et demi de compétition. L’équipe de France de 2007 a prouvé que l’élément extérieur pouvait avoir un rôle négatif important. L’avantage que possède cette équipe, c’est qu’en ne survolant pas le rugby mondial actuellement, l’équipe néo-zélandaise s’enlève une pression qui n’aurait fait que monter à l’approche de la compétition. Si la Nouvelle Zélande n’est qu’un outsider parmi d’autres et que le grand favori reste l’Afrique du Sud, il sera plus facile pour Graham Henry et ses joueurs de gérer la situation.
Le fait aussi que l’entraîneur doit s’appuyer sur une nouvelle génération de joueurs, jeunes donc insouciant, peut permettre d’apporter une bouffée d’air frais qui compensera celui plus irrespirable de joueurs qui se savent jouer la dernière grande compétition de leur carrière. Comme toujours, tout est question d’équilibre et un squad qui joue la complémentarité entre expérience et jeunesse peut, peut être, être le squad gagnant pour Graham Henry…