Etat chronique de poésie 921

921

Entre deux voix tonitruantes de fin de repas familiaux, il ne pouvait que cacher ce qui l’habitait.

Dans le silence d’une maison où tout le monde dormait du sommeil du juste, il se bâtissait une vie d’où le sommeil, peu à peu s’absentait.

Car il ne restait, déjà que ces temps volés à la nuit pour être qui il était.

Alors, s’entrechoquaient les scènes de violence et de douceur, les amours impossibles et les rêves fous. Et toujours la musique le hantait.

La lumière à peine éteinte, il oscillait entre gratitude et rancœur.

Il revivait l’espace d’un instant ces scènes où deux mains noires venaient le détourner de l’objectif qu’il s’était fixé.

Leur puissance n’avait d’égale que les violentes secousses qui le tiraient du sommeil où il aurait aimé plonger.

Puis venait la plénitude d’un instant de grâce : il jouait de sa flûte, seul, au milieu d’une chorale qui l’avait refusé pour sa mue non stabilisée. Il était ces notes égrenées dans le silence d’un public recueilli. Il volait avec elle vers les poutres du plafond. Il s’envolait vers les étoiles qui lui faisaient une petite place en leur sein de tendresse.

Il lui fallait ce juste retour pour enfin trouver le repos.

Le reste n’était que vocation ravalée, non dits, et étouffement.

*

Des yeux amusés regardaient par-dessus mon épaule tandis que je jetais ces mots, sur le clavier, posé sur une tablette étroite.

Jeunes yeux de douce beauté qui tentaient parfois de s’assoupir mais craignaient de voir tête tomber sur épaule de l’inconnu.

Alors, elle se retenait, se tournait et se retournait.

Elle appelait père et mère à la rescousse d’un retard de train, combinait quelque festivité avec le petit copain, perdu quelque part dans la nuit.

Parfois, nos regards se croisaient. Mon texte s’était effacé par un pur caprice informatique. Elle avait remarqué mon manège visant à le retrouver dans le ventre d’un appareil mystérieux.

Plus tard, alors que nous approchions de ces lieux capitaux qui étaient notre destination, elle s’est retournée, sac à bout de bras et guitare à l’épaule. Musicienne ! Comme le hasard faisait bien les choses !

*

Lui, là-bas, dans sa chambre de solitude, il se plongeait avec délectation dans Gilbert Cesbron. Il dévorait « C’est Mozart qu’on assassine ».

Il était le meurtrier, le bourreau et la victime.

Et, toujours, dans cette solitude qui ne le quitterait plus, il serait ces notes envolées dans un ciel toujours plus profond.

Une lourde larme roulait sur ses joues fatiguées d’adolescent perdu. Il savait qu’ici un germe était enraciné qui le conduirait à errer longtemps, de l’image d’un père qui dit non, à celui d’un fils brisé. Toute sa vie serait alourdie de ce boulet.

*

Toi, légère et aérienne

Ta guitare en bandoulière

Tu te jettes sur un quai de lumière

Au cou d’un père qui t’accueille

Fier de ta beauté

.

La vie est tapie en de vains secrets

Tout éclate au grand jour des cœurs qui se rencontrent

.

Paris, 8 mai 2010

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