Général Marcel Bigeard : le dernier vieux "con" pétri d’amour pour la France

Publié le 18 juin 2010 par Sylvainrakotoarison

Parachutiste sous la Seconde guerre mondiale, Diên Biên Phu, Alger… Marcel Bigeard, promis à une sage carrière d’employé de banque modèle, est devenu l’exemple type du maréchal d’Empire, proche de ses soldats et portant attention à leurs conditions de vie, subtil dans la tactique et audacieux dans l’action et dans l’expression. Une sorte de général romain très heureux de ses triomphes après la bataille.

Il n’aurait pas aimé mieux : tirer sa révérence un jour anniversaire de l’appel du 18 juin, et pas n’importe lequel, le soixante-dixième anniversaire, lourd de symboles et l’une des dernières grandes commémorations en présence des derniers acteurs.
Le général Marcel Bigeard est mort à 94 ans ce vendredi matin du 18 juin 2010 à Toul. Il avait été hospitalisé quelques jours à Nancy au mois de mai pour insuffisance cardiaque et aussi au mois de mars.
Gloire et bravoure
Bigeard, tout le monde le connaît, c’est sans doute le militaire le plus célèbre de France, et aussi le plus décoré.
Fils de cheminot, il est né cinq semaines avant Pierre Messmer, le 14 février 1916, en pleine guerre à Toul, en Lorraine, la même année que François Mitterrand.
Son ambition n’était pas militaire mais de progresser chez son employeur, la Société Générale depuis l’âge de quinze ans, avec pour optique d’être directeur d’agence à Nancy ou à Verdun.
Il a commencé dans l’armée comme simple deuxième classe en septembre 1936 à Haguenau et il a pris sa retraite en 1976 comme général de corps d’armée (quatre étoiles) après avoir vaillamment combattu dans trois guerres. Handicapé de ne pas avoir été formé à Saint-Cyr, il compensa grâce à une exceptionnelle intuition, une volonté de vaincre à toute épreuve et en le faisant savoir, une audace folle et parfois de mémorables colères.
Une carrière militaire héroïque
Il termina son service national en septembre 1938 mais fut remobilisé le 22 mars 1939 toujours au 23e régiment d’infanterie de forteresse (RIF) dans l’optique d’une déclaration de guerre.
Il combattit pendant la guerre en Alsace, puis, après une détention en Allemagne (juin 1940 à novembre 1941), il parvint à s’évader et s’engagea dans la résistance, notamment au Sénégal puis chez les parachutistes. Il finit la guerre en juin 1945 avec le grade de capitaine.
D’octobre 1945 à septembre 1954, Bigeard effectua trois missions de combats en Indochine et fut un héros de la bataille de Diên Biên Phu le 16 mars 1954, ce qui lui valu le grade de lieutenant-colonel.
D’octobre 1955 à janvier 1960, Bigeard s’engagea en Algérie où il fut blessé grièvement le 16 juin 1956, ce qui amena le Président René Coty à le décorer personnellement un mois plus tard. Devenu colonel, il fut nommé par le général De Gaulle à la tête de quinze mille hommes à la fin de l’été 1959 mais fut écarté après n’avoir pas respecté son devoir de réserve.
Son implication dans la torture pendant la guerre d’Algérie n’a jamais été clairement établie et plutôt niée par lui-même malgré certaines accusations même s’il en a justifié la nécessité (il a parlé du « mal nécessaire » des « interrogatoires musclés »).
Après ses missions en Algérie, Bigeard poursuivit sa carrière en République Centrafricaine, puis à Paris, à Pau, à Toulouse, puis, devenu général, à Dakar, à Paris, à Tananarive, où il organisa l’évacuation des forces françaises de Madagascar le 31 juillet 1973 après des troubles qui se ponctuèrent par la démission du Président malgache Philibert Tsiranana qui laissa place au général Gabriel Ramanantsoa.
Ensuite, il termina sa brillante carrière militaire d’abord à Paris puis comme commandant de la 4e Région militaire à Bordeaux, supervisant quarante mille hommes.
Un homme politique giscardien en Lorraine
Du 31 janvier 1975 au 4 août 1976, Valéry Giscard d’Estaing nomma le général Bigeard Secrétaire d’État à la Défense auprès du Ministre de la Défense Yvon Bourges dans le gouvernement de Jacques Chirac.
En mars 1978, Valéry Giscard d’Estaing lui demanda de remplacer la candidate UDF décédée dans la circonscription de Toul, en Meurthe-et-Moselle (celle de l’actuelle secrétaire d’État Nadine Morano). Bigeard fut ainsi député UDF de Meurthe-et-Moselle de mars 1978 à juin 1988, réélu en juin 1981 puis en mars 1986 (au scrutin proportionnel dans une liste UDF qu’il mena aux côtés du maire de Nancy et futur ministre André Rossinot), mais il échoua en juin 1988 de très peu face à son concurrent socialiste.
Il présida la commission de la défense à l’Assemblée Nationale durant son premier mandat de 1978 à 1981.
Pour l’anecdote qui montre que l’époque giscardienne, malgré l’affaire des diamants, était très éloignée d’aujourd’hui concernant le train de vie des ministres, lorsque Valéry Giscard d’Estaing se déplaçait en Lorraine, le général Bigeard l’hébergeait pour la nuit en lui cédant sa propre chambre.
Vingt ans de retraite pour écrire ses souvenirs et réflexions
Après 1988, le général Bigeard resta dans sa retraite à Toul, rédigeant quelques livres (seize au total) et s’exprimant dans les médias sur les sujets d’actualité qui l’intéressaient.
Son franc-parler, son ton gouailleur propre à tous les militaires, avec quelques gros mots (« Je suis le dernier con glorieux ») laissaient apercevoir son amour pour la patrie et sa grande amertume en voyant la grandeur de la France s’éclipser.
Parmi les bons mots de Marcel Bigeard :
- « Bigeard n’a jamais obéi qu’à Bigeard. »
- « Face à une situation, il n’y a que deux solutions : celle de l’École de guerre et la bonne. »
- « Je n’accepte plus les médailles car elles commencent à me tomber sur les chaussures. »
- À propos des socialistes en 1981 : « S’ils sont la rose, je suis leur épine. »
- « Arlette Laguiller ? Il faudrait la marier à un para ! »
- « Ma vie, c’est une histoire trop rapide. La guerre, la gloriole. J’ai aimé ça, quoi. »
- « Je vais casser ma pipe et je ne serai pas mécontent. Car j’ai trop aimé la France pour accepter ce qu’elle est devenue. »
La ville de Toul aura déjà célébré le vieux général de son vivant en attribuant son nom à l’une des grandes avenues de la périphérie inaugurée en présence de son ami Valéry Giscard d’Estaing.
Bigeard était déjà entré dans la légende de son vivant.
Le voici qui s’inscrit dans la grande lignée de l’histoire militaire de la France.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (18 juin 2010)

Pour aller plus loin :

Dépêches sur la disparition du général Bigeard.


http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/general-marcel-bigeard-le-dernier-77124

http://www.lepost.fr/article/2010/06/19/2120776_general-marcel-bigeard-le-dernier-vieux-con-petri-d-amour-pour-la-france.html