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Estive Numérique / Digital Peak

Publié le 19 juin 2010 par Uscan
Reproduction de l'éditorial de Jean-Noël Montagné qui présente dans ce texte bien ficelé le premier opus du festival Estive Numérique. Autogestion, solutions locales, technique au service de l'homme, convivalité. Un programme passionnant, et riche de projets innovants.

http://www.estivenumerique.org/about


Estive Numérique ? Digital peak ?

Ces deux noms d’un même événement transportent une bonne partie des sujets qui vont animer ces 6 jours de rencontres.

L’Estive est une des traditions les plus anciennes depuis les apparitions du pastoralisme et de l’agriculture, quelques poignées de milliers d’années. Alors que le “Monde Numérique” d’une ultra-minorité d’habitants de la planète s’agglutine sur le Temps Réel, sur la satisfaction instantanée du présent, d’autres n’ont pas oublié le cycle des saisons, la prégnance de la nature, la prévision des activités de subsistance sur des cycles lents.

Au moment où la Côte d’Azur vibre de crème solaire et de fureur de vivre, il est singulier de rechercher le calme de la montagne, l’exotisme d’un ciel dégagé et pur. L’arrière pays de la Côte d’Azur est un havre de paix et de beauté, comme le sont tous les endroits qui ne subissent pas les dictatures de la chronocratie.

Estive Numérique / Digital Peak

Ces terrains difficiles à exploiter, gagnés sur les montagnes à près de 2000 m d’altitude, sont occupés depuis la période antique. Dans ces zones enclavées des vallées du Cians et du Haut Var, on vivait quasi autarciquement, aucun chemin ne permettant un passage facile vers la Côte en hiver. Cette situation a perduré jusqu’au début du XXème siècle. Comme dans tout contexte similaire dans le monde, les habitants ont développé des formes d’autonomie alimentaire et matérielle, mais aussi de solidarité, de prise en compte des réalités sociales, technologiques et environnementales qui sont le fruit d’une longue évolution. Si la plupart de ces règles sont aujourd’hui oubliées, elles trouvent leur résonnance dans les réalités du monde actuel.

Dépendance

Paradoxalement, nos routes, nos mers et nos canaux sont des plus ouverts, mais nous sommes dépendants des réseaux de distribution d’énergie, des réseaux de communication et surtout des réseaux de transport d’alimentation et de biens. Notre nourriture et nos objets sont souvent fabriqués à l’autre bout du monde. Ces réseaux sont d’une incroyable fragilité. Ils reposent sur les postulats que l’énergie continue à être abondante, que le climat soit clément et que la situation économique & politique reste suffisament stable. Ces trois piliers sont bien fissurés:

  • L’exploitation du pétrole entame sa phase descendante, alors que la demande mondiale croît, notamment grâce à l’explosion économique de l’Inde et de la Chine. Nous vivons donc les dernières années de cette manne qui a détruit notre biotope en quelques décennies. Nous sommes dans le Peak Oil. La quasi totalité de notre consommation alimentaire et de notre consommation de biens dépend des transports routiers, ainsi que notre agriculture ou notre industrie.
  • Malgré les catastrophiques événements climatiques de cette dernière décennie, le climat est pour l’instant modérément affecté par le siècle de pollutions que nous continuons à poursuivre. Mais les spécialistes nous mettent en garde depuis longtemps contre les effets d’emballement (par exemple: l’élévation de quelques dixièmes de degrés fait relâcher des milliards de tonnes de gaz à effet de serre actuellement stockés dans les sols ou les mers, ce qui précipite le réchauffement). De l’avis de tous, le climat sera de plus en plus instable, imprévisible et violent. Sans rentrer dans les polémiques climatiques, on constate simplement que les prévisions faites il y a dix ans ont été enfoncées.
  • Le troisième point de fragilité de nos sociétés est issu de la dominance économique ou militaire de pouvoirs qui n’ont que faire et ne savent que faire de la masse grandissante d’humains désoeuvrés sur la planète. Le contrôle des individus et de leurs activités par ces pouvoirs est en train de vaincre les formes d’auto-contrôle que sont les règles démocratiques, les dialogues politiques et sociaux que nos sociétés ont mis près de 200 ans à mettre en place. Ces pouvoirs sont inquiets. La raison est simple: de grandes migrations économiques ou climatiques sont en gestation. Crise économique, crise climatique = crise alimentaire, crise politique, crise sanitaire. La terre, réelle et virtuelle, se hérisse de murs de séparation entre riches et pauvres, de contraintes au déplacement, de sécurisation à outrance. L’évolution politique de la majorité des pays riches et pauvres, à l’exception de quelques niches démocratiques, est plutôt en chemin vers le conservatisme, le renfermement, l’exacerbation des valeurs communautaristes au détriment des valeurs universelles.

Digital Peak

Pour occulter la réalité, on donne au riche l’illusion de la vitesse, et la plongée dans le virtuel. Toutes ces technologies qui vont toujours plus vite, plus complexément, plus ergonomiquement, mais qui sont immangeables. Au pauvre, on donne l’illusion de la richesse rapide, par la télévision, les jeux, le téléphone portable. De nouvelles chaînes.

A tous, on donne des outils suffisament puissants pour résoudre les grands problèmes de l’humanité. Même au fin fond de la planète, il y a un microprocesseur qui vous attend dans une poche ou un pagne. Nous avons ces outils formidables, Design-és et marketés par les pouvoirs économiques, destinés à être jetés avant d’avoir été utiles. La durée de vie d’un objet numérique diminue constamment. L’objet est poubéllisé si vite, que l’on peut prétendre à une autre échelle temporelle qu’on nous vends des déchets. Sommes-nous arrivés à un pic numérique ?

Pendant ce temps

Ce tableau réaliste est à confronter aux discrètes avancées créatives des artistes, des penseurs, des acteurs de terrain, des activistes et des hackers, de tous ceux qui croient que l’humain contient de l’intelligence inexploitée:

A la concentration des pouvoirs, les communautés créatives proposent les petites communautés de décision, dans une échelle fractale. A la concentration de la production industrielle, les communautés du libre proposent les micro-fabriques autonomes, l’artisanat numérique, la réhabilitation des savoirs locaux, la promotion des matériels libres et des logiciels libres. A la concentration et au contrôle de l’information et de la connaissance, les communautés créatives ré-inventent les systèmes de partage, de diffusion, d’organisation de contenus, les réseaux maillés. A la concentration de la production énergétique, les éco-innovateurs proposent des systèmes de petite taille, en énergies renouvelables, à réseau partagé, à micro-stockage. En agriculture, à la concentration et au nivellement des monocultures, les nouveaux paysans proposent les variétés locales, la vente directe et la biodiversité.

Les exemples admirables ne manquent pas. Tous sont fonctionnels. Tous sont discrets dans les médias, car ils ne sont pas valorisables, du point de vue de l’économie actuelle. Ils ne sont pas reproductibles à l’échelle d’un système centralisé. Ils ne peuvent engraisser les comptes des multinationales et de leurs actionnaires, ceux-là même qui ont souvent pris le pouvoir sur les forces politiques et médiatiques.

Utopie ou réalité ?

Certains objectent qu’il s’agit d’utopie, de bricolage, d’improvisation, qu’il n’y a pas d’avenir pour ces principes ? bien au contraire: tout autour du monde, dans des zones parfois excentrées, mais également au coeur de zones urbaines, ces nouveaux processus sont en usage, sont en développement, se reproduisent et s’adaptent à leur contexte. Ils démontrent que la prise en charge de la société par les habitants eux-même fonctionne. Ils démontrent aussi que l’autonomie de décision, que la liberté de communication, dans un système de partage et d’échange de biens matériels et immatériels, est prépondérante pour répondre aux problématiques économiques, sociales ou environnementales. Ce n’est rien de plus que la recomposition de formes d’autonomie et d’autarcie à l’heure des réseaux.

Dans cette formidable aventure, les artistes, les activistes, les chercheurs, les enseignants, les communautés des logiciels libres, des matériels libres, des ressources libres, les penseurs, les agitateurs, les hackers (bidouilleurs, en anglais) sont les moteurs de l’évolution. Majoritairement actifs dans des réseaux de pensée et d’action locaux ET internationaux, ils inventent les nouvelles formes de partage, de créativité, de conscience collective qui vont nous permettre de vivre humainement dans des temps agités.

Cette autarcie virale en réseau maillé est-elle un nouveau modèle pour l’humanité ou l’expression des peurs de l’avenir ? nous en parlerons sûrement au cours de nos débats, le soir, sous les étoiles, une fois le dernier ordinateur en panne de batterie…

Bon été.

Jean-Noël Montagné / 4 mai 2010


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