Robert Heinlein
The Moon is a Harsh Mistress
La Lune est devenu le pénitencier de la Terre. Dans les colonies souterraines vivent les exilés et leurs enfants, nés libres, également soumis aux exigences de leurs maîtres qui, sur une planète surpeuplée, les exploitent honteusement. Sur Luna, l'eau, rare et dispendieuse, risque de disparaître à terme si le produit des récoltes, chichement rétribué, continue à être expédié sur Terre sans renvoyer en retour de quoi pérenniser les cultures... Métaphore des pays industrialisés exploitant plus pauvres qu'eux, le roman raconte une révolution orchestrée par un groupe refusant le joug. Placé bien involontairement à leur tête, Manuel O'Kelly, technicien informatique, a l'avantage de nouer des liens privilégiés avec Mike, l'ordinateur de la planète, qui n'a révélé qu'à lui son éveil à la conscience. Sans son aide efficiente, les efforts du trio comprenant, outre O'Kelly, le professeur La Paz et la passionaria Wyoming Knott, auraient été voués à l'échec.
La première partie est un véritable manuel du parfait agitateur délivrant les recettes pour faire parler de sa cause. La seconde, plus politique, illustre les retorses négociations pour trouver un terrain d'entente entre les deux parties, qui se soldent malgré tout par une guerre ressemblant à l'affrontement de David contre Goliath. Comme souvent chez Heinlein, la trame du récit est assez simpliste et les personnages convenus, mais l'auteur donne toute sa mesure dans la prospective et l'agitation d'idées originales et non conventionnelles. Il donne à voir la naissance d'une société anarchiste et libertaire, prônant la polyandrie. On ne peut qu'admirer, une fois de plus, la dimension prophétique de Heinlein, qui a su anticiper bien des aspects de notre société. Souvent considéré en France comme un fasciste (en raison notamment de Starship Troopers — point de vue que ne semble pas partager la nouvelle génération d'éditeurs, qui réédite à l'heure actuelle Heinlein abondamment : dernier titre en date, Marionnettes humaines chez Folio « SF »), Heinlein ne doit ces critiques qu'à un réalisme pragmatique qui refuse de se laisser leurrer par les bons sentiments. Sa fable sociale est plus subtile qu'il n'y paraît au premier abord. Quarante ans après, ce roman, lauréat du prix Hugo en 67, reste sur bien des points d'une troublante actualité et d'une formidable clairvoyance.Claude Ecken