Le 16 janvier 1961, le correspondant du Times décrivait la situation comme suit :
« L’armée indienne s’est engagée dans les combats aussitôt après les premières attaques de l’organisation clandestine contre l’administration. La stratégie naturelle de l’armée était de tenter d’anéantir les guérillas aussi vite que possible. Les villages soupçonnés d’approvisionner ou de soutenir les forces clandestines étaient gravement punis ou, s’ils persistaient dans leur attitude, rasés et tous leurs habitants transportés dans des centres de détention où ils étaient sous bonne garde. Les forces de la guérilla étaient aussi vigoureusement harcelées. Selon des officiers de l’armée et certains fonctionnaires, ces tactiques finirent par faire ployer les organisations clandestines, et ils se plaignent aujourd’hui qu’on leur ait volé leur victoire et condamnés à une longue et frustrante campagne à cause des penchants « gandhiens » du gouvernement »
C’est à l’aune de cette brève perspective historique que l’on peut comprendre la situation ambiguë de cet Etat indien contre son gré. Le Nagaland est devenu officiellement Etat de l’Union en 1963 et les tensions se sont aujourd’hui apaisées bien que de nombreux groupes rebelles continuent de se battre, le plus souvent entre eux pour d’obscurs jeux de pouvoirs et luttes d’influence.
J’arrive dans un de ces villages, après de longues heures de marche, assailli par une nuée d’enfants lilliputiens piaillant et sautillant. Me pliant à la règle de courtoisie naga, je dois aller me présenter au Angh, au Roi du village. Dans sa maison de bambou, aux milieux des odeurs de graisse et de suie, se mêle le fascinant parfum du passé. Les murs sont couverts de boucliers, de machettes, de lances, de crânes de singe et de becs de toucans, de cornes de cerfs et de dents de tigre, de besaces de chasses en fourrure et de fusils. Si le roi ne règne désormais plus seul puisque les décisions sont prises de concert avec le conseil du village, il conserve toutefois un rôle honorifique et jouit d’un grand prestige. Je suis invité à dîner le soir même et sa famille a cuisiné une gigantesque patte d’ours qu’il a reçu comme tribut. La maison se remplit d’amis, de voisins, de cousins, de petits-enfants, d’arrière-grands-parents et s’anime de rires sonores. Bien que la communication soit difficile, les quelques jeunes parlant un peu anglais m’entourent rapidement pour traduire les questions de l’assemblée. Chacune de mes réponses donne lieu à d’interminables discussions, commentaires, débats, qui se terminent immanquablement en rire collectif. Je n’ai pas le temps de finir mon assiette de riz que déjà on me la remplit, presque de force, de soupe de bambou et de graisse de porc. J’aurai par la suite l’occasion de goûter viande de chien, de rat, d’écureuil et larves grillées.
Au bout d’un mois, il me faut partir ; et je regarde une dernière fois les collines nagas où je fus accueilli avec une hospitalité spontanée et simple, laissant derrière moi les visages aux yeux rieurs, les rides tatouées des grands-mères et les huttes de bambous à flanc de colline.
(article écrit par et photos de Witold)