Equipe de France : race d’Abel, race de Caïn

Publié le 18 juin 2010 par Variae

Voile noir sur la Gaule : l’équipe de France de Raymond La Science a fait naufrage. L’explication ? Ne cherchez plus. Tout s’éclaire et se révèle dans la comparaison entre les glorieux aînés de « France 98 », surreprésentés hier sur le plateau de TF1 pour crucifier Raymond et ses boys, et la méprisable « mosaïque » (© Jean-Michel Larqué) de mercenaires humiliés par le onze zapatiste.

France 98-2000 ? Une bande de copains, des braves gars comme vous et moi, mus par « l’amour du maillot », toujours prêts à se « mettre minables » pour « le collectif », préférant se sacrifier pour une passe décisive, s’illustrer dans le « jeu sans ballon » que tenter seul leur chance devant le but. Une équipe reflétant les terroirs de France, avec son gardien chauve « avé l’accent », son buteur breton (remember Stéphane Guivarc’h ?), son gentil géant noir (le « sage » Desailly), son virtuose beur timide et respectueux avec un surnom aussi charmant qu’un zézaiement d’enfant. Une équipe qui alignait même un Basque sympa (il était marié à Elsa et il faisait du surf) et un fier Canaque. Bon, pas tout à fait catholique puisqu’il boudait la Marseillaise, mais il la boudait par patriotisme néocalédonien, donc par patriotisme, donc finalement ça allait.

« France » 2010 ? L’infamie sur pattes. O tempora, o mores ! Une bande d’enfants pourris-gâtés, des « millionnaires » pensant plus à leur prochaine voiture de sport qu’à « taper dans le ballon », des stipendiaires cyniques qui s’entraînent à huis clos rien que pour faire mal au cœur des gentils supporters qui viennent les voir. A faire pleurer Footix. Une génération banlieue-fric-rap-« baladeur MP3 vissé sur les oreilles », sans moralité, sans repères éthiques, dont la principale préoccupation est de savoir avec quelle starlette ou professionnelle mineure ils tromperont leur top-model siliconé d’épouse. Une sorte, oui, d’anti-France, des pseudo-stars en démonstration sur les pelouses britanniques ou italiennes, qui prennent en sélection nationale la place de bons joueurs humbles et discrets qui végètent injustement dans des clubs de province, forcément plus « sains ». Quand France 98 aimait passer du temps ensemble, « jouer aux cartes » avant les matchs ou « manger un plat de pâtes » entre joueurs et épouses de joueurs, la bande à « Nico » Anelka et « Lascar face » Ribéry montent tout de suite dans leur chambre d’hôtel 5 étoiles « jouer à la Playstation ». Triomphe, en résumé, de l’individualisme, du bling bling, de l’amoralisme, du déracinement … Et puis comment, insinuent même certains, se sentir concerné par cette équipe un peu trop noire pour le pays d’Astérix ?

France 98 contre radeau-menech de la Méduse, race d’Abel contre race de Caïn. Voilà l’analyse qui se répand à longueurs de colonnes et qui ne devrait pas faiblir si les Bleus, comme on peut le craindre, gagnent leur billet de retour pour la France mardi prochain. Une analyse qui a le mérite de la facilité, le mérite, aussi, d’entretenir la légende dorée de la période 1998-2000, cette époque où la France a cru disposer à jamais d’une équipe indestructible, mi-Mannschaft mi-seleçao. Le mérite, enfin, de correspondre exactement au malaise et au spleen d’une France qui ne va pas très bien. Mais il est difficile de ne pas voir combien cette explication socio-économico-culturelle tend à une certaine myopie. Oui, le star-system et le foot-business ont grandement progressé depuis l’ère Jacquet. Mais c’est le cas partout en Europe et dans le monde, et pas seulement en France, sans entraîner pour autant des effondrements sportifs à répétition. Messi, Rooney ou Cristiano Ronaldo ne vivent pas en ascètes ni ne sont payés en médailles en chocolat. Les querelles d’égo existent dans toutes les grandes équipes. Les hôtels de luxe ne sont pas l’apanage de la FFF, mais le reflet du quotidien des vedettes du ballon rond. « Faire main » pour gagner une qualification attire l’opprobre dans notre beau pays, mais on parle pour le même geste de « main de Dieu » ou de « renard des surfaces » dans de grandes nations de football. Quant à France 98, on oublie un peu vite les déboires de 2002 et 2004, on oublie la face sombre de Zidane, on oublie qu’en 2002, déjà, on liait le déclin des Barthez, Lizarazu et autres Desailly à leurs épouses mannequins et à leur trop-plein de pubs et de sponsors. A l’époque, on ne se moquait pas de la coupe de Zaïrois et des tatouages tribaux de Djibril Cissé, on le présentait au contraire comme la saine relève qui allait utilement remplacer les champions repus et sans envie de 98 et 2000. Quant au « j’menfoutisme » des Bleus de 2010, j’ai préféré, à titre personnel, le visage décomposé de Domenech, les larmes de Malouda, la honte d’Evra que le spectacle surréaliste offert en 2004 par un Titi Henry hilare au sortir de l’élimination face à la Grèce, et par la langue de bois débitée sur un ton robotique, le même jour, d’un Santini qui avait annoncé juste avant le début de la compétition son transfert dans le « privé ».

Que l’équipe actuelle ne donne pas vraiment envie, ni n’attire forcément la sympathie, on peut le comprendre et le reconnaître ; que celle d’il y a dix ans ait mérité de finir en vitraux de cathédrale, on peut vraiment en discuter. On peut aussi parallèlement s’interroger sur la lecture sociologisante et manichéenne qui est faite de cet échec qui reste avant tout sportif. En dit-elle plus sur les problèmes réels des Bleus, ou sur les doutes et les crispations de notre pays ? Il y a manifestement une corrélation étonnante entre l’ambiance générale nationale, les résultats de la sélection, et la lecture faite par le pays de ces résultats. Reste à voir dans quel sens fonctionne cette corrélation, si l’équipe de France révèle les problèmes de la France – le Monde a ainsi expliqué que notre sélection nationale était minée par un clivage entre « joueurs de banlieue » et « joueurs de province » – ou si les commentateurs enfiévrés projettent en partie les débats nationaux sur les déficits sportifs et humains de notre équipe. En 1998, écouter du rap était chic, I Am et NTM représentaient la « France qui gagne » en musique, Vincent Hardy racontait sous le regard approbateur de Roger Zabel comment « les quartiers de Marseille » avaient été le théâtre innocent des entraînements du jeune Zidane, inventant « dans la rue » les mouvements qui le rendraient célèbres. Depuis, Villiers-le-Bel, le gang des barbares, « l’enfer des tournantes » sont passés par là. De la célébration des Black-Blanc-Beur on est passé, dans le débat public, à la crainte du repli communautaire, à la France « que l’on aime ou que l’on quitte » (tiens, et « l’amour » du maillot ?), aux racailles basanées que l’on traite à coup de Kärcher, au sarkozysme façon Fouquet’s. D’un certain angélisme à un pessimisme certain. Et de même que l’on avait surinvesti les Bleus de 98 comme symboles de l’intégration et de la République métisse, on rejette aujourd’hui, pas toujours rationnellement, l’ensemble des tares et des peurs de la France de 2010 sur l’échec sportif (incontestable) de la sélection tricolore. Pas sûr, pourtant, que les joueurs d’hier soient si différents de ceux d’aujourd’hui – pas plus, en tout cas, que ne le sont les Espagnols de 2010 de ceux de 1998, tout comme les Allemands, Argentins, et autres formations plus en forme du moment.

Laissons le sport reprendre ses droits, sur le terrain comme dans les commentaires. L’auteur de ce billet ne préjugeant pas de son expertise en la matière, l’analyse s’arrêtera là. On souhaite en tout cas bien du plaisir à Laurent Blanc, gardien du temple de la « génération dorée », pour construire une formule gagnante dans un tel contexte.

Romain Pigenel