Voilà une nouvelle humoristique que j'avais écrite juste pour m'amuser au départ mais que certains ont trouvé "géniale" pour le style comme pour les personnages, la chute et la réflexion sous-jacente. (ce qui, sans fausse modestie, m'avait d'ailleurs étonné)
Alors, je la poste ici, pour en faire profiter ceux qui ne l'ont pas lue et parce que j'aimerais bien trouver un "Jean-Michel" et un caméraman pour qu'on puisse en faire une petite pièce. Je pense que ça peut marcher.
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Jean-Michel
La nuit, la plupart des gens dorment. D'autres baisent. D'autres encore sortent en boîte. Moi, la nuit, j'écris. Enfin, j'essaie.
Seulement, là, c'est le jour. Donc, je ferais mieux de ne pas essayer. Si je vous parle de la nuit, en fait, c'est pour mettre le tout en situation, pour que vous m'imaginiez face à un encrier et une bougie, en train de chercher mon inspiration dans les toiles d'araignée qui pendent au plafond. Vous savez, le vieux cliché à la Poe de l' écrivain maudit nimbé d'un nuage de poussières. Ah, vous n'y avez pas cru ? Merci de me le signaler. Je ferai attention désormais. Se vautrer en racontant sa propre histoire, il y a mieux. Déjà que je me vautre d'habitude. Parce qu'avant, voyez-vous, j'avais de l'ambition. Et dire que j'ai renoncé à tout pour une blonde. Une super banale en plus ! Du genre de celles qu'on trouve dans toutes les grandes surfaces. Mine de rien, ça m'apporte pas mal de sagesse et un début de bide, la blonde. Bientôt, je serai insouciant et heureux. Chouette.
Donc voilà, après avoir tenté de créer un début ambiance, je vais vous amener à la situation initiale, parce qu'il me manque le talent pour faire autrement. On a le pauvre type qui écrit de la merde la nuit. Manque plus que le deuxième perso, un gros lard, et leur lieu de rencontre habituel,
le container de la rue Daerden.
La scène se déroule tous les samedis matin, avec des chats de gouttière aux yeux jaunes pour seuls témoins. D'un côté du container, on a un type avec une panse qui lui tombe sur les genoux, vêtu d'un caleçon violet et d'un t-shirt informe parsemé de tâches de graisse. Il paraît vraiment bonhomme, le bougre. Dans ses poignes, il a les manches d'une brouette joliment rouillée. Lui, c'est Jean-Michel. Ou Jean-Mi pour les intimes. Chaque semaine, il vient jeter ses cannettes. Des demi-litres de Cara pils pour être précis. Paraît qu'il en siffle vingt sur une journée. Je vous laisse compter le nombre de cannettes qu'il balance, le gros tas.
En face de lui, il y a un type en col blanc, les yeux dédoublés par d'affreuses lunettes de banquier. Quelques poils lui poussent encore sur le caillou et de grosses cernes lui maquillent les yeux. Il conduit également une brouette mais remplie de papier froissés. Ca, c'est moi.
J'ai tellement honte de ce que j'écris que je fais disparaître les preuves. C'est devenu un véritable rituel : mon week-end, je le débute en déchargeant mes daubes dans le container au coin de ma rue. Oui, je sais, c'est scandaleux. Faudrait d'ailleurs qu'on me taxe spécialement pour ça, j'avoue. Mais putain, qu'est-ce que ça soulage !
Vous pouvez pas savoir à quel point ça fait un bien fou de se dire qu'on ne peut pas avoir écrit ces daubes puisqu'elles ne sont plus là. De se sentir dans la peau d'un auteur vierge qui s'apprête seulement à coucher ses premiers mots sur papier. C'est dans ces moments-là que j'espère qu'il y ait peut-être bien des petits bouts de génie perdus en moi. D'ailleurs, souvent, dés que je me suis déchargé de mes bafouilles, les chats miaulent et me font des yeux en demi-lune. A moins qu'ils attendent les fonds de cannette de Jean-Mi...
Je sais pas. Laissons planer le doute. C'est plus valorisant pour moi.
Donc ça va, vous retenez ? Au début, il y a un container, des bafouilles, des cannettes de bière et Jean-Mi.
Maintenant, faut que vous sachiez comment c'était entre moi et le gros avant que l'élément perturbateur ne se ramène. Vous savez le truc qui bousille tout et sans lequel il n'y aurait pas d'histoire. Pour faire simple, on pourrait résumer nos relations à quelques échanges de courtoisie. Du style :
- Ca va m'fieu ? qu'il me lançait.
- Ouais, m'fille, que je lui répondais.
Ma réplique était nulle mais ça le faisait rire. Au bout d'un temps, j'ai fini par en savoir pas mal sur son compte, le Jean-Mi. Et sans même le vouloir. Ce type est du genre à ruminer tout seul, vous comprenez.
Voilà, c'est tout pour la situation initiale. Maintenant, il nous faut changer d'ambiance sinon la suite va pas être crédible. Allez, je vous mets un peu de pluie fine et quelques arpèges de piano. Imaginez-moi à présent la tête entre les mains et dites vous que je pleure. On est parti sur le bon gros cliché de l'écrivain dépressif, là.
Pourquoi ? Attendez, je vous donne la raison sinon vous allez pas percuter tout seul. Eh bien en fait, jusqu'à ce jour, mon absence de talent n'était qu'une hypothèse. Puis, il s'est passé quelque chose et c'est devenu une certitude. A cause de quelques mots. Les mots ont une de ces putain de forces, putain. Quelques mots ont complètement anéanti mes milliers de lignes. Et moi avec.
Donc, avant ça, j'avais écrit un court roman tellement naze qu'il en devenait absolument jouissif. Ca s'appelait «Le retour du guerrier». Le héros était un jeunot de quinze piges qui ne jurait que par les jeux vidéos et les mangas. Jusque là, ça va. Par contre, la suite est un peu plus pimentée. Parce que voyez-vous, le gars, après s'être piqué au hasch – ouais, il avait de super grosses veines – eh bien, il a fait un bad trip et il s'est retrouvé à bord d'un avion piraté par des terroristes enturbannés. Ces suppôts de Khomeini étaient venus enlever nos femmes pour en faire des esclaves en Iran ! Alors, avec son sabre laser qui est apparu comme par magie, il les a tous dégommé. A l'aéroport, une dame l'attendait dans un coin : c'était la marquise de Maquignolle qui sollicitait son aide. En effet, des témoins de Jéhovah avaient découvert une mystérieuse relique biblique qui permettrait de pousser l'humanité tout entière au suicide collectif. Notre jeunot a directement capté que les terroristes musulmans voulaient également récupérer cette relique. Donc, la marquise et lui ont uni leurs forces et ont traqué les barbus et les témoins un par un. Mais une malédiction s'est abattu sur notre jeune héros qui s'est retrouvé possédé par l'esprit d'un samouraï revenchard. Tout en poussant des cris en japonais qui ne voulaient strictement rien dire, il s'est mis à décapiter les passants. Heureusement, après, tout finit bien car en baisant la marquise, il revient à lui. Quant aux barbus et aux témoins, ils se retrouvent pris à leur propre piège en se disputant l'objet sacré et donc ils s'entre-suicident tous. Et voilà. Fin.
Donc, oui, c'était le summum de la merde ce roman-là. Le sujet était à la fois complaisant et racoleur, le scénario absurde et la syntaxe se limitait souvent à la juxtaposition d'un sujet, d'un verbe et d'un complément. Mais au moins, c'était drôle si on prenait ça pour une parodie ou si on était vraiment un gros pété du bulbe.
D'abord, le manuscrit a fait le tour des collègues, qui en riaient presque autant que d'une bonne blague salace. Fort de mon succès, j'ai mis mon petit chef d'oeuvre en ligne. Etant modeste, je me suis d'abord orienté vers un simple forum de littérature, destiné aux «jeunes écrivains» qui plus est. Malheureusement, une heure plus tard, un post d'une seule ligne m'annonçait qu' «il y a de la bonne merde mais que ça, c'est de la chiasse bien grasse qui parvient difficilement à se moquer des autres formes de merde puisqu'elle est encore plus liquide.». L'auteur avait juste laissé deux lettres pour toute signature. D'autres commentaires du même genre suivirent bien que moins acides. Tous contenaient ces quelques mots pourtant si pénibles «C'est de la merde.» L'affirmation, indiscutable, tournoyait dans ma tête et me faisait voir des trucs horribles comme une armée de zombies, un super-méchant aux super pouvoirs ou... Jean-Michel se bâfrant d'un hamburger dégoulinant de graisse.
Putain, je parvenais même pas à être un génie du médiocre ! Vous vous rendez compte ? Le manuscrit est donc allé rejoindre les autres textes infortunés dans la brouette, direction poubelle.
Ce samedi-là, j'ai encore vu Jean-Michel. Toujours aux abord du même container, celui pris en sandwich entre deux rues malfamées, sous une vieille affiche aux dimensions démesurées nous apprenant qu'il fallait voter PS pour continuer à vivre bien.
Jean-Mi paraissait assez tristounet lui aussi. Les rougeurs joyeuses de l'alcool peinaient à dissimuler ses yeux marrons arrondis par les larmes. De plus, sa brouette ne contenait que cinquante cannettes. J'en étais sûr : un évènement malencontreux avait dû se passer dans la vie de Jean-Mi, un évènement sans doute aussi dramatique que celui qui venait de secouer la mienne.
- Ca va m'fieu ?, a-t-il fait à demi-voix.
- Non, m'fille, lui ai-je répondu.
Le gros a cherché mon regard et j'ai cherché le regard du gros. Il avait les yeux ronds et gentils d'une otarie. Ca devait être un gars bien.
- Tu vi' en bir' une avec mi', m'fieu ? Ca m'fera del compagnie. J'ai maux m'tiet, m'fieu.
Cinq ans qu'on se voyait là, comme ça, tous les samedi matins, charriant notre honte et c'était seulement maintenant que nos langues se déliaient.
Siffler des bières avec Jean-Michel. Quelque chose que j'aurais difficilement accepté d'habitude. Mais il me fallait du partage dans ma vie. Jean-Mi m'ouvrait à son vice et je lui ferai goûter le mien. A moins que ce ne soit l'inverse. Sur le coup, j'ai protesté, je me suis montré distant. Finalement, j'ai accepté parce que je devais vivre des péripéties pour meubler la suite de ma pitoyable histoire.
- Tu brayou à cause d'une coumère ? a lancé le gros, curieux.
- Non, je pleure à cause de moi. Je veux écrire et je suis nul.
- Ca c'astou ti qu'il dit, m'bite ! Tu veux que je rwète ce que t'avou écrit ?
- Vous lisez ?
J'ai posé cette question à Jean-Mi de la même façon qu'on demande à un muet s'il parle. J'imaginais difficilement le bougre lire autre chose que la Dernière Heure les sports.
- Et vous, qu'est-ce qu'il ne va pas ? ai-je ajouté comme il tardait à me répondre.
- Mi, ça s'atou l'célibrité. Je ne supporte ni d'être connu.
- Hein ?
Jean-Mi a encore fait mine de ne pas avoir entendu. Le pauvre devait souffrir d'hallucinations. En tout cas, à part se déhancher sur des rythmes disco la panse à l'air, je voyais pas le genre d'activités qui pourrait lui valoir d'être sous les feux des projecteurs. Je l'ai donc suivi en silence, intrigué à l'idée que le gros avait peut-être bien des choses croustillantes à raconter.
Ma première surprise concernant Jean-Mi a été de remarquer qu'il n'habitait pas dans le traditionnel taudis borain mais dans une belle maison de maître à colombages, probablement la seule de toute l'avenue du Champ de bataille, splendide voirie qui n'avait pas volé son nom. Ce gros tas était-il notaire, médecin ou avocat ?
- Punaise ! Qu'elles se cassent, ces coumères !
Jean-Mi venait de beugler ça comme s'il avait vu le diable en personne. Au pied de sa porte, une poignée de femmes quinquagénaires, le nez plissé et l'air vaguement intellectuel, trépignait des deux pieds. Elles brandissaient des panneaux ridicules. L'une d'entre elle, frisée comme un caniche et drapée dans un affreux parka vert bouteille, a pointé un doigt sur lui. Toutes les autres se sont alors mises à l'insulter.
- Tu veux «tâter de la femme», Jean-Michel Plume ? Nous, on veut tâter tes sous !
- C'est quoi ça ? ai-je fait, intrigué.
- Ca, ç'astou des féministes, m'fieu. Et mi n'savou ni comment les faire décamper. Elles m'asticotent, m'fieu. Attends, file-mi une pinte !
Jean-Mi m'a indiqué son sac à dos et m'a prié de l'ouvrir. J'ai sorti un-demi litre de Cara pils et je lui ai tendu. Il a secoué la cannette puis l'a ouverte et la mousse a giclé un peu partout. C'était comme une bombe. Paniquées, les féministes ont levé le camp, de peur de recevoir en pleine tête le jus viril. A voix basse, elles se promettaient de revenir au plus vite.
- Peut même ni rentrer a s'baraque !
Jean-Mi paraissait excédé.
- C'astou tous les d'jou ainsi, a-t-il ajouté.
- Que vous est-il arrivé ?
- Attends, m'fieu, tu vas comprendou. J'vais te faire rwetir de ces choses. Tu vas vir comme ç'astou bia m'vie avant !
Et Jean-Mi m'a ouvert sa porte. De nombreuses lettres tapissaient le sol du hall d'entrée. Jean-Mi en a saisi une et l'a déchirée en soupirant après avoir lu les premières lignes.
- C'est quoi ?
- Qu'est-ce que c'astou ? Une lettre d'avocat. Alzin taper ça dans l'poubelle. Du brun, ces gens. Du brun ! Ils ne savou faire que remuer l'purin.
De plus en plus étonné par la vie que mon hôte menait, j'ai dévisagé la galerie de portraits qui décoraient son intérieur. On y voyait Jean-Mi en compagnie de célébrités du petit écran. Sur un des clichés par exemple, il rigolait franchement avec Stéphane Bern pendant que Vincent Mac Doom, en arrière plan, affectait une moue dégoûtée. Une autre photographie le montrait entouré de beautés qui promenaient avec volupté leurs ongles vernis sur son énorme panse.
- El prix des lectrices de Nous deux. Ah, j'en ai rweti, mi, de la blondasse, commenta Jean-Mi.
Il s'est éclipsé trente secondes, pour aller chercher des bières puis il m'a jeté sur les genoux un vieil exemplaire du Nous Deux qui titrait «Jean-Michel, son histoire.» Curieux, j'ai parcouru le torchon féminin jusqu'à trouver l'article en question. Voici comment ça se présentait :
«Plus rocambolesque mais moins terre-à-terre que du Dan Brown, aussi inspiré que du Werber et encore mieux écrit, Jean-Michel Plume et ses héros au grand coeur ont fait beaucoup parler d'eux ces derniers temps. Son dernier opus, «Opération commando dans la Sierra Nevada», pourrait bien dépasser les cent milles exemplaires vendus en un mois. L'occasion pour nous de se pencher un peu plus sur ce nouveau Dieu de la littérature qui semble être fait de paradoxes.»
Le journaliste poursuivait sa page en mettant en contraste l'allure grossière de Jean-Michel et la grande sensibilité qui transpirait de ses textes. Une gamine de quatorze ans intervenait dans un encadré titré « Les larmes de Selma : mon premier roman» pour expliquer au lecteur comment la prose du gros lui avait permis de se découvrir une passion pour les belles lettres. Enfin, le journaliste clôturait son article en souhaitant «bonne chance à ce sacré bonhomme plus intègre et peut-être même plus doué qu'une Nothomb ou qu'un Musso.»
Là, j'étais franchement sur le cul. J'arrivais déjà pas à piger comment un type qui s'exprimait dans son patois pouvait imprimer de ces phrases qui mettaient tout le monde d'accord, du pseudo-critique littéraire à la donzelle adolescente. En plus, Jean-Mi et moi, on aurait presque pu être copain. Une opération commando dans la Sierra Nevada, pensez-vous. C'est tout ce que j'avais toujours voulu écrire. D'ailleurs...
Non, faisons s'arrêter là les coïncidences, la situation était déjà suffisamment blessante pour ma personne.
- Quelle chance vous avez ! me suis-je finalement exclamé. Ils parlent de vous comme d'un Dieu ! Toutes les nuits, je bosse ferme afin de pouvoir être un jour à votre place.
- T'es ni net, ti ! Mi, je suis harcelé el mi-temps del journée. J'vais resaker tous mes brols d'ailleurs. Les filles astou bonnes mais ça s'astou que des putes quand même. Et maintenant, les vieilles filles, elles me cherchent le brun.
Jean-Mi s'est dirigé vers le hall d'entrée et a commencé a enlever tous les cadres lui rappelant sa vie passée. Il ponctuait ses gestes de gorgées de Cara pils bien fraîches.
- Mais que s'est-il passé ?
Ce n'était pas une simple question de convenances. L'histoire de ce bonhomme avait fini par me captiver réellement.
- J'avou écrit un bia roman, m'fieu. El roman qu'il me fallou écrire. Ca causait de mi et de mes tentatives avou les femmes. Ca s'appelou «Le beau repaire.» Parce que c'astou el bistrot où j'avou passé m'jeunesse.
Jean-Mi m'a arraché des mains l'exemplaire du Nous Deux et m'a lancé le dit roman à la figure. Il m'a servi une nouvelle cannette pour accompagner ma lecture. Le prologue m'a tout de suite séduit. En voici un bref extrait :
«Ce matin, j'avais encore envie de tâter de la femme. Je me sentais vide, de la tête aux couilles. La dernière bière bue la vieille était très mal passée. Elle m'avait tordu le tube digestif, me privant de mon appétit. Jusqu'à ce que je vois la Monique passer. Elle avait mis une jupe. La première fois de l'année. Ses cuisses étaient bien pleines et ses hanches se gondolaient avec grâce sous mes yeux. Une belle matrone de campagne. La Monique, je devais me la faire. Pour continuer à me sentir homme.
Je me rendis au frigo. J'avais besoin d'un petit remontant. Hélas, mes abrutis de copains avaient tout vidé. Désemparé, je me glissai dans la salle de bain pour y retrouver ma fidèle bouteille d'eau de Cologne.»
- Votre début est excellent, vraiment, ai-je dit en toute honnêteté.
- Eh bien, m'fieu. Les peyes de la télé ils n'ont ni pensé ça. El bouquin d'où là, il m'a juste apporté que des misères. Quand j'ai vendu moins, les féministes me sont rentrées dedans. «Vous êtes un vieux vicelard !» qu'elles geignaient ces vieilles filles d'où là. Et là, le brun a commenci. Le brun, m'fieu. Le brun !
Jean-Mi s'est levé en tenant son bide et a ramassé une des lettres qui traînaient dans le hall d'entrée. Puis, il me l'a jetée au nez, toujours avec la même délicatesse.
- Rwet, m'fieu. Ces femmes ont demandou à ces avocats d'où là de me faire des misères au nom des droits de l'homme. Elles trouvent que j'les dégrade, ces salopes.
Effectivement, le courrier rappelait que personne ne devait être discriminé à cause de sa couleur de peau, de sa religion, de son sexe ou de son orientation sexuelle.
- Et il da, des comme ça ! Il da tout plein ! a précisé le gros.
- Oui, c'est le brun, ai-je approuvé, reprenant son expression fétiche. Enfin, moi, je ne peux pas connaître ça puisque j'écris de la merde.
De violents coups ont interrompu notre conversation. Des gens étaient en train de défoncer la porte de Jean-Mi.
- Ca, c'astou les pires, les fans, les vrais. Ceux qui ont remarqué que «le beau repaire» astou un très bia roman et qui veulent me vir. Ils sont devenus bezingues depuis que les féministes me cherchent le brun. Mais ça, ça me met dans le brun aussi, m'fieu.
Jean-Mi s'est emparé d'une batte de base-ball et a gagné le hall d'entrée. Il a fait sauter le verrou et leur a hurlé de toutes ses forces «Ersakez-vous ! Ersakez-vous !» Il avait des allures de grizzli qui rendaient ses ordres impérieux.
Moi, j'en ai profité pour fouiller sa bibliothèque. Quelque chose m'intriguait depuis tout à l'heure. Après quelques minutes de recherche, j'ai pu mettre la main sur «Opération commando dans la Sierra Nevada». J'ai feuilleté le roman avec impatience. Quelques passages par-ci par-là m'ont appris que c'était mauvais, extrêmement mauvais. Des phrases très scolaires, rédigées à la va-vite. Un manque d'idée affligeant. J'ai alors repensé au bureau, à la fenêtre, aux avions et aux terroristes. Puis, je me suis revu aux abords du container, semaine après semaine. Pendant cinq ans. Mes nouvelles de merde et la pisse de chat de Jean-Mi.
Tout s'est éclairci dans ma tête. La rage m'est montée aux tempes mais est vite retombée. Ce bonhomme n'avait plus aucune vie. Dans le fond, c'était tant mieux qu'il soit devenu un Dieu de la littérature à ma place. A côté de son quotidien, le monde des cols blancs ressemblait à un paradis.
Alors, je l'ai regardé une dernière fois, le Jean-Mi. Et je me suis tiré par la porte arrière. Mais je ne suis pas parti sans rien. Je lui ai piqué un de ses bacs de bières. Et là, j'ai commencé moi aussi à me prendre d'amour pour la blonde.