Eric Woerth l’avait annoncé : il n’aborderait pas les sujets qui fâchent les syndicalistes du secteur public. Il a tenu parole. Certes Nicolas Sarkozy a renoncé à deux de ses promesses électorales : ne pas toucher à la retraite à 60 ans et ne pas augmenter les impôts. L’âge légal de départ à la retraite augmentera progressivement, de 60 à 62 ans en 2018, et les impôts seront augmentés de 3,7 milliards d’euros dès 2011. Les syndicats du secteur public trouvent les hausses d’impôts insuffisantes et critiquent le changement de l’âge légal. Mais l’essentiel des privilèges de leurs troupes ne sera pas réduit.
Car la « convergence » entre les régimes publics et privés, encore promise le 16 mai dans un « document d’orientation », est pratiquement abandonnée. Sans doute un des privilèges les plus choquants des fonctionnaires – leur retraite à taux plein après 15 ans de services s’ils ont eu trois enfants – sera-t-il supprimé à partir de 2012. Chaque année 16 000 fonctionnaires n’en bénéficieront plus. Mais les autres mesures de convergence sont de pures annonces sans conséquence : l’augmentation des taux de cotisation des fonctionnaires de 2,7 % en 10 ans (soit + 0,27 % par an) sera évidemment compensée, sous la pression des syndicats, par les hausses annuelles de salaires. C’est ainsi que la cotisation de « retraite additionnelle » assise sur les primes créée en 2003 a été compensée par des augmentations de salaires. Il n’est d’ailleurs pas question de bloquer les salaires publics ni a fortiori de les diminuer de 5 à 15 %, comme le font d’autres pays européens. Les augmentations annuelles de salaires à venir permettront donc bien de compenser l’augmentation des cotisations. Quant à la retraite publique minimale, son montant, qui restera supérieur de 19 % au montant de la retraite minimale du privé, n’est pas changé.
Le montant des pensions du secteur public n’est pas remis en cause. Le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) a montré que son montant moyen était en 2008, pour les fonctionnaires de l’Etat, presque le double – supérieur de 95 % exactement- de celui du privé, et même de 37 % supérieur à celui des cadres du privé. Cette différence est maintenue. On ne bloquera pas les pensions publiques, comme le font la plupart des pays voisins. Les privilèges des pensions de réversion du secteur public seront en outre maintenus.
L’âge effectif de départ en retraite des régimes publics sera progressivement augmenté de deux ans comme dans le privé, mais l’écart moyen actuel, de 2,9 ans en faveur des fonctionnaires d’après le COR, ne sera pas réduit. Il sera même augmenté. En effet les régimes spéciaux (SNCF, EDF, RATP, etc) ne seront pas changés avant 2017. Par la suite leur âge de départ sera progressivement retardé de deux ans. En 2024 les conducteurs de train partiront en retraite à 52 ans, au lieu de 50 ans actuellement, et les autres cheminots à 57 ans au lieu de 55. Ainsi jusqu’en 2024 l’écart entre leur âge de départ en retraite et celui du privé aura-t-il été accru. Pour les infirmiers publics actuellement en poste, gardant leur âge de départ à 57 ans, l’écart sera aussi augmenté. Pour les 900 000 fonctionnaires dits « actifs », qui partent cinq ans avant les autres, il n’est pas prévu de réduction de l’écart. On n’a pas davantage prévu de réduire leur nombre.
Le « syndrome Juppé », c’est-à-dire la peur de manifestations syndicales du secteur public bloquant la réforme, aura donc joué à plein. On aurait pu affilier au régime général les nouveaux embauchés du secteur public, ce qui n’aurait lésé aucun droit acquis. Loin de là, les régimes de retraite publics ont gardé, et même augmenté, l’essentiel de leurs privilèges sur ceux du privé. Suivant les désirs de son Président, Eric Woerth a peut-être habilement mené sa réforme : les syndicats du secteur public auront du mal à mobiliser leurs troupes. Mais les électeurs de l’UMP, dont plus des trois quarts souhaitaient la convergence, seront déçus. La France restera un pays gouverné par les fonctionnaires pour les fonctionnaires.