Avec d’autres, William Mandella, étudiant surdoué, est enrôlé et soumis à un entraînement si inhumain que beaucoup en meurent. Il survit, lui, combat dans l’espace et sauve encore sa peau. Il va rentrer…
Paradoxalement, le plus dur l’attend… Aux confins de l’univers, il a franchi sans le savoir des portes de distorsion spatio-temporelle. Sur Terre, des siècles ont, en fait, passé !
William Mandella est seul, paumé, sans plus rien de commun avec ce monde autre, cet univers inconnu… (1)
Depuis 35 ans maintenant, ce livre reste considéré comme la parfaite antithèse d’Étoiles, garde-à-vous ! (Starship troopers, 1959), célèbre roman de Robert A. Heinlein dont l’apologie du militarisme – et non de la guerre – qu’y faisait son auteur – et qui lui valut quelques tracasseries – trouve son reflet sombre dans cet ouvrage de Joe Haldeman. Un peu comme si ces deux livres étaient les deux facettes d’une même pièce.
Si on ne peut nier l’antimilitarisme de La Guerre éternelle, je crois pour ma part que la juxtaposition de ces deux romans illustre surtout le changement de paradigme qui marqua la science-fiction dès le début des années 60 et qui fit évoluer ce genre vers ce qu’on appelle la New Wave – une évolution marquée par un rejet du credo de techno-scientisme qui caractérisait les œuvres de la période des années 40-50 qu’on désigne sous le nom d’ »Âge d’Or« . Pour simplifier à l’extrême, disons que la science-fiction des décennies 60 et 70 ne se contentait plus de baser ses récits sur des sciences « dures » comme la physique ou l’astronomie mais englobait des sciences dites « molles » telles que l’ethnologie ou la sociologie, parmi beaucoup d’autres ; ce qui en retour permettaient aux auteurs du genre d’explorer bien plus de facettes de la littérature, et notamment les aspects psychologiques.
Que les auteurs de ces deux romans appartiennent à deux générations différentes joue un rôle dans les différences qui séparent ces ouvrages. Si Heinlein est né en 1907, Haldeman est né en 1943 ; le premier souhaitait être militaire de carrière, bien qu’il dut y renoncer pour des raisons de santé, mais participa malgré tout au débarquement en Normandie, alors que le second fut appelé sous les drapeaux pour aller se battre au Vietnam ; Heinlein fut acclamé à son retour comme le furent tous les libérateurs de l’Europe qui participèrent à détruire l’horreur nazie, mais Haldeman se fit traiter de boucher à l’instar de tous les autres GI envoyés stopper l’expansion du communisme mais qui passèrent au final pour des massacreurs de femmes et d’enfants. Si l’expérience d’Heinlein retranscrit l’état d’esprit de son époque, celle d’Haldeman est tout aussi informative sur son temps : alors que pour la génération du premier la guerre était un mal nécessaire, pour celle du deuxième elle n’est qu’une abomination. Deux générations, deux jugements sur la guerre ; deux auteurs, un contraste.
Alors que, dans leur livre respectif, le personnage d’Heinlein se porte volontaire pour défendre la liberté et rentre chez lui en héros, celui d’Haldeman est forcé à tuer sans trop savoir pourquoi et se retrouve perdu parmi les siens une fois de retour au pays. Dans La Guerre éternelle, le subterfuge est concrétisé à travers une technique de voyage spatial appelée « saut collapsar » qui consiste à utiliser des trous de ver comme moyen de téléportation vers des zones de la galaxie prodigieusement éloignées (2) ; mais le puits gravifique insondable des étoiles mortes qui servent d’entrées à ces trous de vers ralentit l’écoulement du temps pour le voyageur qui les traverse – comme la théorie de la Relativité d’Einstein l’a démontré – de sorte que pour un proche resté sur Terre l’expédition peut prendre des années ou même des générations, voire des siècles, alors que pour le soldat en campagne quelques semaines ou quelques mois à peine se seront écoulés… Et pendant ce temps, la société aura continué d’évoluer, au point d’être rendue méconnaissable pour le troufion de retour dans un chez lui qui ne correspond plus à ses souvenirs – et où la plupart du temps toutes ses relations sont déjà non seulement mortes et enterrées mais aussi oubliées.
Voilà comment à travers un simple exercice technique, un auteur retranscrit une expérience personnelle et tout aussi assurément tragique à travers la description d’un modèle de société bouleversé par une invention – ce qu’on appelle de la science-fiction. La Guerre éternelle n’est pas un simple récit de guerre mais l’histoire d’un homme qui perd peu à peu tout ce qui est à lui pour un combat qui ne lui appartient pas plus. La Guerre éternelle n’est pas seulement un roman antimilitariste, c’est surtout le témoignage d’une vie brisée d’avoir vécu à une époque où l’idée de guerre n’était plus dans l’air du temps. La Guerre éternelle, enfin, n’est pas qu’une histoire de science-fiction parmi d’autres, c’est aussi l’expression d’un genre parvenu au stade suivant de sa maturité.
(1) cette chronique concerne l’édition J’AI LU de 1985
(2) selon la théorie échafaudée en 1956 par John Wheeler mais qui reste non vérifiée à ce jour
Notes :
Joe Haldeman écrivit en 1999 une suite à ce roman, Forever free, qui fut publié en France en 2001 sous le titre La Liberté éternelle.
Un troisième livre, The Forever Peace, écrit en 1997 et publié en France en 1999 sous le titre La Paix éternelle, n’a aucun lien avec ce roman ou sa suite en dépit des points communs du titre.
Ce roman fut adapté en BD par Marvano en 1988. Le premier tome parut la même année en France chez Dupuis, dans la collection Aire Libre, avant d’être réédité en « intégrale » en 2002 puis en 2009, cette dernière édition étant enrichie de sa suite Libre à Jamais – l’adaptation en BD, toujours par Marvano, de La Liberté éternelle.
Une adaptation au cinéma par Ridley Scott a été annoncée en octobre 2008.
La Guerre éternelle (The forever war, 1975), Joe Haldeman
J’AI LU, coll. Science-Fiction n° 1769, août 2001
288 pages, env. 5 €, ISBN : 2-290-30825-0
- d’autres avis : nooSFère, PocheSF
- prix Hugo (1976), Locus (1976) et Nebula (1975), catégorie roman