La tête en friche, oeuvre éloignée des canons cannois car sans violence, sans sexe, sans histoire falsifiée et sans leçon d'immoralité, où figurent deux acteurs prodigieux, Gérard Depardieu et la toujours irrésistible Gisèle Casadesus, qui me rappelle tellement, par son charme délicat, la regrettée Suzanne Flon - est un film signé Jean Becker, abonné absent des Festivals en général, car définitivement classé " has been " pour avoir commis une filmographie sans épate, sans égo, celle d'une France simple qui ne se hausse pas du col et ne tapine pas pour s'octroyer des faveurs. "Has been " vous dis-je...
Avec lui, honneur aux sans-grades, aux humbles et aux discrets, non aux repris de justice, aux dévoyés, aux loosers qui font les choux gras des metteurs en scène dont on parle dans les assises officielles, mais place aux héros ordinaires révélés par un soudain coup de pouce du destin. C'est le cas de Germain, analphabète, la cinquantaine bedonnante, qui se lie d'amitié avec la fragile Marguerite, une octogénaire passionnée de littérature qui va lui ouvrir les portes de la culture avec un grand C. Pour Germain, raillé dès l'enfance par une mère acariâtre qui ne le désirait pas et par des instituteurs accablés par son ignorance, une nouvelle vie commence.
Adapté du roman éponyme de Marie-Sabine Roger, cette histoire à rebours des stridences du siècle nous conte la vie d'un type gentil, sensible, qui en a bavé de ne pas avoir été bon élève et de n'avoir pas su se faire aimer de sa mère. Sa rencontre avec Margueritte est une aubaine, une chance inespérée qui va lui permettre de s'instruire et de connaître la signification et le pouvoir des mots. Car l'analphabétisme n'est ni plus ni moins une souffrance dans un monde où la culture a le mérite de vous rendre moins naïf face aux affirmations des autres - souligne Jean Becker, lecteur assidu devant l'Eternel.
C'est vrai - ajoute-t-il - que je n'aime pas ce que le siècle trimbale : tout va trop vite, sans maîtrise. Ecoutez la radio, regardez la télévision : la litanie des morts, cette détresse, y compris en France, que l'on voit, que l'on ressent, ces gamins qui se servent d'un flingue comme jadis nous nous servions d'un lance-pierre. Il y a une banalisation de la misère, de la violence... Vous avez vu récemment la publicité pour la série de Canal + " Carlos ", qui a d'ailleurs été sélectionnée à Cannes ? C'est comme pour Mesrine, ça me gêne que le cinéma fasse l'apologie des terroristes, des tueurs en série.
Jean Becker avec ses deux acteurs
Pour ce metteur en scène hors normes, l'essence du 7e Art réside dans le souci d'offrir au public des moments d'émotion exceptionnels et de promouvoir l'homme dans ce qu'il a de plus humain et de plus vrai. C'est ce qu'il parvient à faire avec La tête en friche, un film qui nous réconcilie agréablement avec un univers sans fioritures inutiles et sans excès regrettables.
Merci Jean Becker de ce moment de grâce.