Ceci n'est pas de la littérature

Publié le 17 juin 2010 par Edgar @edgarpoe

"S'il n'est de style, suivant Buffon, que par l'ordre et le mouvement, c'est aussi vrai de la politique. Le vent du changement souffle en rafales sur la France libérée. Mais la règle doit s'y imposer, sous peine que rien ne vaille rien. Or, si graves sont les blessures subies par notre pays, si pénibles les conditions de vie dans lesquelles le maintiennent les destructions et la guerre, si grand le bouleversement de ce qui était établi : Etat, hiérarchies, familles, traditions, qu'il est plongé dans une crise à la fois diffuse et générale. La joie de la libération a pu momentanément dissimuler aux français le véritable état des choses. A présent, les réalités n'en paraissent que plus amères. Pour moi, quand je regarde au loin, j'aperçois bien l'azur du ciel. Mais, de près, voyant bouillir d'affreux éléments de trouble dans le creuset des affaires publiques, je me fais l'effet de Macbeth devant la marmite des sorcières.

[...]

A mes yeux, il est clair que l'enjeu du conflit c'est non seulement le sort des nations et des Etats, mais aussi la condition humaine. Il n'y a là, d'ailleurs, rien que de très naturel. Toujours, la guerre, sous son aspect technique, est un mouvement des sociétés. Les passions qui l'animent et les prétextes qu'elle invoque ne manquent jamais d'enrober une querelle concernant la destinée matérielle et spirituelle des hommes. Les victoires d'Alexandre étaient celles d'une civilisation. C'est le désir tremblant du barbare qui fit crouler l'empire de Rome. Point d'invasions arabes sans le Coran. Point de croisades sans l'Evangile. L'Europe de l'Ancien régime se dressa contre la France, quand l'Assemblée proclama : "les hommes naissent libres et égaux en droit".

Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre, tome III, Le Salut.