Une régularité traverse un large pan de la culture pop : ses technologies de production proviennent souvent d’un détournement de leurs finalités initiales au profit du divertissement. Le cinéma (détournement de la technique photographique), internet (détournement d’un outil de communication militaire) découlent de cette logique, et le jeu vidéo ne déroge pas à la règle. Pour le déceler reprenons le fil de l’histoire.
En 1950 le mathématicien Alan Turing publia un article intitulé « computing machinery and intelligence » et proposa le test suivant : un homme se voyait dialoguer avec une machine et un être humain sans connaître à l’avance la nature de son interlocuteur. S’il ne parvenait à distinguer la machine de l’homme, alors cette dernière se voyait qualifier d’ « intelligente ». Le concept d’intelligence artificielle émergeait avant de devenir par la suite un domaine de recherche de plus en plus important en raison de ses applications économiques ou militaires dans une période de guerre froide exacerbée (le voyage sur la Lune faisant office de symbole). Les questions philosophiques soulevées dévoilaient également un champs d’étude inédit et incommensurable (cognitivisme, connexionisme…) ouvrant des perspectives inédites sur l'avenir de l'homme.
Dans ce bouillonnement technique et scientifique, A.S Douglas de l’université de Cambridge mit au point en 1952 un logiciel, baptisé OXO, afin d’appuyer sa thèse sur les interactions homme-machine. Le sigle OXO abritait un morpion dont l’un des joueurs était contrôlé par un EDSAC, l’ordinateur de Cambridge. L’universitaire mit ainsi au point le premier jeux vidéo de l’histoire dont la technique ne cessa de se développer tout au long des décennies suivantes grâce à des ingénieurs inspirés. L’intelligence Artificielle esquissait ainsi des possibilités incroyables en terme de création (comme le cinéma au début du siècle) à mesure que la programmation se développait.
Mais à encore fallait-il adjoindre à ces possibilités gigantesques un univers graphique cohérent et romancé. Space Invaders en 1978, suivi de Pac-Man en 1980, initièrent ainsi cette rencontre entre la technique et l’art avec une histoire et des personnages visuellement originaux. Cependant, au début des 80’s le secteur stagnait et connut en 1982 un crack en raison d’une saturation de l’offre et d’une conception pas encore assez aboutie.
Puis cette rencontre entre la technique et l’art se transforma en un mariage heureux avec Nintendo et Shigeru Miyamoto. Le premier apporta son savoir-faire et le second sa créativité, et de cette union naquirent les œuvres d’art Donkey Kong, Mario ou encore Zelda. Mais plus que tout, Mario Bros marqua le départ du jeu vidéo moderne : ludique, jouable, et doté d’un univers complètement original. Miyamoto exploita le potentiel de l’intelligence artificielle et de la programmation pour traduire son imaginaire foisonnant comme le firent les grands peintres et les grands réalisateurs. A partir de là le jeu vidéo ne dut plus seulement apporter une conception impeccable, mais également une histoire et une ambiance irréprochables.
Le jeu vidéo est donc extrêmement pop en ce sens qu’il permet les rencontres les plus improbables, en plus de se fonder sur une technique pop dans sa conception. La preuve : qui aurait parier sur un petit plombier italien en salopette devant sauver une princesse en empruntant des tuyeaux ? Mais lorsqu’on sait que le concept de jeu vidéo naquit d’un morpion, alors plus rien ne doit surprendre.