Et si comme Lionel Jospin, Nicolas Sarkozy connaissait la déconvenue d’être éliminé au premier tour des présidentielles, après cinq ans de pouvoir ? Si la droite subissait « un 21 avril à l’envers » ?
L’idée paraît absurde. Mais tout, dans le comportement de Nicolas Sarkozy, montre qu’il la prend très au sérieux.
Quelle est en effet la règle à observer pour passer le premier tour des présidentielles sous la Vème République ? Il faut rassembler son camp.
Dans un pays marqué à la fois par la force du clivage droite/gauche et par la multiplicité des partis, cela passe par deux recettes aussi vieilles que l’ORTF et le franc 1958 : d’abord, ne pas se faire déborder sur sa droite (pour un gaulliste) ou sur sa gauche (pour un socialiste) ; ensuite, éviter la dispersion des votes sur une multitude de candidatures, tout en essayant d’encourager les initiatives parasites dans le camp adverse.
La grande erreur de Lionel Jospin fut de dédaigner cette gymnastique électorale. Peut-être parce que, pour la première fois, il n’avait pas eu à batailler à l’intérieur de son parti pour s’imposer, le Premier ministre socialiste s’est cru dispensé de faire campagne au sein de son propre camp. Il a en tout cas sérieusement diminué ses chances en laissant se déployer une foule de petits candidats et en découvrant trop son flanc gauche - notamment avec une déclaration comme « l’Etat ne peut pas tout» (parfaitement exacte au demeurant, mais trop éloignée des mythes fondateurs du socialisme).
Bien préparer le premier tour exige au contraire de courtiser les extrémistes de son camp en scandant périodiquement leurs refrains préférés. L’aspirant candidat doit, volontairement, « se décentrer », puisque ses électeurs du premier tour sont, par définition, monocolores. A ce jeu là, les propos équilibrés sont rarement les plus porteurs : autant essayer de se faire applaudir en défendant la nécessité de s’appuyer sur deux pieds dans un congrès d’unijambistes…
Le moins que l’on puisse dire est que Nicolas Sarkozy n’a pas oublié ces vieux principes.
Au lendemain d’un scrutin régional qui a révélé la fragilité de son assise électorale, il s’emploie méthodiquement à assurer sa présence au second tour.
En témoigne l’incroyable séquence par laquelle il a choisi de marquer son retour sur la scène politique, un mois après la déconvenue des régionales. Mardi 20 avril : déplacement en Seine-Saint-Denis pour y installer un « préfet de choc » et y annoncer (encore !) un resserrement des mesures contre l’insécurité. Mercredi 21 avril (il faut bien fêter l’anniversaire) : annonce d’une loi interdisant le port de la burqa dans l’espace public. Et pour faire bonne mesure, l’on apprenait le lendemain que le garde des Sceaux entendait modifier la réglementation pour punir plus sévèrement les atteintes à la dignité du drapeau national.
A l’évidence, Nicolas Sarkozy n’a pas oublié qu’il a été élu en rapatriant sur son nom les voix de l’extrême droite ; et il est toujours adepte d’une communication de pilonnage.
Dans sa campagne préventive pour « marquer son territoire » à droite, il a été d’autant plus aidé que ses principaux rivaux, Dominique de Villepin ou Alain Juppé, ont effectué des sorties très au centre, sur le thème du partage des efforts et de la taxation des hauts revenus.
Tout en se positionnant comme le gardien d’une droite intégrale, Nicolas Sarkozy n’oublie pas de mener la chasse aux petits candidats susceptibles de disperser les intentions de vote. Un rapprochement vers François Bayrou a été esquissé. Ligoté par son poste de Premier ministre et orienté vers une reconquête de Paris, François Fillon ne peut pas se déclarer. Hervé Morin, coupable de vouloir défendre les couleurs du centre en 2012, subit de fortes pressions pour retirer une candidature qu’il n’a pas encore déposée. Christine Boutin, qui aurait pu être tentée de mener campagne pour les valeurs familiales, se trouve fragilisée par une fuite embarrassante sur la rémunération que lui a consentie un ministre du Gouvernement.
Ces manœuvres sont courantes dans la vie politique. Il est intéressant de les relever parce qu’elles montrent un Nicolas Sarkozy beaucoup plus soucieux qu’il ne le dit de la barrière du premier tour – pas seulement pour virer en tête, mais bien pour franchir l’obstacle.
La certitude que Nicolas Sarkozy sera le représentant obligé de la droite au second tour appartient à la catégorie des idées toutes faites, ces idées dont il faudrait se méfier justement parce qu’elles sont soutenues par Alain Minc et reprises en chœur par plusieurs éditorialistes.
N’oublions pas que les seules erreurs des sondages sont enfermées dans une incertitude statistique quantifiable. Le « microcosme » politique commet en revanche des erreurs infinies, soit parce qu’il ne pose pas les bonnes questions, soit parce qu’il ne veut pas entendre la réponse.
Il faut espérer que des sondages de plus en plus nombreux testeront d’autres noms que celui de Nicolas Sarkozy pour affronter le candidat de la gauche au second tour des présidentielles. Si ces coups de sonde donnent une réelle avance à l’actuel président de la République, il en sortira renforcé. Dans le cas inverse, la majorité gagnerait à se poser la question des primaires, comme les socialistes.
Même si le risque d’un débordement par l’extrême droite est plus fort que jamais, la droite républicaine ne doit pas refuser ce débat interne : c’est un passage obligé si elle veut être en mesure de formuler une proposition utile en 2012.
V. Naon