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Andy prefers not to...

Publié le 17 juin 2010 par Desiderio

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Le Andy de cette chanson n'est pas Warhol, mais Andy Capp bien moins connu en France.

On connaît fort peu la BD britannique en France, à la différence de la BD étatsunienne. Pourquoi cette différence ? J'estime que c'est à la fois pour des raisons économiques et culturelles.

Lorsque j'ai lu des revues de BD anglaises, je les ai trouvées absolument déplorables : mauvais papier, impression calamiteuse, dessin fait à la chaîne, lettrage fait à l'imprimerie. Rien qui donne envie de lire ou de conserver ou de rechercher. Si je compare aux hebdos franco-belges de la même époque ou même des petits formats reprenant des BD italiennes, c'était vraiment très en dessous. Il n'y avait rien de vraiment exportable. Pourtant la Grande-Bretagne n'a jamais manqué de talents pour l'illustration, le dessin de presse. C'est un paradoxe : un pays fait pour le dessin a tourné le dos à la BD.

La BD britannique existe pourtant, mais elle est marginale comme le cinéma britannique. Certes, il y a le cas d'Alan Moore qui est un des plus grands scénaristes vivants. Mais il a été d'abord reconnu parce qu'il a publié aux USA, en reprenant des séries étatsuniennes existantes. Il leur a apporté une touche européenne et sophistiquée, comme il a contribué à faire revivre des mythes littéraires. C'est un auteur à part, il est britannique, mais il a obtenu son succès ailleurs qu'au Royaume-Uni et son univers brasse des cultures diverses. Bon, mais Moore est un scénariste et pas un dessinateur.

Quels Anglais ont réussi à publier en France ? On a Sydney Jordan avec Jeff Hawkes. C'est une série de science-fiction fort honorable, très bien dessinée. Certes, c'est sur le mode space opera avec des tas de petits monstres verts et de menaces intergalactiques, mais ce n'est pas méprisable. Le seul problème, c'est que chaque hebdomadaire avait sa série de science-fiction et une seule : Guy l'Eclair, Luc Bradefer, les Pionniers de l'Espérance, l'Epervier bleu, etc. La science-fiction est un genre segmentant, il ne plaît pas du tout aux filles et elle peine pour les garçons, donc on l'évite au maximum dans les journaux. Ensuite, Jeff Hawkes était une série publiée en comic strips et elle n'avait pas été reprise par Opera Mundi qui diffusait les BD quotidiennes américaines dans la presse généraliste. Certes, il y a eu quelques albums publiés en France, mais l'intégrale s'est arrêtée au tiers parce que l'intérêt du public n'était pas là : c'était de la SF rétro, mais sans la nostalgie des lectures d'enfance.

On a aussi plus anciennement Jane. Encore un comic strip. Mais cette fois d'un genre très particulier : la BD pour bidasses. L'héroïne est le plus souvent en petite tenue et dans des situations embarrassantes où sa poitrine peut être dévoilée tout en étant masquée. Il s'agit d'une BD destinée à remonter le moral des troupes (c'est un genre à part dont je pourrai parler une autre fois). Jane combat donc pour préserver sa vertu et la survie du monde libre face aux méchants nazis. Elle réussit admirablement à cacher les parties les plus intéressantes de son corps tout en les suggérant. Cela ne pouvait donc pas passer dans la presse française à cause de la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse et destinée avant tout à contrer les BD d'origine étatsuniennes, mais aussi italiennes, belges et fatalement anglaises. Cette loi imbécile, votée par les communistes et les gaullistes, a créé une censure débile. Mais Jane continuait d'être publiée dans les journaux grand public au Royaume-Uni et elle devançait bien des héroïnes déshabillées de la prétendue apparition des héroïnes.

En fait, un seul personnage britannique a un peu pris en France. Andy Capp. Son nom est déjà un programme. Il est un handicapé de la vie : chômeur professionnel, amateur de jeux de fléchettes, pilier de pub, partant pour tous les paris sportifs les plus débiles, exploiteur de sa femme qui travaille elle !, bagarreur invétéré, grande gueule devant une pinte, ignorant de tout mais dominant toute situation. C'est le modèle du beauf anglais dans sa plus grande splendeur. Bien entendu, il s'exprime avec le cockney slang, il ne dépasse pas la limite de son quartier et sa vision du monde est extrêmement réduite comme on le voit dans l'illustration : la visière de sa casquette l'empêche de regarder les autres ou interdit que l'on voit son visage pleinement. C'est un être buté, béta, butor et d'une mauvaise foi redoutable. Le nom du personnage s'accorde avec cet accessoire essentiel : la casquette ! (the cap en anglais). 

Mais en même temps, Andy Capp est profondément sympathique : on aime qu'il filoute l'aide sociale lorsqu'on lui demande de trouver un emploi ou qu'il se moque du révérend et de ses sermons moralisateurs ou qu'il truande le représentant de son propriétaire venant lui réclamer son loyer. C'est Guignol à la sauce anglaise ! Bien avant Stephen Frears, Ken Loach, Mike Leigh, le quart-monde avait eu sa place dans le monde des images, et d'une manière plus dévastatrice. Mais depuis il est devenu plus acceptable : j'ai appris qu'il avait cessé de fumer alors qu'il avait toujours un mégot au bec. 

Il y a un paradoxe chez Andy Capp : c'est un héros immobile qui ne cesse de bouger. Il ne sort jamais de son quartier pour vivre des aventures dans le monde, mais tout vient à lui. Et pis, c'est lui qui provoque les bagarres afin d'animer les fins de soirée en pub ou de créer un peu de convivialité dans une rue.

Un autre fait remarquable chez lui, c'est qu'il est presque toujours représenté de profil, parce qu'il marche ou court (souvent vers sa pinte de bière ou alors parce qu'il fuit le représentant de l'ordre). On est dans une représentation qui ne s'adresse jamais directement au lecteur, mais qui lui demande de lire pleinement : la présentation systématiquement latérale ou frontale des personnages est une forme de distanciation.

Pourquoi ai-je choisi cette illustration et non celle d'un album français ?

— Il me semble que l'on perd beaucoup d'Andy Capp lorsqu'on ne le lit pas dans sa langue, même si on ne la comprend pas complètement.

— C'est un album à l'italienne et les albums de ce type conviennent mieux à ce genre de productions en comic strips, même si la plupart des albums à l'italienne ont été des échecs commerciaux en France.

— Je voulais signaler qu'il existe aussi des albums BD en Grande-Bretagne, même s'ils sont d'une qualité nettement inférieure à celle des albums franco-belges ((typographie immonde, image agrandie, pas de couverture originale, brochure, papier douteux). Mais cela existe malgré tout et il serait bon que nos ennemis anglais s'intéressent plus à la BD non étatsunienne.

Le titre de la note dit à quel autre personnage Andy Capp me fait penser.


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