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Roger Mari, un universitaire qui aura marqué plusieurs générations d’étudiants

Publié le 17 juin 2010 par Sylvainrakotoarison

Hommage à un homme de science aussi soucieux de créer de nouvelles connaissances que de les transmettre.

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Il y a tout juste un an, le 17 juin 2009, disparaissait le professeur Roger Mari à 77 ans. Roger Mari n’avait sans doute pas la notoriété de bien des scientifiques en France, mais son nom, au fil des ans, fut associé au destin de l’Institut des sciences et technologies de Nancy (ISIN, à l’origine Institut des spécialités industrielles de Nancy) devenu en 1985 l’École supérieure des sciences et technologies de l’ingénieur de Nancy (ESSTIN), issu de la Faculté des Sciences de Nancy.
Un parcours qui commence brillamment
Né en 1931, Roger Mari est diplômé de l’École nationale supérieure des industries chimiques de Nancy (ENSIC) et a soutenu sa thèse de doctorat en chimie en 1960 sur le thème suivant : « Étude théorique et expérimentale de la vitesse et du mécanisme d’oxydation lente du méthane »
Tout juste diplômé, il fut nommé professeur de physique-chimie à l’ISIN dès sa création à laquelle il participa aux côtés de son premier directeur, Marcel Bonvalet. Il enseigna les généralités de base de la physique (mécanique et électromagnétisme) jusqu’en 2000, année de sa retraite.
L’ISIN, "son" école
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L’ISIN venait en effet d’ouvrir ses portes et avait pour but d’accueillir des bacheliers n’ayant pas les moyens de suivre les classes préparatoires aux grandes écoles au cours d’un cycle d’études de cinq ans pour former des ingénieurs généralistes avec classe préparatoire intégrée. Une formule relativement identique à celle de l’Institut national des sciences appliquées (INSA) de Lyon ou de la future Université technologique de Compiègne (UTC).

Aujourd’hui, l’ESSTIN (ex-ISIN) accueille huit cents étudiants, cent enseignants-chercheurs et autant de personnalités associées issues du monde industriel et a déjà formé trois mille huit cents ingénieurs dont certains sont déjà à la retraite.
En 1967, il fut nommé directeur de l’ISIN et y resta exceptionnellement longtemps, vingt-deux ans, jusqu’en début 1990 où il céda la place au professeur Robert Mainard, alors président de l’Université Henri-Poincaré (Nancy I).
Une discussion "musclée"
La petite histoire raconte qu’en 1968-1969, lorsqu’à la suite de mai 1968, le radical Edgar Faure fut nommé Ministre de l’Éducation nationale, il était question de supprimer cette école d’ingénieurs, dans le cadre d’une restructuration des pôles universitaires scientifiques nancéiens.
Roger Mari alla alors le rencontrer et, avec sa fougue habituelle, tapa du poing sur le bureau du ministre en lui demandant de sauver l’école à la condition que les anciens élèves le soutinssent. L’école fut ainsi sauvée de justesse à la suite d’une assemblée générale des anciens élèves mobilisés par lui pour la cause.
Un chercheur en chimie organique
D’abord chimiste, Roger Mari fit entre autres des travaux dans l’élaboration de nouveaux carburants et il n’était pas rare que ses élèves sentissent le houblon par exemple lors de quelques essais.
Il déposa beaucoup de brevets (par exemple : "Process for making nitroparaffins by nitration of ethane in the gaseous phase" le 14 novembre 1979, "Process and installation for manufacturing nitromethane" le 25 janvier 1985, ou encore, plus surprenant : "Device for protecting light fittings against vandalism" le 14 mai 1993).
Un enseignant novateur
Roger Mari était aussi un pédagogue. Il mit place une forme très innovante de pédagogie axée sur les nouvelles technologies : dès 1960, circuit de télévision interne avec caméra pour vidéoconférences ; et dans les années 1980, chaque élève avait accès, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, trois cent soixante-cinq jours sur trois cent soixante-cinq, à un ordinateur individuel, et au traitement de texte de l’époque, Word 2, relié à une imprimante laser.
Il a rédigé quelques manuels universitaires avec une méthode très originale de vérification des acquis par des exercices simples mais subtils (aux éditions Masson : "Comprendre et appliquer la mécanique", "Chimie générale", "Chimie organique" etc.).
Former des ingénieurs "dès le plus jeune âge"
Bien que directeur et chercheur expérimenté, il souhaitait absolument former avant tout les étudiants arrivés tout droit du baccalauréat alors que des collègues du même background auraient préféré évidemment s’occuper des Troisièmes cycles.
Il faisait cours aux Premières années tous les jours, du lundi au samedi, de huit heures à dix heures du matin. Il venait quasiment les mains vides et commençait à griffonner sur le grand tableau noir beaucoup de petits hiéroglyphes à peine lisibles. Un jour, après la pause de neuf heures, il effaça toutes ses équations en reconnaissant qu’il avait commis une erreur et en maugréant son auditoire qui ne l’avait pas décelée.
Ses méthodes étaient sévères pour des étudiants encore très scolaires sortis du lycée : il n’acceptait aucun retard ni aucune absence non excusée, et pour lui, l’excuse, dans le cas d’un retard dû par exemple le lundi matin par la SNCF (beaucoup d’étudiants n’étant pas nancéiens) n’était valable que si l’étudiant avait rédigé une lettre de protestation en trois exemplaires contre la direction de la SNCF.
Le retard était aussi sous un cadre particulier : la porte de l’amphithéâtre comportait une poignée bouton qui pouvait se verrouiller de l’intérieur. Roger Mari verrouillait alors la porte à huit heures pile et refusait l’entrée des retardataires. Un peu sournoisement, l’horloge avait une ou deux minutes d’avance.
D’une silhouette imposante, Roger Mari impressionnait beaucoup les étudiants par ses petits yeux cachés derrière des lunettes de grand myope qui approfondissaient énormément son regard.
Tester les connaissances et leur présentation
Ses cours étaient de véritables leçons de choses et faisaient appel avant tout à l’intelligence et pas au bachotage. Tout était épreuve de caractère avec lui.
Régulièrement, il faisait faire lui-même une série de colles (interrogations orales) qui pouvaient être de rudes moments pour les étudiants.
Pendant deux heures, dans un ordre pas forcément prévisible, il appelait, par séries, une dizaine d’étudiants qu’il plaçait dans une dizaine de petites salles de cours qui communiquaient les unes avec les autres et leur donnait un problème concret à résoudre. Il passait et repassait de salles en salles, parfois sans faire de commentaire, pour voir la manière de travailler de chacun.
Exemple type d’un étudiant qui avait développé correctement un sujet sur le tableau noir. Le regard interloqué et silencieux de Roger Mari chaque fois qu’il passait et repassait déstabilisa la confiance de l’étudiant persuadé qu’il avait tout faux. Ne sachant où se situait l’erreur, l’étudiant venait de tout effacer quand le professeur-directeur fit éruption et le réprimanda en disant que tout était pourtant juste, mais qu’on ne demandait pas seulement aux ingénieurs de résoudre correctement un problème, mais aussi de le vendre, et donc, d’avoir confiance en eux.
Belle leçon qui présentait un véritable gap dans l’esprit très scolaire des bacheliers. Autre exemple : les devoirs surveillés étaient corrigés par lui-même (et pas par un assistant) avec trois notes possibles : zéro, dix ou vingt sur vingt. Deux résultats étaient attendus. Pour lui, soit c’était juste, et c’était le maximum des points, soit c’était faux, et cela valait zéro pour un ingénieur : soit le pont tient, soit il cède, il n’y a pas de demi-mesure.
Il n’était cependant pas dupe de son enseignement puisqu’il reconnaissait que certains étudiants de Cinquième année (niveau master 2) à qui il faisait cours parfois pouvaient être capables de sombrer dans des erreurs que des Premières années n’auraient jamais faites. Preuve que l’acquisition des connaissances est toujours une opération de longue haleine.
Ses punitions aux étudiants récalcitrants leur engendraient de terribles soirées puisqu’il leur ordonnait de calculer pour le lendemain des intégrales incalculables !
Sévère mais juste : Roger Mari acceptait toujours les absences des étudiants qui étaient obligés de travailler pour se payer leurs études ou pour d’autres raisons. Cette tolérance montrait à quel point il comprenait l’importance de l’ascenseur social dans le monde ouvrier, même si l’évolution de l’école apporta une sociologie de plus en plus aisée (malgré les efforts des directions successives).
La sévérité n’était d’ailleurs pas réservée qu’aux seuls étudiants mais aussi à ses collègues enseignants et il refusait tout recrutement d’un professeur qui n’était pas capable de lui écrire sur le champ les quatre équations de Maxwell (en électromagnétisme), même si la discipline enseignée n’aurait eu rien à voir. Il considérait qu’il y avait un minimum de culture scientifique général à avoir pour enseigner dans son école.
Évolution de l’ESSTIN
Passionné par l’évolution de l’école, Roger Mari créa à Nice-Sophia-Antipolis une antenne plus axée sur la maintenance et la communication qui ouvrit ses portes en 1988 dans un site ouvert aux nouvelles technologies de l’information, et à Blois (sur la maintenance industrielle) l’année suivante. Ces deux succursales sont devenues par la suite des écoles à part entière, l’École supérieure d’ingénieurs de Nice-Sophia-Antipolis (ESINSA) et l’École d’ingénieurs du Val de Loire (EIVL).
Cette extension entraîna un concours commun d’admission dès 1992 (avec six écoles) puis, en 2009, le concours GEIPI-Polytech (groupement des écoles d’ingénieurs à préparation intégrée) qui regroupe actuellement vingt-trois écoles publiques d’ingénieurs.
Roger Mari considérait que le recrutement des étudiants étaient un élément-clef dans l’excellence des futurs diplômés et chaque année, il regardait de très près les opérations du concours d’admission. À l’issue de ses mandats de directeur de l’école, il fut même le responsable attitré du service concours où il réalisa le regroupement évoqué avec d’autres écoles.
Un caractère bien trempé
Bien qu’officier dans l’ordre des Palmes académiques et chevalier dans l’ordre national du Mérite, Roger Mari s’intéressait peu aux honneurs et à l’apparat, à tel point que dans les grandes cérémonies pour attribuer un titre de docteur honoris causa à une personnalité à Nancy, il était le seul, sur la photographie, à arborer le simple complet veston, sans avoir mis la toge un peu grotesque des universitaires.
Lors d’une remise de diplômes, dans les années 1980, il avait joué un peu le Claude Allègre d’avant l’heure, avec son aisance intellectuelle et sa franchise tonitruante, en contestant les premières alarmes écologistes sur le réchauffement climatique. Il avait réalisé un calcul assez long sur la faible corrélation entre l’augmentation de deux degrés Celsius de la température moyenne à la surface de la planète et l’augmentation du niveau des eaux en prenant en compte les données thermodynamiques de la planète Terre. Une démonstration qui avait laissé sans voix les auditeurs et qui avait convaincu beaucoup d’entre eux.
Sa franchise tonitruante, c’était aussi ses colères, parfois justifiées, aussi bien contre des étudiants « sybarites » qui paressaient un peu trop à son goût, que contre les ayatollahs de Téhéran. La virulence se déclinait surtout en ironie.
Une fois à la retraite, Roger Mari continua à travailler pour aider les étudiants en leur proposant un soutien scolaire en physique et chimie de niveau lycée et Premier cycle universitaire.
Un engagement municipal
Son caractère bien trempé l’avait aussi conduit à s’engager politiquement à Villers-lès-Nancy (ville d’environ vingt mille habitants en banlieue ouest de Nancy) en mars 1989, à la tête d’une liste divers droite sur laquelle figurait son collègue Robert Mainard. Il fut élu à plusieurs reprises conseiller municipal jusqu’en 2008 (avec une interruption entre 2001 et 2003).
C’est dans ces conditions électives que j’avais dû le rencontrer l’une des dernières fois à la Cité judiciaire de Nancy où se déroulent habituellement les élections sénatoriales en Meurthe-et-Moselle.
Le recteur Marcel Bonvalet
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Par un triste hasard, son prédécesseur à la direction de l’ISIN, Marcel Bonvalet, disparaissait quelques jours plus tard, à 81 ans le 28 juin 2009. Professeur de mécanique, Marcel Bonvalet fut le directeur de l’ISIN de 1960 à 1967, puis le directeur de l’INSA de 1967 à 1969, et le directeur de Normale sup. de Cachan entre 1985 et 1989. Entre temps, il fut recteur à Madagascar puis à Amiens où il participa à la création de l’UTC à Compiègne et de beaucoup d’autres écoles d’ingénieurs en Afrique.
Les 50 ans de l’ESSTIN
Ces deux directeurs Marcel Bonvalet et Roger Mari recevront un hommage solennel à l’occasion du cinquantenaire de l’ESSTIN, qui aura lieu dans un peu plus d’une semaine, le 26 juin 2010. L’hommage (prévu à 11h30 à l’ESSTIN) sera suivi d’une conférence du célèbre astrophysicien Hubert Reeves (à 15h00 au Parc des Expositions de Nancy).
La rigueur et l’exigence de Roger Mari ont fait que ses anciens étudiants ne l’oublieront pas de si tôt. Puisse sa mémoire rester intacte auprès des nouvelles promotions de son école.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (17 juin 2010)
Pour aller plus loin :
La disparition de Roger Mari.
Roger Mari au conseil municipal de Villers-lès-Nancy.
La disparition du recteur Bonvalet.
Olivier Lejeune.
L’ESSTIN fête ses 50 ans.
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http://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/roger-mari-un-universitaire-qui-76988

http://www.lepost.fr/article/2010/06/17/2117198_roger-mari-un-universitaire-qui-aura-marque-plusieurs-generations-d-etudiants.html




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