"L'esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l'aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d'une fleur de lys une épaule; s'il récidive un autre mois pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d'une fleur de lys sur l'autre épaule; et, la troisième fois, il sera puni de mort."
Code noir (1685). Article 38.
Élaboré par le ministre Jean-Baptiste Colbert (1616 - 1683), il fut promulgué en mars 1685 par Louis XIV.
Gilles Rapaport nous propose une réflexion sur l'esclavage à travers l'expérience d'un esclave - homme ou femme - se heurtant à l'inéluctable barbarie de l'article 38. Nous sommes propulsés dans les pensées de l'esclave luttant désespérément contre la cruauté du maître blanc. Que pouvait penser un être humain confronté à la brutalité de la condition d'esclave ? Cette pensée était certainement son dernier espace de liberté, le dernier rempart contre les méfaits de la civilisation soi disant bien pensante.
Les illustrations de Gilles Rapaport sont tout à
fait adaptées : elles éclaboussent le lecteur tout en restant sobre et en rendant parfaitement la souffrance ressentie. Le paradoxe décrit ci-après transparaît aussi : l'homme blanc semble si
souvent inhumain alors que l'humanité transpire dans la souffrance de l'homme noir.
Quel paradoxe ! Celui d'une humanité qui n'est très souvent pas là où elle s'affirme mais toujours présente là ou elle est bafouée, niée.
Le colon est bien moins humain que celui qu'il asservit.
Que pense-t-il lui ? Ce colon, sûr de son pouvoir, de sa supériorité, de sa position de dominant, est-il conscient de l'inhumanité de ses actes ?
L'histoire retient Colbert, Louis XIV, Napoléon (qui a rétablit le code noir en 1802, après qu'il fut abolit par les révolutionnaires en 1794) ; il aura fallu attendre le XX° siècle pour entendre Malcolm X, Martin Luther King, Toussaint Louverture et toutes les autres étoiles noires (cf. le livre du footballeur Lilian Thuram, pas lu encore, mais ô combien utile me semble-t-il).
Voici un album nécessaire, permettant d'ouvrir un dialogue avec les enfants, faisant aussi oeuvre de mémoire sur
des pans de notre histoire, bien trop longtemps niés. Encore, aujourd'hui, de trop nombreux adultes refusent de voir cette réalité en face : celle d'une France, d'un pays, de dirigeants ayant
commis des exactions, signes de la pire des barbaries - le refus de reconnaissance de la condition humaine -. Toute initiative, artistique et pédagogique, oeuvrant contre ces méconnaissances,
luttant pour le dévoilement de ces vérités permet aux enfants de grandir en ayant conscience de la fragilité de la condition de liberté. Gilles
Rapaport n'en est pas à son coup d'essai, puisqu'il avait déjà écrit et dessiné Grand-père sur la shoah.
Un billet sur le site du Matricule des Anges, le site de Gilles Rapaport.
Un homme
Gilles Rapaport, Albums Circonflexe, 2007 - 13,50 €.