Par Nicolas Vidal - BSCNEWS.FR / Lorsqu’on entend murmurer, chuchoter ou même prononcer Musso, on pensait forcément et jusqu’à présent à Guillaume. Mais aujourd’hui, Musso se décline sous deux identités bien différentes en terme d’écriture. Valentin Musso est le frère de Guillaume Musso et il publie à son tour son premier thriller aux Editions des Nouveaux Auteurs, une maison d’édition lancée à la manière des récents labels participatifs de musique sur Internet.
Après avoir été plébiscité par un jury de lecteurs, Valentin s’affronte à son tour au grand lectorat. Alors, ne demandez pas à Valentin quel effet cela fait d’avoir son livre en librairie aux côtés de son frère mais plutôt quel écrivain est-il ?
Et il n’hésitera pas à vous répondre avec plaisir et passion. Car Valentin Musso n’est pas «le Frère de», il est surtout l’auteur d’un style à part entière.
Partons à sa rencontre.
Valentin, pourquoi avoir choisi de passer par les Editions des Nouveaux Auteurs ? L'envie de confronter immédiatement son texte à un comité de lecteurs ou plutôt l'envie d'être simplement lu ?
J’ai immédiatement aimé le concept original de cette maison d’édition qui repose sur l’idée d’un comité citoyen. Des lecteurs passionnés et indépendants vous notent et établissent des fiches de lecture très détaillées de votre roman, ce qui m’a permis d’être d’emblée confronté à un vrai lectorat qui a dit en toute franchise ce qu’il pensait de mon travail. C’est un concept intéressant qui a fait émerger de vrais talents comme David Hepburn ou Laurent Guillaume, des auteurs qui ont rencontré de beaux succès en librairie et qui ont été salués par leurs pairs.
Que représente pour vous l'avis des lecteurs plus que celui d'un comité éditorial d'une grande maison d'édition ?
Il y a évidemment dans leur jugement quelque chose de plus immédiat : seul entre en compte le plaisir qu’ils ont pris à la lecture de votre livre, sans les contraintes éditoriales d’un comité de lecture professionnel. Les grandes maisons d’édition reçoivent de plus en plus de manuscrits et beaucoup d’entre elles ne sont plus capables de publier les premiers romans de parfaits inconnus. Du coup, sans tomber dans la légende selon laquelle aucun manuscrit envoyé par la poste ne serait lu, de nombreuses publications sont évidemment liées aux relations ou à l’activité professionnelle de l’auteur. C’est le secret de polichinelle de l’édition. Je déteste toutes les formes de népotisme et je n’aurais pas aimé être publié à cause de mon nom. La ronde des innocents a d’ailleurs été proposée au comité de lecteurs sous un pseudonyme, pour qu’ils ne soient influencés ni en bien ni en mal.
Valentin, quand avez-vous commencé à prendre la plume pour écrire ?
J’ai commencé à écrire il y a quelques années. Des bouts d’histoire que je ne voulais pas forcément faire lire à d’autres personnes. À l’époque, mes études et les concours me prenaient tout mon temps. Je n’avais pas vraiment le temps d’écrire sereinement.
Est-ce que cet amour de l'écriture est indissociable de votre métier de professeur agrégé de Lettres ?
J’ai baigné toute mon enfance dans la littérature. Ma mère était bibliothécaire, il y avait des tonnes de livres à la maison. Il est évident que souvent la lecture crée le désir d’écriture. Cela dit, je différencie bien mon métier d’enseignant de l’écriture : parler de littérature et écrire sont deux choses tout à fait distinctes. Ce n’est pas parce que vous êtes agrégé de lettres que vous écrirez forcément. Je pense qu’on peut être très fort pour analyser les textes et transmettre l’amour de la littérature sans être capable d’écrire un roman. L’écriture n’est pas affaire d’érudition, même s’il y a des codes narratifs à intégrer et des procédés littéraires à connaître. Mais on peut tout à fait les apprendre de façon intuitive, en autodidacte.
Y-a t-il eu un moment fondateur qui vous a donné l'enthousiasme et l'envie d'écrire un roman ?
Ces choses-là mûrissent très lentement. Il peut bien sûr y avoir un déclic qui vous fasse franchir le pas, mais je ne pense pas qu’on puisse se réveiller un matin en se disant : « Tiens, si j’écrivais un roman ». Je crois en tout cas que j’ai eu très tôt envie de raconter des histoires, dès l’époque où j’ai découvert des livres comme Le comte de Monte Christo de Dumas ou Le grand Meaulnes d’Alain Fournier. Mais il y a évidemment un gouffre entre vouloir raconter une histoire et passer à l’acte de façon sérieuse.
On ne peut s'empêcher de parler de votre frère qui est l'un des auteurs français les plus lus et les plus médiatiques. Comment vivez-vous cette situation par rapport à votre écriture et à votre création littéraire ?
La célébrité et la médiatisation de mon frère n’ont jamais constitué pour moi un problème, pas même au moment d’écrire. Il a beau vendre des millions de livres, tout cela reste relativement abstrait et n’a rien changé à nos rapports. Ceux qui liront mon livre verront que, même si nous avons certaines références en commun, nous écrivons dans des genres éloignés et que nos écritures sont différentes. Guillaume n’a jamais écrit de véritable thriller. De toute façon, lorsque je suis seul devant mon ordinateur ou ma page blanche, je ne pense qu’à l’histoire que je suis en train de raconter, pas au fait que mon frère soit connu ou qu’on risque de comparer nos livres.
La Ronde des innocents respecte les codes du thriller entre suspens, rebondissements et volte-face. Quelles sont vos inspirations littéraires en la matière ?
Si je devais remonter assez loin dans le temps, je dirais qu’à l’adolescence la lecture d’un livre de Stephen King, Dead zone, a été pour moi un véritable choc. J’ai lu ce roman d’une traite, dans un état presque second. Je ne lisais jusque-là que de la littérature « classique » et j’ai compris avec Stephen King qu’on pouvait écrire des romans incroyablement divertissants et traitant a priori de thèmes saugrenus, mais avec une haute exigence d’écriture et de psychologie des personnages. Par la suite, j’ai découvert de formidables auteurs du même genre comme Richard Matheson. Aujourd’hui, même si je m’intéresse à tous les genres, je continue à lire beaucoup de policiers. Les deux auteurs que j’admire le plus sont certainement Dennis Lehane et Jean-Christophe Grangé. Avec eux, on est sûr de ne jamais être déçu. Je suis très attiré par les policiers psychologiques : Val Mac Dermid, Linda La Plante, Elisabeth George, récemment Jessee Kellerman. J’aime aussi beaucoup l’originalité de Frank Thilliez qui, tout en subissant l’influence des romans américains, rend crédibles des histoires se déroulant en France. emplis à ras bord de savoureuses visions !
Qu'est ce qui vous a amené sur la piste du Thriller plus que sur celle du roman en terme d'écriture ?
Il est évident que le fait d’être très porté, en tant que lecteur, vers les thrillers conditionne un peu votre écriture. Je ne pense pas qu’on puisse écrire un policier sans avoir « disséqué » auparavant les maîtres du genre : tous les bons auteurs de thrillers comme Chattam, Bauwen, Thilliez n’arrêtent d’ailleurs pas de le dire. Mais cette attirance pour la littérature de genre n’explique pas tout. L’histoire de ce roman a une origine un peu particulière. J’ai eu l’occasion, dans le cadre de mon métier d’enseignant, de m’intéresser aux enfants précoces : je me suis passionné pour ce sujet et j’ai lu beaucoup de livres sur ce qu’on appelle aujourd’hui la « surdouance ». J’ai alors imaginé l’histoire d’un enfant à part qui va devenir un objet de convoitise pour beaucoup de monde. À partir de ce point de départ, des situations et des rebondissements se sont lentement mis en place, ce qui m’a naturellement orienté vers le thriller. J’avais aussi imaginé depuis longtemps l’histoire d’un meurtre perpétré dans l’univers des classes prépa : cette seconde intrigue s’est greffée à la première.
Quelles sont pour vous les différences notables entre ces deux styles littéraires ? Et les libertés que l'un n'accorde pas à l'autre ?
On a tendance a vouloir à tout prix classer les auteurs dans deux catégories : d’un côté celle des storyteller comme disent les Américains, les « raconteurs d’histoires », de l’autre celle des stylistes. Je trouve cette opposition binaire réductrice. Pour moi, Lehane et Grangé ne sont pas de formidables auteurs de policiers, ce sont de formidables auteurs tout court. On a souvent l’impression qu’on ne peut pas être considéré comme un véritable écrivain si on a l’audace de vouloir raconter une bonne histoire. Bien sûr, le thriller, comme la littérature de genre d’une façon générale, impose un cahier des charges plus contraignant, un certain nombre de codes à suivre. Mais ces codes ne sont que des contraintes apparentes. C’est la fameuse image de la corde et du cerf-volant d’André Gide : la corde n’empêche naturellement pas le cerf-volant de monter. Cela dit, la grande difficulté du policier, c’est d’éviter de tomber dans les clichés inhérents au genre ou dans une frénésie du page-turner qui devient parfois agaçant dans certains romans. Un bon thriller doit aussi être capable de créer des atmosphères et de développer des psychologies de personnages qui tiennent la route. Dans mon roman, j’essaie de faire des clins d’œil à des auteurs que j’aime ou de détourner certaines situations type du policier pour prendre un peu de distance par rapport à ces règles.
Vous avez fait le choix dans votre livre de traiter deux histoires en parallèle qui se recoupent par la suite. Ce n'est pas toujours une chose aisée. Dans votre roman, cela fonctionne fort bien et le rapprochement est pertinent. On peut imaginer qu'au cours de la conception du livre, une telle construction demande du temps et de la réflexion. Combien de temps donc vous a t-il fallu pour écrire et achever la Ronde des Innocents ?
La construction en deux histoires parallèles s’est immédiatement imposée à moi, mais je ne peux pas dire pourquoi au risque de dévoiler une partie importante de l’intrigue. C’est un procédé que j’adore dans le roman policier : récemment, j’ai lu deux très bons romans construits sur ce principe, Les Visages et Le tailleur de pierre. Le principal problème avec ce type de construction, c’est qu’il faut prendre garde de ne pas perdre le lecteur dans un émiettement excessif ou dans des allers-retours confus, ni d’être trop simpliste pour éviter qu’on établisse trop vite les liens entre les deux histoires. Ce procédé affecte d’ailleurs moins l’écriture elle-même que la construction d’ensemble du livre. Pourtant, je vais peut-être vous étonner en disant que je me suis assez vite plongé dans l’écriture, en n’ayant qu’une idée très générale du « squelette » de l’histoire. Je suis toujours surpris d’entendre des écrivains expliquer qu’ils passent six mois à bâtir le canevas de leur roman sans écrire la moindre ligne. J’ai besoin, moi, de me confronter très rapidement à l’écriture car elle fait évoluer l’histoire que l’on a en tête : quantité de situations qui semblaient bonnes en théorie se révèlent ensuite peu crédibles ou maladroites. J’ai écrit le livre en un peu moins d’un an. La rédaction à proprement parler a donc été plutôt rapide, mais je portais en moi depuis longtemps les thèmes abordés dans le livre et l’intrigue.
Une anecdote d'écriture particulièrement savoureuse ou marrante à faire partager à nos lecteurs ?
La première fois que j’ai fait lire le roman à ma femme, elle a adoré l’histoire, le thème et les rebondissements mais elle trouvait que certains dialogues que j’avais mis dans la bouche des personnages féminins étaient complètement loupés. « Jamais une femme ne dirait une chose pareille ! » m’a-t-elle dit. Du coup, j’ai repris ma copie plusieurs fois jusqu’à ce qu’elle me confie qu’elle s’était totalement identifiée au personnage de Justine, l’héroïne. C’est ce qu’un auteur recherche avant tout, que le lecteur puisse se mettre à la place des personnages.
Quelles émotions souhaitez-vous que votre livre procure aux lecteurs ?
J’ai naturellement envie que ce roman tienne en haleine le lecteur, l’inquiète et l’angoisse par moments, c’est tout de même le but d’un thriller. J’aimerais pourtant que ce livre ne fasse pas que procurer des émotions. J’ai voulu aborder, derrière une pure fiction et dans une littérature de genre, des thèmes qui me sont chers comme le mal-être de l’enfance et de l’adolescence ou la complexité des rapports père-fils. Divertir tout en parlant de nos peurs ou de nos angoisses, parfois ataviques, c’est je crois la grande force du genre policier et des thrillers.
Que diriez-vous aux lecteurs du BSC NEWS MAGAZINE pour les inciter à se ruer sur la Ronde des Innocents ?
Quand j’ai écrit ce livre, j’avais toujours en tête l’idée de conduire mon futur lecteur hors des sentiers battus. Une lectrice a écrit dans la fiche de lecture qu’elle a faite du livre qu’il était « palpitant et déconcertant ». Ce deuxième adjectif est très important pour moi, car c’est exactement ce à quoi je voulais arriver. Au milieu du livre, le lecteur sera certainement assez surpris de l’orientation que prendra l’histoire. Dans le genre du thriller, je crois qu’il faut savoir prendre quelques risques pour ne pas rester dans la tiédeur, le pire défaut qui puisse guetter ce type de littérature. LA RONDE DES INNOCENTS
Valentin Musso
Editions Les Nouveaux Auteurs
Thriller - 384 PAGES