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Ne pas noter un élève dispensé de cours de “catéchisme” : une stigmatisation discriminatoire (CEDH, 15 juin 2010, Grzelak c. Pologne)

Publié le 16 juin 2010 par Combatsdh

Droit des élèves de ne pas être contraints de révéler indirectement leurs convictions religieuses ou l’absence de telles convictions

par Nicolas Hervieu

catech.1276692124.gifUn enfant dont les parents avaient souhaité qu’il ne suive pas d’enseignements religieux à l’école publique n’a pu accéder, en remplacement et conformément à la législation polonaise, à des cours d’éthique. Les autorités scolaires locales justifièrent cette impossibilité par le nombre insuffisant d’enfants demandeurs de ces cours. En conséquence, sur les bulletins scolaires de cet élève, de l’année 1998/1999 à l’année 2008/2009, aucune note ne fut inscrite dans l’espace intitulé “religion/éthique” (« “religion/ethics” »), absence qui, selon la famille intéressée, révèle indirectement les convictions religieuses de l’élève ou plutôt, en l’occurrence, l’absence de telles convictions.

La Cour européenne des droits de l’homme décide d’examiner séparément et sous deux angles distincts les prétentions des parents et de leur enfant. Pour ces premiers, la Cour rejette leurs allégations de violation du droit à l’instruction (Art. 2 du Protocole n° 1) au sujet du refus d’assurer un cours d’éthique au profit de l’enfant. Elle considère que la marge d’appréciation reconnues aux États sur ce terrain exclut que l’on puisse dériver de ce droit à l’instruction une obligation d’organisation d’un cours de religion ou d’éthique (§ 104 - Sur la marge nationale d’appréciation concernant les cours d’éthique, v. Cour EDH, Dec. 5e Sect. 6 octobre 2009, Appel-Irrgang et autres c. Allemagne, Req. n°45216/07 - Actualité Droits-Libertés du 11 novembre 2009 et CPDH “drot à l’instruction“). Cette carence de cours d’éthique en remplacement des cours de religion n’emporte donc pas condamnation de la Pologne au titre de ce droit à l’instruction (§ 105).

Il en est toutefois différemment s’agissant de l’absence - corrélative - de notes au titre des enseignements “religion/éthique“. En effet, cette absence est envisagée sur le terrain de la discrimination dans la jouissance de la liberté de pensée, de conscience et de religion (§ 50 - Article 9 combiné à l’article 14), seul l’enfant - et non ses parents - étant recevable ratione personae à invoquer un tel grief (§ 52). Dans ce cadre, à l’aune du rappel selon lequel l’article 9 protège également “les athées, les agnostiques, les sceptiques et les indifférents” (§ 85) et assigne à l’État un rôle d’”organisateur neutre et impartial de l’exercice des diverses religions, cultes et croyances” (§ 86), la Cour met une nouvelle fois en exergue que “la liberté de manifester ses convictions religieuses comporte aussi un aspect négatif, à savoir le droit pour l’individu de ne pas être obligé de faire état de sa confession ou de ses convictions religieuses et de ne pas être contraint d’adopter un comportement duquel on pourrait déduire qu’il a ou n’a pas de telles convictions” (§ 87). En conséquence, entrent dans le champ de l’article 9 les hypothèses “où l’État est à l’origine d’une situation dans laquelle des individus sont obligés - directement ou indirectement - de révéler qu’ils sont non-croyants (§ 87 - « there will be an interference with the negative aspect of this provision when the State brings about a situation in which individuals are obliged - directly or indirectly - to reveal that they are non-believers »). Or, tel est ici le cas, puisque les juges européens considèrent que “l’absence de note pour la ‘religion/éthique’ […] peut être regardée comme révélant la non-appartenance religieuse” (§ 88), l’obligation étatique de non-révélation des convictions de l’élève étant d’ailleurs jugée encore plus impérative dans le contexte d’”un important service public tel que l’éducation” (§ 87).

L’admission de l’applicabilité de l’article 9 aux faits de l’espèce permet à la Cour de faire jouer l’article 14 et donc d’analyser si cette absence de note est constitutive d’une différence de traitement discriminatoire entre “un non-croyant qui souhaite suivre des cours d’éthique” et les “élèves qui suivent des cours de religion” (§ 90). Face à cette question, la Cour ne remet pas en cause l’idée même d’une note pour de tels cours dès lors, cependant, que celle-ci “constitue une information neutre” (§ 92). Car, par analogie avec la mention de la religion sur les cartes d’identité (v. Cour EDH, 2e Sect. 2 février 2010, Sinan Işik c. Turquie, Req. n° 21924/05 - Actualités droits-libertés du 3 février 2010 et CPDH même jour), le droit de l’élève de ne pas être contraint, même indirectement, de révéler leurs croyances religieuses ou l’absence de celles-ci” (§ 92) peut être mise en cause via les bulletins de notes, même si la Cour souligne certes que les documents d’identités ont “une plus grande importance dans la vie d’une personne” que ces “bulletins scolaires du primaire et du secondaire” (§ 93).

En l’espèce, la juridiction strasbourgeoise estime que “l’absence de note pour ‘la religion/éthique’ peut être comprise par toute personne raisonnable comme une indication de ce que [l’enfant] n’a pas suivi d’enseignements religieux, qui sont accessibles partout [à la différence des cours d’éthique], et qu’il est ainsi probable qu’il soit considéré comme une personne dépourvue de croyances religieuses” (§ 95 - « the absence of a mark for “religion/ethics” would be understood by any reasonable person as an indication that the third applicant did not follow religious education classes, which were widely available, and that he was thus likely to be regarded as a person without religious beliefs »). Surtout, la conclusion selon laquelle “le message véhiculé par un tel document est sans équivoque et tout sauf neutre” est mise en relation avec le contexte particulier de la Pologne “où la grande majorité de la population adhère à une religion précise (§ 95 - on remarquera que la Cour a utilisé dans le retentissant arrêt Lautsi c. Italie un raisonnement et un vocable proche quant à la prise en compte du contexte religieux d’un pays : Cour EDH, 2e Sect. 3 novembre 2009, Lautsi c. Italie, Req. n° 30814/06, § 50 - Actualités Droits-Libertés du même jour et CPDH même jour - N.B. l’arrêt a été renvoyé devant la Grande Chambre : Actualité Droits-Libertés du 9 mars).

La Cour européenne des droits de l’homme conclut donc à l’existence d’une discrimination et “à une forme de stigmatisation injustifiée (§ 99 - « a form of unwarranted stigmatisation ») des élèves non-croyants souhaitant suivre des cours d’éthique. Mais, et ceci rend un peu surprenant voire inutile le choix de la Cour de recourir à l’article 14, le cœur de la violation réside dans le fait que ces élèves, dont le requérant, sont conduits indirectement à révéler leurs convictions religieuses, ce qui affecte “l’essence même” du droit protégé à l’article 9 (§ 100). Cette condamnation de la Pologne pour violation de l’article 14 combiné à l’article 9 (§ 101) contraste avec la décision d’irrecevabilité rendue par le passé dans une affaire pourtant très proche (Cour EDH, Dec. 3e Sect. 26 juin 2001, Bartosz Saniewski c. Pologne, Req. n° 40319/98). Dans le présent arrêt, les juges européens ont donc tâché de mettre en valeur les différences avec l’affaire de 2001 (§ 98 - V. contra l’opinion partiellement dissidente du juge Thór Björgvinsson, spé. § 7). Certes, il est vrai qu’entretemps l’impact de l’absence de notes en éthique s’est accru depuis que la règlementation polonaise a intégré dans le calcul de la moyenne générale des élèves ces notes de religions et d’éthique (§ 96). Cependant, l’élément décisif qui explique la différence de solution semble surtout résulter du renforcement récent et particulièrement notable de la facette négative de la liberté religieuse (v. ainsi : droit de ne pas avoir à révéler sa religion sur des documents d’identité - Sinan Işik c. Turquie, 2010, Précité - ; droit des élèves de ne pas subir l’exposition de signes religieux, ici une croix, dans une salle de classe d’une école publique - Lautsi c. Italie, 2009, Précité - ; droit de ne pas avoir à révéler ses convictions religieuses devant une juridiction par une prestation de serment sur la bible ou son refus - Cour EDH, 1e Sect. 21 février 2008, Alexandridis c. Grèce, Req. no 19516/06 et une déclinaison récente Cour EDH, 1e Sect. 3 juin 2010, Dimitras et autres c. Grèce, Req. n° 42837/06). Alors qu’en 2001 la Cour affirmait encore qu’elle “laissa[it] ouverte la question de savoir si l’article 9 de la Convention garantit un droit de garder le silence sur ses croyances religieuses” (« leaving open the question whether Article 9 of the Convention guarantees a right to remain silent as to one’s religious beliefs » - Bartosz Saniewski c. Pologne, précité), force est aujourd’hui de constater que la jurisprudence strasbourgeoise protège solidement la liberté de ne pas adhérer à une religion, de ne pas la pratiquer et de ne pas révéler ses convictions religieuses ou leur absence, faisant véritablement de “l’article 9 […] aussi un précieux atout pour les non-croyants(« Article 9 is also a precious asset for non-believers » - § 87).

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En Pologne, l’absence de note dans l’espace intitulé “religion/éthique”  révélait indirectement les convictions religieuses de l’élève ou plutôt, en l’occurrence, l’absence de telles convictions. La Cour de Strabourg estime cela comme constituant une discrimination fondée sur la non appartenance religieuse

Grzelak c. Pologne (Cour EDH, 4e Sect 15 juin 2010, Req. no 7710/02) - En anglais

Actualités droits-libertés du 15 juin 2010 par l’impénitent Nicolas HERVIEU 

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