Le vrai prix des cendres

Publié le 15 juin 2010 par Toulouseweb
L’éruption du volcan Eyjafjöll est riche d’enseignements.
Les compagnies aériennes, européennes et plus lointaines, se sont déchaînées en constatant, en avril, que leur bon fonctionnement était gravement perturbé par une Ťsimpleť éruption volcanique. Certes, il y avait danger et, en męme temps, pičtre gestion de crise. Sous prétexte que personne n’était pręt ŕ affronter des nuages de cendres et qu’il convenait tout d’abord d’appliquer le sacro-saint principe de précaution, de réfléchir ensuite, puis agir.
Il n’est pas vraiment utile de revenir sur l’invraisemblable chaos qui s’était installé le 15 avril mais, aujourd’hui, des enseignements intéressants peuvent en ętre tirés. A travers leurs associations professionnelles, essentiellement l’IATA et l’AEA, les compagnies avaient rapidement mis la pression sur les autorités, mais cela en faisant bien peu de propositions concrčtes. Pire, elles avaient donné l’impression d’ętre prętes ŕ prendre des risques, ce qui était heureusement faux, cela faute de trouver les bons mots. En clair, toutes ont surtout parlé euros et dollars, de maničre qui, pour faire simple, manquait de grandeur d’âme. Il est vrai que les dirigeants de compagnies aériennes sont rarement des počtes et ils le sont encore moins quand survient une crise extravagante et sans précédent, cela ŕ un moment oů la profession va mal, fragilisée par deux ans de trčs basse conjoncture.
Les circonstances atténuantes étaient effectivement solides et nombreuses. Maintenant que nous sommes tous devenus des vulcanologues avertis, nous savons que c’était la quatričme éruption répertoriée de l’indicible Eyjafjöll, la premičre datant de 550, la derničre de 1827. C’est-ŕ-dire 83 ans avant le premier vol des frčres Wright. D’autres incidents similaires ont certes eu lieu depuis que l’aviation existe mais leur gravité était nettement moindre. Ce qui n’excuse pas l’inaction ou, plus exactement, l’étonnante inertie des autorités, nationales et européennes ou encore le silence de l’Agence européenne pour la sécurité aérienne. Cette derničre, encore toute jeune, a raté lŕ une belle occasion de se faire connaître.
Autre bonne raison d’étonnement, les compagnies soulignent volontiers qu’elles maîtrisent parfaitement la communication de crise dans tout ce qu’elle peut avoir d’imprévu et de brutal. Chacun sait, en effet, que le mot crise est habituellement synonyme d’accident et qu’il est vital, en cas de malheur, de réagir vite et correctement. Ce qui se dit dans les premičres heures qui suivent un crash conditionne largement la suite des événements, limite ou aggrave les dégâts en termes d’image. Ici, aucun volcan n’étant mentionné dans les manuels, rien n’a fonctionné correctement.
En revanche, le calme revenu, des leçons tout autres peuvent ętre tirées de l’éruption du désormais célčbre volcan islandais. Il a montré, tout ŕ fait incidemment, que la plančte Terre ne peut plus fonctionner sans aviation commerciale. Ce qui revient ŕ dire que cette derničre ne doit pas ętre considérée comme une vulgaire source des taxes, impôts, redevances en tous genres, qu’elle n’est pas davantage une gigantesque machine ŕ produire du CO2 malfaisant pour le plus grand plaisir d’on ne sait quelle caste de privilégiés. Ces critiques, maintes fois entendues depuis qu’un ŤGrenelleť de l’environnement les a mises ŕ la mode, font beaucoup de tort en échange de petites phrases politiques qui rivalisent de ridicule.
Dans cet esprit, il faut savoir gré ŕ Airbus d’avoir fait appel aux économistes d’Oxford Economics pour évaluer le vrai coűt de ces cendres volcaniques. Non pas ce qu’il en a coűté aux compagnies aériennes, aux aéroports et ŕ leurs boutiques de luxe, aux gestionnaires de l’espace aérien, etc. Non, le vrai coűt, c’est-ŕ-dire l’impact de cette crise inédite sur l’économie mondiale. La réponse est maintenant connue et tient en un seul chiffre : 5 milliards de dollars, au bas mot. Le rapport oxfordien, présenté il y a peu dans le cadre du World Travel and Tourism Council, a éloquemment montré que Ťl’aviation joue un rôle majeur en faisant partie intégrante des fonctions essentielles et quotidiennes de la société et du commerceť. La machine a été grippée, d’innombrables entreprises ont été confrontées ŕ de graves difficultés parce que les avions ne décollaient plus. Une preuve par l’absurde que l’industrie des transports aériens nous est totalement indispensable.
Elle contribue au PIB mondial, estime Oxford Economics, ŕ hauteur de 425 milliards de dollars. Sa part correspond ŕ une fois et demie la taille de l’industrie pharmaceutique, ou encore ŕ celle de l’industrie textile. L’aviation, en incluant sa contribution au tourisme, assure 33 millions d’emplois et assure, en valeur, 35% des échanges commerciaux. Le prix ŕ payer est de 2% des émissions de CO2 liées aux activités humaines et sera de 3% quand, ŕ l’horizon 2050, le trafic atteindra 16 milliards de passagers par an. Cela devrait suffire pour remettre quelques écologistes et ministres de l’Environnement dans le droit chemin.
Finalement, notre nouvel ami, le lointain Eyjafjöll, nous aura beaucoup appris. Ceux qui sont pręts ŕ se fâcher avec l’IATA et l’AEA devraient avoir le courage de le remercier.
Pierre Sparaco - AeroMorning