Qu'a donc fait cette femme ? A-t-elle supplié ou célébré ? Les deux thèses s'affrontent, avec d'autant plus d'entêtement que le récit de Luc fait bon poids à chacune, et l'on peut s'épuiser en discussions infinies. Le pardon est-il la cause ou l'effet de l'amour ? Ici, l'on soutient que Luc est le chantre de la miséricorde et que ce texte est, avec la parabole de l'enfant prodigue, l'un de ses plus beaux joyaux. L’indigne se repent, aime et obtient sa grâce. Mais là on rétorque : soit, elle a péché. Mais c'est un pardon préalable à son entrée en scène qui entraîne ces effusions d'amour. Elle rend grâces à Dieu par ce qu'elle est pardonnée, non pour l'être.
La parabole de deux débiteurs conduit impérieusement à cette conclusion : le premier aime beaucoup parce qu'il bénéficie d'une importante remise. Le second aime peu, ayant reçu une moindre grâce. L'amour de l'homme dépend-il donc de Dieu ? Ou le monde est-il ainsi fait que l'amour dérivant du pardon et le pardon du péché, seul aime le pécheur ?
Surprenante idée que Jésus semble confirmer quand il attribue le manque d'amour du pharisien à la modicité de sa dette et exalte les dons fastueux de la pécheresse ! Seulement, qu'est-ce que cette dette modique ? Et qui peut s'estimer quitte envers Dieu, à commencer par le parfait ? Celui qui croit devoir peu se met à devoir beaucoup. La présomption qui affiche une sorte d'égalité avec Dieu est une outrecuidance qui endette fort ! Du reste, petits ou grands, le péché est toujours le péché ; petite ou grande, la grâce toujours la grâce. Ce sont infimes variations dans cette infinie distance que le pécheur, mieux que le juste, appréhende entre Dieu et lui ! Tel est le statut de l'homme : pécheurs, il a à demander pardon de sa faute. Impeccable, il se croit au-dessus du pardon et ne peut plus aimer, péché qui, entre tous, appelle le repentir et la miséricorde ! Pardon et amour sourdent d'une conscience souffrante.