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Humiliations danoises

Publié le 10 décembre 2007 par François Monti

L’excellente maison québécoise Les allusifs a sans doute réussi le coup marketing de la récente rentrée littéraire en invitant les bloggers français à rencontrer Knud Romer dans un restaurant parisien à l’occasion de la parution de « Cochon d’Allemand ». Opération séduction réussie puisque je ne me souviens pas avoir lu autant de notes en ligne pour un autre livre de cet éditeur. Les litbloggers sont déjà courtisés aux Etats-Unis depuis un bon bout de temps et peut-être que cet évènement montrera la voie au reste de la profession en France. De l’autre côté de l’Atlantique, certains observateurs, parmi lesquels des bloggeurs, ne voient pourtant pas d’un bon œil la cour faite à la bouqinosphère parce que ces critiques amateurs seraient moins bien armés que les professionnels pour résister aux tentatives des éditeurs d’« acheter » de bons papiers – quand un livre gratuit est toujours chose exceptionnelle, on serait plus complaisant que lorsqu’on croule sous les copies de presse. C’est évidemment faire peu de cas de ce que l’on sait sur le journalisme et les connivences que beaucoup entretiennent avec ceux qu’ils sont censés juger. De plus, dans le cas de « Cochon d’Allemand », les qualités évidentes du roman sont sans aucun doute la raison principale de sa bonne réception.

Dans ce premier roman triplement primé au Danemark, Romer dresse un portrait de famille déstructuré par le flot étrange et incontrôlable de la mémoire : les scènes se suivent comme elles reviennent à l’esprit, non pas dans l’ordre mais par association d’idées. Perturbant au départ, ce mode opératoire donne finalement une puissance surprenante au récit, permettant de rendre au plus près des ulcères de l’auteur une enfance passée au milieu d’imbéciles et au côté d’une mère adorée mais presque impossible à vraiment aimer.

Knud Romer, né en 1960, est issu d’un couple mixte, père danois, mère allemande. Dans le petit village de son enfance, on n’a toujours pas digéré les années passées sous domination nazie et on s’arrange pour le faire sentir à la boche et à son gamin, accueilli à la rentrée des classes par des petits camarades chantant gaiement « Co-chon d’Alle-mand ! Co-chon d’Alle-mand ! Co-chon d’Alle-mand ! » dans un esprit de meute du plus bel effet en la circonstance. Entre la (longue) litanie des humiliations, des coups, des moqueries bref de l’ostracisme subit par la famille Romer, l’auteur refait aussi l’histoire de ses grands-parents des deux lignées, avec une insistance particulière sur le côté allemand. Se dégage ainsi le portrait touchant de sa mère, éduquée parmi la haute bourgeoise prussienne auprès d’un beau-père fascinant mais par trop inhumain. La guerre éclate alors qu’elle étudie à Berlin et tombe amoureuse d’un jeune homme qui sera exécuté pour activité terroriste. Après ce désastre sentimental, elle part à la recherche de sa famille que le conflit mondial touchant alors à sa fin a isolée et ruinée. Cette femme courageuse et même, selon Romer, résistante anti-nazie n’aura malheureusement pas la force de continuer à se battre une fois Hitler tombé. Elle rencontre un Danois qu’elle aime à la folie, le suit dans son village et baisse le pavillon devant l’hostilité locale, comme si les efforts précédents l’avaient vidée de ses forces. L’enfance de Knud se passera entre brimades scolaires et une mère alcoolique s’enfermant de plus en plus dans une folie amère.

Malgré de gros défauts – le moindre n’étant de grosses incohérences chronologiques et contradictions internes -, « Cochon d’Allemand » est un roman puissant, beau et dur, servi par une écriture qui, si elle ne fait jamais d’étincelles, est très solide. Après « Les inachevés », magistral livre de Jirgl, c’est la seconde fiction que je lis de 2007 à s’intéresser à ce que la seconde guerre mondiale a laissé aux Allemands. Le livre de Romer est un argument puissant contre ceux qui voudraient faire croire à la pertinence du concept de culpabilité collective d’un peuple, qui ne fait que diluer la responsabilité, permettant aux vrais coupables de se cacher et de clouer au pilori des individus dont le seul défaut aura sans doute d’avoir vécu au mauvais endroit, au mauvais moment.

Knud Romer, Cochon d’Allemand, Les allusifs, 16€


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