De 2002 à 2005, un raz-de-marée originaire d'Atlanta a littéralement envahi tous les états des Etats-Unis et dont certaines grosses vagues ont atteint les côtes européennes. Le responsable de ce tsunami était la Crunk Music, un genre de hip-hop Dirty South dérivé de la bounce music et qui provient à la base de la ville de Memphis. Et la personne qui surfait sur le haut de la vague n'était autre que le producteur Lil Jon, l'ancien directeur artistique du label So So Def, et ses assistants Lil Bo et Big Sam des Eastside Boyz qui ont ensemble en tant que rois du crunk vulgarisé ce style de rap sudiste devenu très tendance grâce à des hits incontournables comme « Get Low » avec les Ying Yang Twins et « Yeah », le tube planétaire de Usher qu'il a produit. Un beat minimaliste, de très grosses basses, des notes de synthétiseurs qui restent collés dans le crâne et des refrains gueulés, il ne fallait que ça pour retourner les clubs de la Terre entière. Très bourrin mais diablement efficace.
À lui seul, Lil Jon, avec les Eastside Boys, détient de multiples record : il est le double-recordman de ventes d'albums en indépendant aux Etats-Unis avec Kings of Crunk (double-platine), qu'il a battu par la suite avec son autre classique, Crunk Juice, un album où il varie sa musique crunk à diverses sauces, composant aussi avec une liste de VIP hallucinante (Usher, R Kelly, T.I, Ice Cube, Bun B, Ludacris, Snoop Dogg, Pharrell Williams...), et qui a fait double-platine aussi. Suite à ce succès retentissant, Lil Jon est sollicité par divers artistes, et pas des moindres, comme les vétérans de la Westcoast Ice Cube et E-40. Autre record recensé en 2008 qui lui appartient, puisqu'elle concerne sa chaîne 'Crunk Ain't Dead' : elle est la chaîne en diamants la plus lourde qui existe avec plus de 3500 diamants et pesant près d'un kilogramme. Pourquoi je parle de ce détail, car il est très révélateur. En 2008, son label TVT Records fait faillite, alors que Lil Jon en était la principale vache à lait. Dans cette histoire de sous, le producteur/rappeur/clubber n'a jamais perçu l'intégralité de ses royalties, faramineux. Au milieu de tout ça, de nombreux détracteurs annoncent la mort de la musique crunk.
Bref, après un repêchage par Universal Republic, et quatre années d'enregistrement, Crunk Rock arrive avec une maigre promo - il faut dire - dans les bacs la 2e semaine de Juin. Les puristes du genre seront ravi d'entendre la seconde partie de « Throw It Up » avec Pastor Troy et le jeune qui monte Wacka Flocka Flame. Sympa le clin d'oeil à Kings of Crunk mais ce qui nous intéresse réellement, en plus de voir comment a évolué ce sous-genre de club-rap, ce sont les morceaux crunk-rock proprement dits, et ils se comptent sur les doigts d'une main. Il y a d'abord les guitares électriques sur « Fall Out » avec les 'up-and-coming' Travis Porter et plus franchement sur « Killas » avec Elephant Man au refrain et l'apport de Game et Ice Cube. Pas étonnant que Lil Jon ait comparé ce morceau au classique « Natural Born Killaz » de Dre et Cube. Au lieu de quoi, le teufeur d'ATL réalise un morceau crunk... reggae, « On De Grind » en invitant Damian Marley et son frère Stephen pour le hook. En tout cas son Crunk'n B est très au point, le single « Ms Chocolate » en compagnie de R Kelly et Mario est im-pec-cable. En écoutant de près les morceaux crunks plus typiques, on s'aperçoit que les productions sont plus minimalistes (« Get In Get Out », le hit « Outta Your Mind » avec les LMFAO). Le doigté de Jon demeure reconnaissable mais son style paraît un peu changé, normal puisqu'il partage la production de cet album avec Drumma Boy et d'autres comme Shawty Redd, qui semble avoir bien repris la formule énergétique de crunk avec « G Walk » feat Soulja Boy, DJ Montay et Catalyst. On notera le retour des Ying Yang Twins sur le salace « Ride Da D », bien placés entre un « Pop That Pussy » incitant à la débauche et l'up-tempo techno « Like A Stripper », le slow moite « Moist » et « Every Freakin Night » qui ose sampler les Jodeci.
C'est trop tard pour se rendre compte que les choses se gâtent car dans sa volonté d'instaurer des tracks pour les clubs, Lil Jon s'est implanté dans la dance. Les derniers morceaux de Crunk Rock sont pratiquement dans cette veine, rythme sudistes uptempos et mélodies techno à gogo (« What A Night », « Like A Stripper », « Work It Out » feat Pitbull et « Hey »). C'est déplorable pour un producteur de ce calibre suive une tendance qui détourne cet album de son objectif initial, c'est-à-dire se marier à l'énergie du rock, bien que Lil Jon ait tenté de réarranger la musique dance avec du crunk. Conséquence inexorable : si jamais ce album traîne en un lieu, il risque de se transformer en club en puissance, que ce soit ton 20m2, ton garage, la salle d'attente d'un hospit', une salle de repos dans une maison de retraite ou même le Vatican.