Le premier pilote de jet

Publié le 14 juin 2010 par Toulouseweb
Un témoignage historique, celui du pilote du Heinkel He-178.
Une fois n’est pas coutume, l’occasion nous est donnée de remonter le cours du temps. De plus en plus rarement, des témoignages historiques importants, enfouis depuis la nuit des temps, réapparaissent et créent la surprise. Ainsi, voici qu’est publiée l’autobiographie d’Erich Warsitz qui fut, en 1939, le pilote du tout premier avion ŕ réaction, le Heinkel He-178 (1).
C’est un récit étonnant qui permet de croiser, outre Ernst Heinkel, le gotha de l’aéronautique allemande de la fin des années trente, par exemple Wernher von Braun et Pabst von Ohain. Bien que desservi par une traduction d’un style souvent approximatif, et qui aurait nécessité l’intervention rigoureuse d’un correcteur compétent, ce texte est important. Dű ŕ Luzt Warsitz, la fille d’Erich Warsitz, il a été rédigé en 1983 puis a traîné dans les tiroirs avant d’ętre enfin publié en Allemagne et maintenant en France.
Il y a trčs longtemps, l’avionneur Ernst Heinkel nous avait livré ses mémoires, ŤStürmisches Lebenť (2), un livre trčs dense, témoignage de qualité, mais, curieusement, l’avionneur ne s’était gučre attardé sur le He-178. Lequel avait été couvert par le secret militaire le plus absolu au point de laisser peu de traces et tout au plus deux ou trois photos de trčs mauvaise qualité, probablement prises ŕ la sauvette. Le premier vol, le 27 aoűt 1939, eut d’ailleurs lieu ŕ 4 heures du matin pour échapper ŕ la curiosité.
Il ne subsiste pas le moindre plan original, aucun dessin, aucune liasse. Aprčs la guerre, Heinkel et von Braun ont tous deux tenté de retrouver un minimum de documents sur le He-178, vainement. D’aprčs Warsitz pčre et fille, tous les dossiers ont été soigneusement emportés par les Soviétiques et, ŕ l’époque de la rédaction du récit, il y a maintenant plus de 25 ans, rien n’était accessible ŕ Moscou.
En raison de cette volonté de secret, ŕ l’époque, męme en Allemagne, on a peu parlé d’Erich Warsitz. Et il a fallu attendre trčs longtemps avant de comprendre ŕ quoi voulaient en venir le motoriste Pabst von Ohain et son camarade von Braun, pionniers audacieux du moteur fusée (le He-178 était doté d’un turboréacteur et d’une fusée d’appoint). Aujourd’hui, ŕ bien y regarder, c’était un appareil que l’on est tenté de qualifier de moderne, ŕ ailes hautes et empennages cruciformes classiques, dont le fuselage était construit en alliage léger tandis que les ailes étaient en bois.
Tardivement, peu avant sa mort en 1983, Erich Warsitz a raconté dans le détail la saga du He-178 ŕ sa fille. Tout n’y est pas, le lecteur reste ici et lŕ sur sa faim tout en allant d’une bonne raison d’étonnement ŕ l’autre. Ainsi, par exemple, doté d’un train tricycle arričre, pendant le décollage (manquant de surface portante, il quittait le sol ŕ 300 km/h) l’avion était tenu dans l’axe de la piste …en utilisant les freins. Warsitz connut de grandes frayeurs, sans accéder pour autant ŕ la célébrité.
Ernst Heinkel, en quęte de reconnaissance, espérait que son avion serait en mesure de battre le record du monde de vitesse en franchissant le cap symbolique des 1.000 km/h tandis que son moteur BMW 003 connaîtrait de nouveaux développements -ce qui fut le cas, la paix revenue, chez Snecma (ce fut l’Atar). Les essais du moteur-fusée, construit par Walter, menés par une équipe d’une centaine d’ingénieurs et techniciens, eurent tout d’abord lieu ŕ Neuhardenberg puis ŕ Peenemünde oů fut aussi développé le missile suborbital V2 de sinistre mémoire.
Les hauts responsables du IIIe Reich, pressés par les événements, ont arręté les programmes d’avions de combat qui n’étaient pas pręts ŕ ętre construits en série. Le He-178 n’échappa pas au couperet alors que Hitler, Goering, Milch, Udet, avaient examiné l’appareil et rencontré Heinkel et Warsitz.
C’est évidemment de l’histoire trčs ancienne qui confirme qu’au plan technique, l’Allemagne faisait la course en tęte. Reste le fait, étonnant, qu’un témoignage de cette importance ait été longtemps oublié et sorte au grand jour quand on ne l’attendait plus.
Reste ŕ savoir si un historien de l’aéronautique plus courageux que les autres se décidera ŕ partir pour Moscou, ŕ la recherche des dossiers He-178. Soixante-dix ans aprčs le premier décollage historique d’aoűt 1939, nous pourrions alors en apprendre davantage.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(1) ŤPremier pilote de jetť, par Luzt Warsitz, Editions Altipresse, un ouvrage illustré de 158 pages, 22 euros.
(2) ŤA L’assaut du cielť, Plon, 286 pages, 1955