C’est en
2003 qu’Annette Wieviorka, directrice de recherche au CNRS, a appris le
versement, par la famille, du Fonds Thorez-Vermeersch aux archives de France.
Elle a immédiatement entrepris d’écrire une histoire du couple formé par
Maurice Thorez, chef historique du Parti communiste français, et Jeannette
Vermeersch.
Ces sept
années de travail nous donnent un livre de référence pour les historiens, mais
aussi, par la grâce d’une écriture élégante et simple, pleine d’humour et de
faits passionnants, pour tous les amateurs d’histoire contemporaine.
Les
premiers chapitres décrivent la misère du monde ouvrier du Nord, où sont nés
Maurice et Jeannette. Une organisation solidaire, et des conquêtes sociales du
siècle antérieur, permettent aux mineurs d’échapper partiellement au dénuement
matériel et moral du textile. Les premiers pas du jeune Maurice sont guidés par
les anciens syndicalistes et militants socialistes. Ses qualités sont évidentes
et, après le Congrès de Tours, qui, en 1920, consomme la rupture entre
communistes révolutionnaires et socialistes réformistes, il grimpe les échelons
de l’organisation.
Comme
d’autres (Robrieux, par exemple), Annette Wievorka montre la mainmise absolue
des instances de Moscou sur le PCF : Thorez en restera le patron jusqu'à
sa mort parce qu’il est un bon soldat de Moscou, dont il pratique la langue et
dont il épouse chaque virage, même les plus hasardeux. Il acceptera une véritable
réclusion en URSS durant la Guerre, et il y fera soigner ses graves séquelles
d’AVC, négligeant les compétences des médecins français, dont un grand nombre
appartenait à l’époque au PC.
![MAURICE ET JEANNETTE, biographie du couple Thorez par Annette WIEVIORKA maurice](//media.paperblog.fr/i/332/3327843/maurice-jeannette-biographie-couple-thorez-an-L-3.jpeg)
Bon élève,
bon père, bon époux : un dirigeant discipliné, un mari aimant, un père
attentif, un travailleur infatigable – comme en attestent ses annotations sur
livres et dossiers -. Ce fils du Peuple a décidément toutes les qualités
bourgeoises, comme sa Jeannette, qui pousse l’esprit de bienséance, au point de
refuser dans les années 60 contraception et évolution des comportements
sexuels. Après la Libération, leur vie est totalement bourgeoise, entre leur belle
maison des Yvelines et celle du Cannet. Et au fond, c‘est comme ministre de la
République que
Maurice Thorez a donné toute sa mesure, rétablissant l’ordre en
faisant cesser la grande
grève des mineurs.
Comme des
bourgeois qui se respectent, Maurice et Jeannette sont grands amateurs d’art,
passion qu’ils n’ont aucun mal à assouvir dans un Parti qui compte parmi ses
militants Picasso, Fernand léger et Louis Aragon. On ne manquera pas de rire
devant la mésaventure survenue à Aragon, directeur des Lettres françaises, lors
de la mort du Camarade Staline.
Les
archives ne taisent rien sur les temps les plus difficiles, ceux du Pacte
germano-soviétique, avalé et justifié en quelques déglutitions, de la désertion
de 1939, et de la « découverte » des crimes staliniens au XXème
Congrès du PC de l’URSS. L’explication paraît tenir dans l’expression anglaise
« Right or wrong, my country », transposée au Parti ; la classe
ouvrière est menacée de partout ; alors elle se défend, avec les moyens
dont elle dispose et tant pis si ça choque. Après tout, d’autres Eglises que
celle de Moscou ont vécu sur le même principe…
En tout
cas, lisez l’œuvre d’Annette Wieviorka, c’est un grand livre sur le XXème
siècle.
Fayard, 685 p, 27 €