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Le premier Âge du Fer européen, ou période de Hallstatt (800 – 480 av. J.-C.), est marqué dans sa période finale, soit le VIème siècle et le début du Vème siècle av. J.-C., par une hiérarchisation croissante de la société, dont l’archéologie révèle l’existence notamment grâce aux sépultures monumentales, composées de chambres funéraires surmontées de grands tertres de terre, et contenant souvent du mobilier de grande valeur : armes, parures en or, vaisselle de luxe importée d’Etrurie ou de Grèce, chars de parade. L’exemple le plus célèbre est celui de Vix (Côte-d’Or), daté vers 500 av. J.-C. : une sépulture féminine, celle de la fameuse « dame de Vix », qui renfermait le plus grand vase en métal de l’Antiquité européenne, un immense cratère de bronze de fabrication grecque, d’une contenance de plus de 1000 litres (photographie ci-dessous).
..............Le char sur lequel fut déposée la Dame de Vix
La dame fut inhumée sur un char de parade, avec de nombreux bijoux d’or ou de bronze, des objets d’apparat, dont ce qui symbolisait l’appartenance aux couches dominantes dans l’Europe de ce temps, c’est-à-dire les ustensiles de banquet, pratique aristocratique par excellence, en Grèce comme dans la Keltia. Les sépultures du Glauberg (Hesse, Allemagne) sont un autre exemple célèbre, un peu plus tardif (vers 450-400 av. J.-C.) : une statue héroïque était associée à l’une d’elles, dont elle renforçait le caractère monumental et associait l’aristocrate défunt au monde divin. Ces sépultures princières sont le plus souvent associées à des sites fortifiés de hauteur, le Mont Lassois dans le cas de Vix, la forteresse du Glauberg dans le cas allemand, qui constituaient le centre d’un territoire dominé par une aristocratie guerrière.
..................Le Mont Lassois (Côte-d'Or)
Mais des découvertes récentes viennent de renouveler la vision que nous avions de ces ensembles sépultures princières – forteresses. Les dernières fouilles et les prospections géophysiques menées sur le Mont Lassois révèlent en effet que loin de se limiter à un simple refuge de hauteur, le site fortifié constituait une véritable agglomération, densément construite sur 9 hectares, et dont le plan montre sans aucun doute qu’elle résultait d’une planification rigoureuse, organisée autour d’une large voie centrale, à partir de laquelle rayonnaient des voies secondaires desservant les îlots de maisons. L’agglomération comprenait également trois grands bâtiments sur pilotis, probablement des silos collectifs, ce qui laisse supposer une autre forme d’organisation sociale que celle généralement attribuée aux Celtes de cette époque, qui en milieu rural isolé géraient les récoltes dans un cadre familial.
Relevé du plateau supérieur du Mont Lassois, qui révèle la présence d'une importante agglomération de 9 hectares.
Le palais, fouillé sur le Mont Lassois, se trouvait au coeur de l'agglomération
Plus encore, les fouilles de B. Chaume (CNRS) viennent de révéler l’existence, au sein de cette agglomération urbaine, d’un véritable palais : un édifice de 35 m de long et 21,5 m de large (soit plus de 750 m2 au sol !), pour une hauteur estimée entre 12 et 15 m. Le plan à abside révèle une volonté de monumentalité, et le matériel découvert sur place montre qu’il s’agissait bien d’une résidence, avec cuisines, lieu de banquets, et probablement un étage résidentiel. Sa structure, unique dans le monde celte, rappelle celle du megaron grec de l’époque archaïque (VIIIème – VIème siècles av. J.-C.). Surnommé par les archéologues « le palais de la dame de Vix », l’édifice accueillait probablement l’aristocratie du Mont Lassois, celle-là même qui contrôlait le territoire alentour, et peut-être une famille royale. Bien entendu, il est impossible de savoir si la dame de la sépulture de Vix a réellement fréquenté le palais, moins encore quel rôle précis elle a pu y jouer, malgré quelques déclarations hardies d’archéologues parfois désolés de devoir se contenter de conclusions un peu arides et désincarnées ; mais le palais est contemporain de la tombe et il est donc probable que notre « princesse » le fréquenta, à un titre ou un autre.
Cette découverte est d’une portée prodigieuse. On savait depuis longtemps que les Celtes, dès le premier Âge du Fer, avaient bâti des sites fortifiés ; les Celtes méridionaux de la Provence et du Languedoc actuels, à partir de la fin du Vème siècle av. J.-C., s’organisaient également autour de site fortifiés de hauteur, comme par exemple à Lundun ou Gaujac, et ces sites furent parfois occupés pendant plusieurs siècles. Le IIème siècle av. J.-C. marque ce qu’on appelle traditionnellement la « civilisation des oppida » : les sites de hauteur, de refuge temporaires pour une population essentiellement rurale, deviennent de véritables villes fortifiées, dont celle de Bibracte (Mont Beuvray, Nièvre) est l’exemple le plus célèbre (voir le lien ci-contre : Musée de la civilisation celtique). Mais les nouvelles données sur le Mont Lassois révèlent tout autre chose : Certaines communautés celtiques se sont urbanisées bien avant ce qu’on pensait, dès les VI-Vème siècles av. J.-C., sous la direction d’une solide aristocratie guerrière et commerçante en même temps, qui était capable de planifier le développement urbain et jouait sans doute un grand rôle dans le contrôle des échanges à longue distance. Profitons-en pour rappeler, que contrairement à ce qu’affirment certains idéologues ou certains ignares[1], les peuples de l’Europe intérieure, héritiers des Indo-européens, loin d’ignorer le commerce à longue distance, l’ont pratiqué pendant des siècles, bien avant d’entrer en contact avec les peuples orientaux et méditerranéens. Et précisément, le Mont Lassois se trouve sur la très stratégique route de l’étain, cette voie commerciale qui reliait les mines de Cornouailles (Grande-Bretagne) aux centres italiques et helléniques, gros demandeurs de ce minerai indispensable à la métallurgie du bronze. Il est donc fort probable qu’une petite aristocratie, d’abord guerrière, puis également commerçante, a su tirer profit du développement des échanges pour s’enrichir, organiser la vie de leur communauté, organiser la défense des biens communs dans un site fortifié, et développer un mode de vie propre qui s’exprimait notamment à travers les banquets. Et c’est toute la société qui se transformait, grâce au développement des échanges, de l’artisanat et du commerce, dont le cadre essentiel devint la ville. On exportait des minerais vers le monde italique et grec, mais on en importait la prestigieuse vaisselle d’apparat, celle que ces mêmes aristocrates faisaient déposer dans leurs tombes, emportant jusque dans la mort les symboles de leur domination sociale. Bien sûr, ce processus d’urbanisation et de hiérarchisation de la société n’eut pas lieu partout de la même manière, et le cas du Mont Lassois représente sans doute une réussite exemplaire. Il montre néanmoins à quel point la conception traditionnelle d’une Europe celtique « barbare » n’a rigoureusement aucun sens : villes fortifiées et planifiées, palais, sociétés complexes et hiérarchisées, s’y développèrent dès une haute époque, grâce, non seulement au savoir faire des artisans et des paysans celtes, mais encore grâce au dynamisme commercial d’une aristocratie qui loin d’être seulement guerrière, sut rapidement nouer des liens avec les principaux centres de consommation et de production de l’Europe proto-historique.
Amaury Piedfer.
Bibliographie
- J. Servat, L’Archéologue, 93, décembre 2007, p. 55-56
- B. Chaume, Essai sur l'évolution de la structure sociale Hallstattienne, dans Aristocratie antique, modèles et exemplarité sociale, Dijon, 2007, p. 25-55
- Autour de la Dame de Vix, Catalogue de l'exposition de Châtillon-sur-Seine, de juin à octobre 2003.
- V. Kruta, articles « Princes », « Vix », « Glauberg », « oppidum », dans Les Celtes, Histoire et dictionnaire, Paris, 2000.
[1] Je pense ici au fumeux B. Werber, qui était sympathique quand il s’occupait des fourmis, qui l’est beaucoup moins depuis qu’il s’occupe de métaphysique et d’histoire.