Je ne résiste pas à reproduire ici la chronique publiée ce jour dans le quotidien Le Monde (ICI). Entre les socialo-bousquettistes des années 80 et le libéralisme mou des années 2010, il est urgent de proposer une nouvelle alternative à la pitoyable « gestion
de la cité » que nous subissons depuis trop longtemps
Après un mois de consultations en
trompe-l'oeil, le gouvernement a remis sa copie aux syndicats et au patronat.
Ce document d'orientationest précieux, car il renferme toutes les
contre-vérités proférées et fausses solutions avancées depuis près de vingt
ans. Choc démographique, catastrophe des régimes de retraite par répartition et
travailler plus longtemps se mêlent dans un projet aussi mystificateur
qu'inefficace.
Y a-t-il un choc démographique ? Oui,
répond le document d'orientation. Non, a répondu à plusieurs reprises le
Conseil d'orientation des retraites (COR) dont les conclusions sont sciemment
travesties.
Ainsi, la France connaît un allongement
de l'espérance de vie, heureuse nouvelle, et une fécondité qui la place juste
au niveau du seuil de renouvellement des générations. Le COR a également
établi, sans que cela soit contesté, que l'aggravation des déficits des comptes
sociaux était essentiellement due à lacrise financièreet non pas à
l'évolution démographique : en 2006, le déficit de l'ensemble du système de
retraite était de 2,2 milliards d'euros ; en 2008, il atteignait 10,9 milliards
et il devrait être de 32,2 milliards en 2010. La démographie n'exerce son
influence qu'à moyen et long terme, et pas dans une accélération foudroyante en
quelques mois.
N'y a-t-il qu'une seule solution ? Oui,
répond le document d'orientation après avoir écarté sans examen les autres. Une
fois ce coup de force perpétré, la réponse est assénée :"Répondre à un
déséquilibre démographique par des solutions démographiques."Elle vaut ce que vaut le diagnostic : erreur
magistrale. Le gouvernement s'engage à"écarter toute solution qui baisserait
le niveau de vie des Français ou augmenterait le chômage". Or, obliger les salariés à travailler plus longtemps
(recul de l'âge légal de la retraite, augmentation de la durée de cotisation,
ou combinaison des deux) entraîne obligatoirement une baisse du niveau des
pensions sans qu'il soit nécessaire de l'annoncer. Nous le savions depuis les
réformes de 1993 et de 2003, nous sommes prévenus pour celle de 2010.
Quand la situation économique reste et
restera marquée par un chômage très élevé, l'engagement à"écarter toute solution
qui baisserait le niveau de vie des Français ou augmenterait le chômage"est un faux-semblant : le travail forcé des seniors se
substituera à l'emploi des jeunes en l'absence de création d'emplois en nombre
suffisant, et ce surtout en accroissant la durée individuelle du travail.
Les uns travailleront plus. Les autres,
jeunes, femmes, sans qualification, quinquas, erreront du chômage à la
précarité dans un aller-retour incessant. Ce ne sont pas les velléités de tenir
compte de la pénibilité de ceux qui auront déjà été brisés par une longue vie
de travail qui atténueront la violence du capitalisme néolibéral exigeant
toujours plus de productivité et de rentabilité.
La promesse de créer"une contribution
supplémentaire de solidarité sur les hauts revenus et les revenus du capital
sans restitution au titre du bouclier fiscal"sauvera-t-elle l'ensemble ? Rien n'est moins sûr. On
nous annonce une contribution pouvant aller jusqu'à quelques milliards d'euros,
alors que le gouvernement n'arrête pas d'apeurer la population avec des
déficits de l'ordre de 100 milliards en 2050.
Ce sont des mesures d'une autre ampleur
qu'il faut prendre pour développer notre système de retraite par répartition,
notamment en réorientant les politiques économiques qui privilégient la finance
au détriment de l'emploi, de la formation et des salaires et qui sont au coeur
du financement des retraites : un million d'emplois en plus, c'est déjà 5
milliards d'euros de recettes supplémentaires. Il y a aussi des marges d'action
importantes en favorisant un plus fort taux d'emploi des femmes, la France se
situant au 15erang de l'Union européenne. La répartition des revenus
dans notre pays a, depuis un quart de siècle, tourné à l'avantage décisif des
actionnaires et des très hauts salariés managers. Une simple application du
taux de cotisation patronale aux dividendes distribués comblerait immédiatement
tout le déficit actuel de la Caisse nationale d'assurance-vieillesse.
L'argument éculé de la perte de
compétitivité est ici fallacieux, puisqu'il s'agirait de n'amputer que les
dividendes nets reçus par les actionnaires et non les capacités
d'investissement des entreprises, et parce que cela ne renchérirait pas les
coûts de production. La retraite à 60 ans à taux plein peut être garantie à
tous les salariés si de tels choix politiques sont faits aujourd'hui.
Pour couronner le tout, le document
d'orientation se prononce en faveur d'une réforme systémique prochaine pour
aller vers un système"par
points"ou"par comptes notionnels". Là aussi, le gouvernement piétine les conclusions du
rapport du COR de janvier qui a montré le risque d'individualisation exacerbée
d'une telle réforme et, ce qui n'est pas le moins savoureux, l'incapacité de
tels systèmes à surmonter un choc démographique ou économique.
Deux conclusions s'imposent donc. Primo,
la crise financière surdétermine la frénésie avec laquelle tous les
gouvernements du monde s'acharnent à imposer des plans d'austérité dont les
salariés et les retraités font aujourd'hui les frais, tandis que les tenants de
la finance se refont une santé sur le compte des budgets publics ou grâce aux
garanties accordées par les Etats.
Secundo, la volonté de faire travailler
toujours davantage manifeste le refus de reconsidérer la place du travail dans
notre société, le refus aussi d'apprécier l'immense contribution des personnes
retraitées, en termes de lien social et de création de services utiles à la
société. Bref, l'obstination à promouvoir une société engagée dans un cycle
productiviste sans fin.
Notre détermination à faire échec au
projet du gouvernement est donc intacte : à l'opposé de la valeur pour
l'actionnaire et du "travailler plus pour vivre moins", organisons
une juste répartition des richesses, la réduction des inégalités, le partage du
travail et une redéfinition des finalités de l'activité économique.
Jean-Marie Harribey, Attac ;
Willy Pelletier, Fondation
Copernic ;
Gérard Filoche, inspecteur du
travail ;
Christiane Marty, féministe ;
Christophe
Delecourt, CGT-Finances ;
Didier Horus, FSU ;
Pierre Khalfa, Solidaires ;
Olivier Besancenot, NPA ;
Martine Billard, PG ;
Marie-George Buffet, PCF ;
Razzy Hammadi, PS ;
Alain Lipietz, Les Verts.