Depuis 1998, le lien est la monnaie du Web. Depuis cette date, Google positionne les pages web en se basant sur le principe du vote, cristallisé par cet objet qu’est le lien hypertexte (et ses bonnes pratiques). Cela dure depuis 12 ans. Cela fait 12 ans que les référenceurs se battent dans les embouteillages des premières pages.
Il y a quelques semaines, lors de la conférence F8, Mark Zuckerberg dévoila une série d’innovations (le mot me pèse quelque peu) qui doivent permettre aux internautes de rendre leur navigation plus sociale et personnalisée. Les exemples avec Yelp, Pandora ou le Levi’s Store nous permettent déjà de voir ce qui nous attend. Si vous aimez un jean, et avec les cookies tierce partie, Facebook vous remonte les dates d’anniversaire de vos amis ! En termes de social shopping, c’est imparable. L’influence par la proximité relationnelle (ou sociale) fonctionne à plein…
Avec ces annonces, je repense à la phrase qu’aurait dite Napoléon, « Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera ». Facebook s’est-il réellement éveillé lors de cette conférence F8 ? Certains diront que « non », car ils le préssentaient … Facebook, avec son bouton « Like », n’est-il pas susceptible de remplacer le « Link » de Google ? Le système d’authentification unique OpenID semble échouer à devenir grand public. Quelle alternative s’offre à nous désormais puisque la bataille concernant la gestion du profil semble être gagnée par Facebook ?
Facebook siphonne les pages
En effet, avec le bouton « Like », chaque page se comporte comme une page Fan Facebook, selon le principe du « Make participation a single clic ». Sans bouger, Facebook peut siphonner le Web, tout en obtenant des informations précieuses sur les utilisateurs. L’exemple des applications est flagrant. Qui pourrait empêcher Facebook de construire un index parallèle, et ce, en sens inverse. Google propose des sites en fonction des liens établis sur le Web alors que Facebook nous propose des liens en fonction des sites aimés par les utilisateurs. La socialisation du Web est en marche. Déjà, un chiffre circule : près d’un milliard de « J’aime » chaque jour sont enregistrés sur les serveurs de Facebook.
Ce que souhaite Mark Zuckerberg, c’est centraliser toutes les informations en nous faisant miroiter que c’est par sa plateforme sociale que nous allons nous individuer. Les grands empires ont été fondés par de grands centralisateurs (César, Charlemagne, Napoléon, Mao et Qin Shihuangdi en Chine). J’espère que l’avenir donnera tort à Michael Arrington, qui nous explique que Facebook prend le contrôle de notre identité numérique et que les débats sur l’ouverture de la plateforme ne sont pas prioritaires.
Et, j’espère que Fred Cavazza aura raison :
Les pratiques sociales qui vont petit à petit se diluer sur l’ensemble des sites et services. Il y a fort à parier que les internautes vont ainsi passer un peu moins de temps sur les plateformes sociales (Facebook) et un peu plus de temps là où se trouvent les contenus et services (et où se trouveront également les fonctions sociales). Reste encore à résoudre le problème de l’identité numérique et de la gestion d’un profil unifié (et sur ce point là je pense que Facebook est sur la pente descendante).
Sur ce dernier point, très intéressant, il apporte son éclairage dans le billet intitulé « De la qualité des contenus sur Facebook » en questionnant l’intérêt pour les utilisateurs d’associer leurs passions à leur profil public. De l’autre, Alexis Mons semble naviguer en sens inverse.
Ouverture versus fermeture
Le planétaire, c’est le présent qu’offrit l’ambassade Macartney à l’empereur Qianlong lors de sa venue en 1793 pour tenter d’ouvrir la Chine au commerce britannique. A cette époque, le pays de Georges III était la plus grande nation sur les mers. Nation ouverte, elle entreprend, par vanité et condescendance, d’ouvrir la suffisante Chine, repliée sur elle-même depuis des siècles.
Qianlong lui remet, en retour, des objets d’artisanat d’art traditionnel (sculptures de jade, bourses de soie, vases faits de cet émail coulé entre de fines parois de laiton, qu’on appelle cloisonné. « Le planétaire et le cloisonné : quel symbole ! », nous dit Alain Peyrefitte, dans son livre L’Empire Immobile.
Je patauge sans doute dans un grossier raccourci. Toujours est-il que la lecture de cet ouvrage m’a fait penser aux deux géants de l’Internet, Google et Facebook. Le premier me semble plus ouvert que le second. J’aurais donc tendance à préférer l’ouverture à la fermeture de Facebook, qui reste aussi cloisonné que Fort Knox et qui n’arrête pas de siphonner le Web, tout comme Wikipédia. Il ne fait qu’aspirer, qu’agréger les contenus. Owni.fr en parle aussi, mais en fusillant Apple, avec l’article intitulé « La mort du Web ouvert ».
Le bouton « Like » permet certes d’éviter les manipulations SEO des éditeurs et référenceurs de tout poil en plaçant le contenu au centre de la socialisation. Seulement, il est toujours dangereux de centraliser toutes ses données à Facebook, qui doit rester une plateforme de décentralisation. Fred Cavazza parlait fin 2008 du syndrome du canard. Facebook sait tout faire mais ne le fait pas forcément bien. Une telle posture mène théoriquement vers la centralisation. Nestlé l’a récemment compris, et parmi mes clients, je ne cesse de répéter que le réseau des réseaux n’est pas la panacée d’une stratégie relationnelle. Des groupes anti-Facebook naissent, j’entends dire autour de moi que les gens y passent moins de temps … Est-ce que nous réapprenons à vivre loin de la parodie Facebook, d’autant que les vraies communautés sont les bons vieux forums, nous dit Collaboratif-Info.fr ?
Plus de 60% du volume global de conversations sur les entreprises ou les marques sont ainsi issus des forums. A l’inverse, 70% des actions sur Facebook consistent à regarder les photos des membres, 41% des tweets sont des conversations sans intérêt.
Allons-nous nous fatiguer, comme le sous-entend Bertrand Duperrin en parlant des blogueurs professionnels dans son billet Un jour ils ne partageront (peut être) plus ? Facebook n’est-il pas la représentation du spectacle d’une foule qui postule pour la postérité ? Lorsque cette foule (et tout le monde n’est pas un créateur – cf. pyramide ci-dessous) comprendra que se mettre en scène ne suffit pas pour se valoriser, qu’adviendra-t-il ?
Source : Le principe 90-9-1 de Jake McKee
Il y a plein de belles choses à expérimenter ailleurs sur le Web. Facebook est un moyen d’atteindre des objectifs, il n’est en aucun cas l’unique plateforme de mise en scène. Lorsque le flux sera lui aussi congestionné par l’avalanche de mises à jour des individus et des marques, qui se doivent d’être toujours plus expérientielles, on se rendra compte qu’il n’y aura pas de place pour tout le monde.
Je ne sais pas si la (r)évolution de la communication et du marketing se cristallise par les médias sociaux ou plus largement par le fait qu’il est temps de passer d’un marketing de la demande à un marketing de l’offre, comme l’indique François Laurent dans son ouvrage « Marketing 2.0″, Le tablier de la ménagère a déteint. Ni Facebook ni les médias sociaux ne sauveront le marketing de la demande … surtout si le produit à vendre est mauvais.