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La littérature ? Des foutaises. - Jacques Finné - Des mystifications littéraires (José Corti, coll. Les Essais, 2010) et Pierre Bayard - Comment parler des livres que l'on n'a pas lus (Minuit, coll. Paradoxe, 2007) par Antonio Werli

Publié le 13 juin 2010 par Fric Frac Club
La littérature ? Des foutaises. - Jacques Finné - Des mystifications littéraires (José Corti, coll. Les Essais, 2010) et Pierre Bayard - Comment parler des livres que l'on n'a pas lus (Minuit, coll. Paradoxe, 2007) par Antonio Werli La littérature ? Des foutaises. - Jacques Finné - Des mystifications littéraires (José Corti, coll. Les Essais, 2010) et Pierre Bayard - Comment parler des livres que l'on n'a pas lus (Minuit, coll. Paradoxe, 2007) par Antonio Werli Il y a une poignée d'années, Pierre Bayard nous a servi un livre qui a fait son petit effet, mais comme tout livre qui fait son effet, une fois celui-ci dissipé, on oublie à quel point sa mission initiale était importante, et il ne fait plus que hanter vaguement notre souvenir, comme une curiosité qui amusa la galerie, qui s'en moqua, et de lui-même aussi - bien qu'on a eu à l'époque de sa sortie, la conscience qu'il ne s'agissait pas simplement d'une farce à l'encontre des lecteurs professionnels, ou d'un manuel à l'usage des non-lecteurs, certainement professionnels, eux aussi. Ce que proposait Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? allait bien au-delà d'une topologie de la lecture (contemporaine, mais applicable de tout temps), ou d'une provocation amusante : il esquissait entre les lignes une sociologie de la lecture, et pouvait commencer à aider à dresser les bases d'une histoire sociale de la lecture (et de là, de la littérature, ou de l'histoire, de tout écrit en fait) souterraine, païenne, déloyale, mensongère, violente - l'oubli, volontaire ou non, en étant le moteur. Tout lecteur cherche à se placer dans le corpus, et dans un sens - comme disait Deleuze en parlant de son travail sur les philosophies de ses prédécesseurs (c'est moi qui souligne) - lui faire un enfant dans le dos. Ce que proposait Bayard, que Pennac pouvait avoir fait naître ludiquement chez les apprentis lecteurs qui avaient apprécié ses commandements de la lecture et que Borges n'a cesser de construire comme oeuvre, c'est que la littérature est un grand mensonge (une fiction si l'on veut, comme l'assène Ricardo Piglia dans ses romans, mais aussi dans ses essais et entretiens) construit sur les mensonges de la lecture ; mensonge qu'elle produit elle-même et qu'elle cherche perpétuellement à grossir (engrosser ?) le plus possible. Evidemment, le lecteur a un rôle essentiel dans cette destinée, et son impossibilité à se souvenir de tout ce qui est lu (d'où la nécessité de l'écrire, me direz-vous) n'est pas exactement à vivre comme une lacune, mais comme un jeu de pouvoir à qui saura mieux imposer sa lecture (ou non-lecture) du corpus. Bayard conclu qu'il y a une sorte de corpus invisible, éthéré, flottant qui se dessine derrière ou par-dessus la bibliothèque, et que cette image de la bibliothèque a plus de valeur entre les quatre yeux des lecteurs où elle apparaît que la bibliothèque physique. Personnellement, je trouve cela fascinant - non pas qu'il soit possible de parler de Proust pendant dans heures sans l'avoir jamais lu comme l'explique Bayard, ou être spécialiste du Martin Fierro de Hernandez lorsqu'on est un universitaire hongrois et qu'on ne pipe pas un mot de l'espagnol comme ce personnage deLa ville absente de Piglia) - mais qu'il soit possible que le corpus littéraire, ce qui peut faire la culture nationale par exemple, puisse être le théâtre d'âpres batailles de lectures et de non-lectures, motivées par ce qu'on veut bien voir, ce qu'on ne peut pas voir, ce qu'on oublie de voir (fascinant comme tout le monde s'est "re"mis à lire La Princesse de Clèves dès lors que le roman prenait une teinte politique, encore plus fascinant d'observer la multiplication du badge de Lafayette qui représentait alors la lecture du livre sans son expérience effective - c'est-à-dire sa non-lecture). Je lisais il y a peu la transcription d'un entretien où Céline causait de Rabelais, il s'enrageait du fait que « Rabelais, il a raté son coup ». Selon lui, les cinq siècles de littérature française qui viennent de s'écouler, on les doit à Amyot, traducteur de Plutarque, pas à Rabelais - et j'avoue partager son sentiment brutal. Et de se demander alors où est la descendance de Rabelais aujourd'hui ? Où donc s'est fourrée sa progéniture ?! Le paradoxe est que tout le monde parle de Rabelais et personne ne le lit, et qu'Amyot personne ne le connaît mais tout le monde le voit. Et alors, où je voulais en venir ? A cette branche de la non-lecture qui se transforme en lecture de la non-écriture. Hein ?! Oui : Jacques Finné reprend dans son essai ce vieux thème de la mystification littéraire et, accumulant les exemples et dressant typologie et résultats, propose à son lecteur, sur cinq cent pages, de découvrir la face B de la littérature, celle qui chante : comment lire des livres que l'on n'a pas écrit ! Son catalogue n'est pas exhaustif, ni spécialement original, mais rappelle au lecteur non-averti avec précision et variété les grandes affaires comme certains plus mineures, et cela suffit pour se délecter de toutes ces fictions littéraires, étroitement liées à la vie de leurs auteurs et de leurs lecteurs. Découvrir ou redécouvrir l'histoire éditoriale des Mille et unes nuits et de ses traductions (françaises, mais pas que), plonger dans les variations et incarnations du Manuscrit de Potocki, pister l'ombre de Rimbaud, des Journaux d'Hitler et de Jack L'Eventreur, des Protocoles des Sages de Sion, ou l'image d'Omar Khayyam. Voilà à quoi nous invite Finné, qui émaille ces grandes lignes, ces grands cas de plus petites histoires, lointaines ou contemporaines, et l'on reste encore coi devant le rappel de l'affaire Misha Defonseca qui aura truandé un paquet de milliers et de milliers de personnes pendant plus de dix ans avant d'expliquer publiquement que son histoire vraie était fausse. Je suis heureux de retrouver une histoire que j'avais entendu et dont je ne me souvenais plus les détails : la Légende de Novgorod de Cendrars dont on a retrouvé plus de quatre-vingt ans plus tard les traces dans un traduction du russe en Pologne, et qui n'est rien d'autre qu'un faux, démasqué pour des raisons (socio)logiquement typographiques. De nombreuses anecdotes du même tonneau montrent qu'il n'y a pas que les critiques qui construisent l'histoire littéraire, il faut aussi compter avec les faussaires, qui sont des fois critiques et écrivains par ailleurs. Bref, un gros tiers du livre rapporte ces cas fantastiques, il s'agit du coeur de l'essai. Le premier tiers consiste en l'exposition de la plus courante des variations du thème mystificateur :le plagiat (ça me rappelle que je voulais jeter un oeil à ce Rapport de police de Darrieussecq paru en début d'année et qui vaut peut-être le détour ?). Le dernier tiers, une grosse centaine de pages, au cas le plus affligeant et le plus fascinant (selon Finné, mais je partage volontiers son avis) de mystification littéraire contemporaine, celui du Nécronomicon de Lovecraft. Finné, dans ces pages, fabrique un portrait riche du livre maudit et montre sa survivance même après qu'on sait qu'il n'existe pas. Celui qui ne connaît pas bien le cas sera certainement subjugué par ce qu'est le Nécronomicon ; le lovecraftien ne fera essentiellement que se rafraîchir la mémoire, et pourra tout du moins se servir de ces pages comme d'un outil plutôt complet sur le livre de l'arabe dément. Il y a peut-être un écueil important dans Des mystifications littéraires, c'est l'absence d'un index (malgré un sommaire très détaillé, quelques fois trop formel). A part cela, il faut prendre cet essai pour ce qu'il est, un parcours à la fois divertissant et surprenant dans les plis de l'histoire de la littérature, plutôt adressé je dirais, aux amateurs ou disons aux curieux, certainement moins aux spécialistes de la question. Au-delà de cela, que ce soit dans le cas du livre de Bayard ou dans celui de Finné, je n'ai pu m'empêcher, comme je l'ai dit plus haut, de penser qu'avec de pareilles grilles de lecture de l'histoire de la lecture, pourrait surgir l'essentiel concernant la littérature. Il y aurait une belle contre-histoire à écrire, il y aurait une belle sociologie à faire. Il y aurait un bon point de départ pour tenter de comprendre,par le creux, par la bande, comment se fait la littérature. (Peut-être cela a-t-il d'ailleurs été fait - mais je ne l'ai pas lu, alors comment en parler ?) Il y aurait une sacré piste pour enfin comprendre LA VERITE : plagiats, trahisons, viols, pillages, mensonges et mystifications... La littérature ? Des foutaises.

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