GENERAL BYE BYE ::: Girouette

Publié le 13 juin 2010 par Gonzai

On installe des chaises-longues sous un ciel de papier. L'eau clapote contre le liner de la piscine mais aucun de nous n'est dedans. Personne ne parle. C'est sûrement ça l'amitié. Ou la routine ?

Les palmiers tremblent un peu. Fondue sur le plastique, Jana a le teint si pâle des germaniques dans ce deux pièces, mais je feins de ne pas la regarder. Ni elle, ni sa peau. Sa peau qui contraste avec ce maillot vert anis et bleu indigo. Ni le maillot lui-même alors que la brise est bien trop froide. Quelle idée ? L'humidité ambiante devrait nous convaincre que l'été n'est pas encore là. Il va pleuvoir mais c'est impossible de dire quand. Après tout c'est encore le printemps. A moins que... avons nous trainé ici depuis l'été dernier ? Quel jour sommes nous ? La chair de poule escalade ma jambe dans une levée de poils ridicule. Cela me rappelle la natation au collège. La honte. L'odeur de chlore y est sûrement pour quelque chose. Je passe une main sur ces frisottis absurdes. C'est si loin maintenant.

Etienne arrive par le petit portillon et lance un triomphale "Sundaaay Mooorning, streets are full of glass !" en remuant le petit plateau rond qu'il tient à la main pour en faire tinter les verres. Jana rit comme une gosse derrière ses lunettes blanche de starlette cannoise. Même Manu relève la tête de son Time. Une voiture remonte la corniche ; de ses fenêtre ouverte on reconnait un moment un air de Blonde Redhead qui s'évanouit dans le vrombissement de la pompe automatique.
En traversant la terrasse, Etienne pose le pied sur une tige de bois qui roule soudain sous sa plante et trébuche. Se rajustant d'instinct il manque de tomber. Un verre se renverse et des olives roulent en tout sens. Même à cette distance, je sens des gouttes de vin californien maculer mon bouc et ma serviette éponge achetée au mall le mois dernier. Le miroir sur les yeux de Jana semble clignoter. La double page de Joel Stein entre les mains de Manu prend des airs de Pollock. Quand je retire mon visage du creux de mon coude je sursaute et tombe de ma chaise. En équilibre avec une main et sur les fesses je vois Jana se redresser aussi. Le vin dessine des rigoles sur sa peau et ses lunettes ; elle a aussi la bouche ouverte.

Face à nous, Manu, les deux bras le long du corps, fixe le plateau qui flotte à vingt centimètre devant lui. A la hauteur de sa ceinture.

Un peu en dessous un glaçon suspend sa chute, tandis qu'une olive effectue une course parfaite en cercle sur le rebord de bois. Dans un claquement mou , je passe ma langue sur mes lèvres pour les humecter et reprend une respiration normale. Etienne, toujours le plus rigoureux d'entre nous, s'est levé. De l'extrémité de son magazine roulé il touche en l'air une rondelle de citron vert, le déplaçant comme un palet sur une glace invisible. Manu recule en répétant quelques jurons. Une odeur me parvient soudain, une odeur de pluie sur l'asphalt chaud. Jana presse ses genoux contre sa poitrine, enroulé dans ses bras. Je me penche vers le sol sec et voit le morceau de bois de tout à l'heure. Je le ramasse perplexe : c'est une baguette. "Qu'est ce que ça fout là ?" demande Etienne. "A toi de nous le dire, monsieur le batteur !" je lâche, un peu sèchement à ma grande surprise.

Nous voilà tous les quatre autour du plateau qui tourne comme une assiette dans un cirque chinois, une baguette dans ma main. Plus personne ne dit rien. Quand Jana finit par ouvrir la bouche, ce qui s'en échappe n'est ni un cri ni un chant. C'est une note trop haute qu'on aurait enfermé sous globe. Etienne reprend sa baguette fermement et se met en quête de la deuxième. Putain depuis combien de temps on est ici ? Quand est-ce qu'on a foutu le pied en Amérique ? Est-ce qu'on a oublié un truc ou bien est-ce qu'on a réussi ?
La mélopée de Jana continue, et je fonce dans l'abri de jardin où j'avais remisé nos instruments. Manu y est déjà. Quand on a eu rebranché les amplis d home cinema dans notre fumoir, poussant les fauteuil club contre les murs pour installer la batterie, j'ai clairement reconnu ce sourire sur le visage germanique et ce tic caractéristique de la barbiche de mon pote, je me suis souvenu. On déroulait nos contes oniriques comme avant, claquant des arpèges cristallins et acides. Je me souvenais des après-midi à écouter Can en fumant, des disques de Jim O'Rourke et Sonic, Sleater-Kinney et quelques autres trucs belges que l'on s'échangeait. Mention 's'appelle revient' obligatoire. La mélancolie était revenue ; j'étais content qu'elle chasse la monotonie. Pendant la spirale de Maniac Mansion, mon pied écrasait en rythme le zest d'un citron. La pluie dehors lavait le plateau renversé sur les caillebotis.

General Bye Bye// Girouette // Greed Recording
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