« Nous étions désarmés puisque nous étions honnêtes. Cette presse que nous voulions digne et fière, elle est aujourd’hui la honte de ce malheureux pays ». Ainsi s’exprimait en 1947 Albert Camus au lendemain du rachat à 50% de Combat par l’homme d’affaires Henri Smadja. Que dirait-il aujourd’hui ? Dans l’ouvrage « Les Jours heureux, le programme du CNR » dont nous avons déjà parlé ici même, François Ruffin, journaliste consacre un chapitre complet à la presse auquel nous empruntons les principaux éléments de cet article.
Le Conseil national de la Résistance voulait « une presse libre, indépendante à l’égard de l’État, des puissances de l’argent et des influences étrangères ». Les ordonnances de 1944 sur la presse y pourvurent. Mais déjà à l’époque, on omit d’en publier les décrets d’application. Et les puissances d’argent eurent tôt fait d’y reprendre pied.
La constitution du groupe de presse Hersant fut le scandale des années soixante dix. Robert Hersant, collaborateur notoire, pourtant condamné en 1947 à « dix ans d’indignité nationale » pour « avoir apporté de l’aide à l’Allemagne », parvint, en dépit des protestations, à racheter titre après titre les principaux quotidiens nationaux puis la plus grande partie de la presse régionale.
Dans les cent dix propositions du candidat Mitterrand figurait l’application des ordonnances de 1944. A-t-il vraiment souhaité mettre un terme à l’hégémonie de Robert Hersant, lui si peu enclin à reparler « de ces années où les Français ne s’aimaient pas » ? C’est qu’il lui aurait aussi fallu, pour faire bonne mesure, également démanteler le groupe Hachette dont Lagardère était le principal actionnaire. (1)
Toujours est-il que de petites lâchetés en renoncements successifs, les pouvoirs politiques qui se sont succédé ont conduit à la situation présente Le point d’orgue en fut le 6 mai 2007 la fameuse soirée où Nicolas Sarkozy invitait au Fouquet’s pour les remercier ses principaux soutiens et bailleurs de fonds de sa campagne. Bernard Arnault (LVMH) bientôt propriétaire des Échos, le principal journal économique, Martin Bouygues, patron de TF1 et de LCI, Vincent Bolloré, propriétaire de Direct 8, Direct soir, Direct matin, Havas, et de douze licences pour des télévisions régionales, Albert Frère qui préside le conseil de surveillance de M6 et l’ineffable Serge Dassault, propriétaire du Figaro. Seul absent pour que le panorama soit complet, son « frère » Arnaud Lagardère, propriétaire d’Europe 1, du Journal du dimanche, de Paris-Match, de La Provence et de Nice-Matin, etc…
Ne manquait alors à Nicolas Sarkozy pour maîtriser l’information dans son ensemble que de régler le sort des chaînes publiques de télévision. Ce qui qu’il a fait en s’arrogeant le pouvoir de nommer le président de France Télévisions, achevant ainsi la besogne de destruction du programme du CNR. C’est pourquoi on ne s’étonnera pas outre-mesure de le voir convoquer le patron du Monde, Éric Fottorino, afin de lui indiquer le bon choix qu’il lui faudra faire pour livrer définitivement son journal aux mains des puissances d’argent.
Reynald Harlaut - Parti de Gauche
(1) Le gouvernement Mauroy a bien tenté de faire adopter par le Parlement une loi contre la concentration de la presse mais le Conseil constitutionnel l'a déclarée contraire à la constitution.