Les événements de ce jour en Kirghizistan (Kirghizie) frappent par le nombre des victimes : 100 mort, 1200 blessés, et 70.000 réfugiés Ouzbecks ayant fui le pays.
1/ On y voit bien sûr une réplique (au sens de la tectonique des plaques) des événements d'il y a quelques semaines : le départ du précédent dirigeant, Kourmanbek Bakiev. Celui-ci tirait ses soutiens politiques du sud du pays (où ont eu lieu les émeutes), et certains voient dans celles-ci le résultat de ses manigances. L'explication serait alors politique.
2/ Il reste que les Ouzbeks sont non seulement minoritaires en Kirghizie (15 % de la population), ils sont également très défavorisés. C'est la deuxième clef d'explication, sociale.
3/ On peut voir bien sûr des explications extérieures, dues notamment aux interférences des grandes puissances : la Kirghizie est en effet le seul pays au monde qui accueille des bases militaires russe et américaine. Toutefois, Russie comme États-Unis ont intérêt à la stabilité, tout comme la Chine voisine. En revanche, des intérêts mafieux sont possibles : le trafic de drogue en provenance d'Afghanistan est en train de bouleverser toute la région. Les troubles pourraient favoriser leurs desseins.
4/ Mais je reste un peu sceptique. Les images qu'on a vues me rappellent vivement celles qu'on avait montrées au début des années 1990 en ex-Yougoslavie. En fait, des troubles ethniques qui trahissent un trouble plus profond. Ce trouble tiendrait à la fois à l'épuisement de l'influence soviétique, qui structurait la région ; à l'imbrication incroyable des frontières dans la région, autrefois limites administratives, aujourd'hui "frontières" nationales, selon un vocabulaire politique localement nouveau ; à l'influence des troubles afghans qui amènent les regards extérieurs à s'intéresser à cette région d'Asie centrale, autrefois oubliée.
C'est cela qui est inquiétant : le risque d'un embrasement de cette région est possible. Faut-il rappeler que c'est le heartland décrit jadis par Mackinder ?
On relira l'excellent article d'Alexandre Guérin sur la vallée du Ferghana, qui traverse les pays dela région : à relire absolument, tant c'était prémonitoire.
O. Kempf