121. En Roue Libre

Publié le 13 juin 2010 par Dylanesque
Il me semble quasiment impossible de pondre une chronique assez complète pour retranscrire tout ce que peut évoquer cet album, toute sa qualité. D’autres l’ont fait, moi je suis pas assez doué pour y arriver. Mais je peux en parler un peu.


Le contexte, tout le monde le connait. Le renouveau du folk, la crise des missiles, les droits civiques, tout ça. Un premier album passé quasiment inaperçu, mais qui permet quand même au gamin du Minessota d’être autre chose qu’une aiguille dans une botte de foin au milieu de tous les folkeux du Greenwich Village. Sauf que c’est bien gentil de reprendre des classiques en tentant d’imiter les vieux bluesmans, mais maintenant, il faut écrire des chansons. Il faut pas lui en dire plus à Dylan, le voilà qu’il nous pond un chef d’œuvre. Le premier d’une longue série.

Blowin’ in The Wind. Le premier classique de Dylan. Des bouquins entiers ont été écrit sur ce morceau. Qui est au choix un chant de liberté universel, une grande chanson protestataire, ou bien un poème intemporel. Je me souviens qu’en l’écoutant pour la première fois, j’avais tout compris aux paroles, ça m’était jamais arrivé avant de traduire mentalement, de me laisser porter par un texte en le comprenant du début à la fin. Ce qui m’avait le plus marqué c’est la voix, comme si c’était un vieux sage qui chantait alors que j’ai découvert bien après qu’il s’agissait d’un gamin qui à défaut d’être vraiment sincère, savait manier les mots et les accords de guitare qui restent en tête. C’est le premier morceau que j’ai appris à l’harmonica. C’est simple, c’est évocateur et c’est un morceau qui traversera le temps pendant encore longtemps, c’est certain.

Girl From the North Country. Une complainte qui fonctionne à tous les coups, dont je ne pourrais jamais me lasser. En l’écoutant, je m’imagine toujours la même fille, avec ses cheveux longs et son grand manteau, un fantôme dont je serais toujours amoureux. L’harmonica se fraye un chemin au milieu du morceau et souffle tranquillement, comme un vent de mélancolie. C’est beau à pleurer.

Masters of War. Celui-là, il aurait pu figurer sur l’album suivant, tant il tranche, il est froid et rageur. On ne saura jamais si Dylan croyait vraiment en ce qu’il chantait, il a déclaré une fois que ce n’était pas un chant pacifiste, qu’il était même pacifiste, qu’il s’en foutait. La chanson nous présente un Dylan qui montre du doigt, plein de venin “And I hope that you die / And your death'll come soon / I will follow your casket / In the pale afternoon / And I'll watch while you're lowered / Down to your deathbed / And I'll stand o'er your grave / 'Til I'm sure that you're dead

Down the Highway. Probablement le morceau le plus faible de l’ensemble, ce blues est un reste de l’album précédent, un peu trop léger pour convaincre. Mais pour un adolescent qui venait d’être percuté par les textes de Kerouac, le thème du type qui se barre avec ses valises et part marcher au bord de l’autoroute m’avait bien plu.

Bob Dylan’s Blues. J’adore cette voix qui nous annonce que c’est une chanson écrite quelque part aux Etats-Unis, cette voix faussement fragile, pleine de malice. Une farce à la Dylan, pleine de références, de jeux de mots, de candeur et de burlesque. Le gringalet se prend pour un dur à cuire et c’est tordant.

A Hard Rain’s A-Gonna Fall. Là, on touché au sublime. Un torrent de mots, d’images, d’émotions caché sous une fausse protest-song. Plus rien n’arrête le poète, Rimbaud avec une guitare et un harmonica, et une diction bien à lui, que je me suis amusé tant de fois à imiter, quand j’écoute la chanson au casque, bougeant les lèvres en silence, tentant de suivre le rythme. Derrière ce récit apocalyptique, c’est un torrent d’humanité qui sommeille, du clown qui pleure dans la rue à la petite fille qui offre des arcs-en-ciel.

Don’t Think Twice, It’s Alright. Accessible parce qu’elle touche juste dès la première écoute, magnifique tant elle est un mélange d’amertume et d’amour, c’est souvent le morceau que je choisi pour faire découvrir Dylan à un « débutant ». Suze Rotolo devait être quelqu’un de bien pour mériter une telle chanson de rupture, la plus belle qui soit. J’adore quand il dit qu’elle voulait son cœur et qu’elle lui a volé son âme, la manière dont il détache les syllabes, dont les accords de guitare s’enchaînent, c’est déchirant. Il faut l’écouter en roulant, avec un coucher de soleil, il faut l’écouter religieusement lorsqu’on se sent mélancolique, c’est bouleversant.

Bob Dylan’s Dream. En pompant une ritournelle vieille comme le monde, Dylan transforme cette chanson en complainte très personnelle, auquel il est facile de s’identifier. Alors forcément c’est émouvant, surtout quand des amis te manquent, qu’il y a des moments dans ta vie que tu aimerais revivre. « How many a year has passed and gone, / And many a gamble has been lost and won, / And many a road taken by many a friend, / And each one I've never seen again.”

Oxford Town. Le rythme est merveilleux, « un air de banjo joué à la guitare » comme le dit Dylan dans les notes de l’album. Une nouvelle variation autour de la protest-song, plus décontracté dans la forme, tout aussi puissante dans le fond.

Talkin’ World War III Blues. Dans cette satire burlesque, on retrouve les deux influences, les deux faces du Dylan de l’époque, Woody Guthrie et Chaplin. C’est spirituel, drôle et acerbe. Surtout la citation de Lincoln et celle qui s’attribue. « Je vous laisserais être dans mes rêves si je peux être dans les votres ». Il me tue à chaque fois qu’il dit ça !

Corrina, Corrina. Cette ballade traditionnelle, elle me parle du temps. Cette mélodie qui se déroule avec quiétude, c’est le temps qui nous échappe, la fille qui ne reviendra pas. Derrière le texte simpliste, c’est pour moi aussi évocateur qu’un « Don’t Think Twice », aussi émouvant. Souvent, je repense à Charlotte Gainsbourg en train de peindre dans le biopic « I’m Not There », alors que le monde est en train de s’écrouler. « Corrina, Corrina », je l’écoute quand mon monde s’écroule et que j’ai besoin de m’enfermer dans mes souvenirs, hors du temps.

Honey, Just Allow Me One More Chance. Là aussi, une blague qui fait un peu tâche dans l’ensemble et qui aurait plus eu sa place sur l’album précédent. C’est sautillant, amusant, et j’adore la manière dont Dylan crache dans son harmonica et parle à toute vitesse. Mais c’est trop peu comparé au reste. Je le vois comme une récréation tout au plus.

I Shall Be Free. Un dernier règlement de comptes pour la route, qui baigne dans le surréalisme, l’absurde et multiplie les références comme si de rien n’y était, avec détachement et malice.

Et puis cet album, c’est aussi une pochette, elle aussi très évocatrice, peut-être la plus belle des couvertures d’albums, ma préféré en tout cas. Elle trône fièrement au dessus de ma platine, et elle renvoie à l’hiver, aux premiers amours, à une époque, à New York. Comme les chansons, elle sera mainte fois cité, interprêté, reprise. On ne compte plus les versions de « Blowin’in the Wind », les dissertations sur « Hard Rain ». Pourtant, quarante ans après, le charme est intact.

Dense, novateur et émouvant, « The Freewheelin Bob Dylan » est le deuxième album du Zim qui m’a foudroyé. Le premier, c’était « Highway 61 », l’été précédent, en Bretagne, la révélation, et tout. Là, c’était à la rentrée, je débarquais en première littéraire et ça m’a retourné forcément. Je l’ai écouté en boucle tout l’automne, dans mon fidèle baladeur, le matin en prenant le bus, le soir en rentrant, sous la pluie, en fumant mes premières cigarettes. Je l’écoute toujours religieusement, et c’est pour moi, le plus bel album folk jamais enregistré.