Nous savions déjà qu’Israël était un Etat au-dessus des lois, capable de violer impunément toutes les règles du droit international; de coloniser, bombarder, assiéger, affamer des populations civiles; d’exercer sans risque majeur – sauf sur le plan de l’image! un acte de piraterie dans les eaux internationales en criblant de balles des humanitaires… Ce que nous refusions d’accepter comme réalité, pourtant sans cesse imposée, c’est l’alignement manifeste sur la thèse israélienne d’une certaine presse occidentale qui a perdu là une belle occasion, si ce n’est de se réconcilier avec l’éthique journalistique, du moins de se taire.
Devant l’énormité de l’acte perpétré et le symbolisme que représentait cette flottille internationale pour la liberté, il nous semblait pourtant que les commentaires seraient emprunts, à défaut d’objectivité, d’un peu de décence. Ce serait faire preuve d’angélisme pour quiconque ayant suivi le massacre perpétré l’an dernier à Gaza, ainsi que cette couverture médiatique qui parvient en toutes circonstances à transformer le bourreau en victime. Et inversement.
C’est ainsi que nous avons pu observer quelques médias endossant l’uniforme de propagandistes et faussaires de l’information, resservant la même gamme de raisonnements fallacieux, visant à manipuler habilement la pensée. Notre esprit ne peut qu’être frappé par ces procédés rhétoriques utilisés depuis l’Antiquité grecque par les sophistes, ces influents orateurs et penseurs maudits davantage préoccupés par la persuasion de leur auditoire que la recherche de la vérité, dénoncés en ce sens par le philosophe Aristote dans ses «Réfutations sophistiques». Parmi les plus courantes techniques de désinformation se trouve l’omission. Elle consiste à mettre de côté l’information pertinente pour induire un regard déformé de la réalité. Exemple dans le cas de figure qui nous intéresse: le black-out sur le caractère illégal du raid israélien qui constitue un acte de piraterie violant le droit maritime, la flottille étant située en zone internationale au moment de l’agression.
On est loin du traitement politique, médiatique et juridique réservé aux pirates somaliens – qui n’ont pourtant jamais tué leurs otages – dont le premier procès en Europe s’est ouvert le 25 mai 2010 au tribunal de Rotterdam. Ce détournement de l’attention englobe également le pourquoi de cette situation, le blocus immoral imposé à la population de Gaza, la poursuite de la colonisation dans les Territoires occupés...
Si l’on ne peut cacher le retentissement du fait lui-même, un autre procédé viendra en atténuer la portée. C’est le glissement sémantique, consistant à remplacer une expression par une autre pour la vider de son contenu émotionnel et la délester de tout son sens. Parmi ces euphémismes employés volontairement ou inconsciemment et qui sont à mettre dans la même catégorie que les fameux «dégâts collatéraux», «frappes chirurgicales», «pression physique modérée» et autres «techniques d’interrogatoire»: il s’agit d’»intercepter la flottille» au lieu de la «prendre d’assaut»; «arrêter les passagers» plutôt que les «kidnapper»; «expulser» à la place de «libérer»…
Le procédé inverse est également utilisé pour alourdir le sens et ternir l’image. Ainsi, l’adjectif «humanitaire» est soigneusement évité pour être remplacé par l’insidieux «activistes pro-Palestiniens». Tant pis pour les ONG internationales, pour le prix Nobel, pour les députés européens, pour le rescapé de la Shoah qui font tous partie du convoi. La flottille humanitaire nous dit une certaine presse est préparée par une ONG islamiste turque, proche du Hamas «qui contrôle Gaza». Le mot terroriste n’a pas besoin d’être étalé. L’impact subliminal a déjà produit son effet par le biais de procédés cognitifs faisant appel à la peur.
Cette diabolisation de l’Autre qui réveille les préjugés des interlocuteurs atteint son summum quand on signale sournoisement au milieu d’une phrase «Le Hamas dont la charte ne reconnaît pas l’Etat d’Israël». Outre le fait que les leaders de ce mouvement se sont dits prêts à reconnaître Israël dans les frontières de 1967, pourquoi oublie-t-on de spécifier dans un souci d’équilibre que la charte du Likoud ne reconnaît pas non plus à la Palestine le droit à l’existence, stipulant que «le gouvernement israélien rejette catégoriquement la création d’un Etat arabo-palestinien à l’ouest de Jourdain».
Mais revenons à notre flottille et à cette conclusion excessive qui a fait parler certains médias d’armes à bord et laissons la parole au témoignage significatif de l’écrivain suédois Henning Mankell: «Au bout d’un moment, un soldat cagoulé est venu nous dire qu’ils avaient découvert des armes. Et ce parfait crétin est arrivé avec mon rasoir et un cutter qu’il avait trouvé dans la cuisine. Puis il a déclaré qu’il devait nous emmener avec lui, car nous étions des ‘‘terroristes’’».
Que la propagande militaire israélienne tente de justifier l’injustifiable est une chose mais il est inadmissible que des médias si prompts à donner des leçons de déontologie par ailleurs, nous assènent avec ce que les Grecs appelaient Argumentum ad baculum, soit la raison du plus fort, accordant exagérément la parole aux Israéliens qui se servent de fausses preuves fabriquées par leur machine de propagande. Ainsi, le commando aurait été attaqué par des activistes armés de gourdins. N’attendez pas qu’on spécifie que l’équipage de la flottille aurait été en tout état de cause dans une situation de légitime défense. Par un incroyable tour de passe-passe, les rôles sont inversés et le mot vertueux, lancé: la sécurité d’Israël.
En phase avec cette logique absurde, la communauté internationale demande à ce pays de mener une «enquête impartiale», ce qui en droit commun reviendrait à demander à un assaillant qui s’est infiltré dans une maison et tué quelques personnes au passage de mener sa propre enquête. La boucle est ainsi bouclée. Le dramaturge de l’absurde Eugène Ionesco écrivait: «Prenez un cercle, caressez-le, il finira par devenir vicieux». Jusqu’à quand le monde continuera à alimenter, par sa malsaine partialité cette infernale spirale, à prendre au sérieux sa propre hypocrisie, à se complaire dans sa cécité?
Mouna Hachim