Roman Kacew était un étudiant médiocre.
Élevé par sa mère en France où ils s'installent tous les deux alors qu'il a 14 ans, s'il se distingue essentiellement par des prix de composition française, obtenus en 1931 et 1932, dans les autres matières, excepté l'allemand qu'il parle et écrit très correctement, il est médiocre.
Romain Kacew monte à Paris « faire son droit ». Il obtient péniblement sa licence en 1938 et suit en parallèle une préparation militaire. Passant l'essentiel de son temps à écrire, il publie occasionnellement dans la magazine Gringoire.
Naturalisé Français en 1935, il est appelé au service militaire pour servir dans l'aviation, où il est incorporé en 1938.
Après la fin des hostilités, il entame une carrière de diplomate au service de la France. À ce titre, il séjourne en Bulgarie, en Suisse, à New York (à la Mission permanente de la France auprès des Nations unies de 1952 à 1954, en Bolivie, puis en qualité de consul général de France à Los Angeles de 1957 à 1960, date à laquelle il se met en congé du ministère des Affaires étrangères. C'est comme diplomate qu'il divorce de l'auteure Britannique Lesley Blanch pour marier l'actrice Étatsunienne Jean Seberg.
Alexandre Diego Gary naîtra de cette union en 1963.
Pendant tout ce temps, Romain Gary écrit.
Sous le nom de Romain Kacew, L'Orage et Une Petite Femme en 1935 puis Le Vin des Morts en 1937.
Sous le nom de Romain Gary il publie Éducation Européenne en 1945, Tulipe en 1946, Le Grand Vestiaire en 1946, Les Couleurs du Jour en 1952 et Les Racines du Ciel en 1956 pour lequel il gagne le prestigieux prix Goncourt. Le livre sera adapté au cinéma par lui-même avec John Huston à la réalisation et Trevor Howard, Errol Flynn, Juliette Gréco, Orson Welles dans les rôles principaux en 58.
Cette année là il publie aussi sous le nom de Fosco Sinibaldi, une allégorie satirique L'Homme à la Colombe.
En 1960, il publie son plus touchant roman, un vibrant récit autobiographique sur sa mère appelé La Promesse de L'Aube. Si il n'y a qu'un seul livre à lire de Gary c'est celui-là à mon avis.
Johnnie Coeur en 1961, Gloire à Nos Illustres Pionniers en 1962, Lady L. en 1963, The Ski Bum et Pour Sganarelle en 1965, Les Mangeurs d'Étoiles en 1966, La Danse de Gengis Cohn en 1967, La Tête Coupable en 1968, Adieu Gary Cooper en 1969, l'excellent Chien Blanc en 1970.
Son union avec Jean Seberg se meurt cette année là.
Il publie Les Trésors de la Mer Rouge en 1971, Europa en 1972, Les Enchanteurs en 1973, une fausse entrevue avec lui-même La Nuit Sera Calme en 1974, Au-Delà De Cette Limite Votre Ticket N'est Plus Valable en 1975.
Méprisé par la critique de son vivant, considéré comme auteur réactionnaire parce que diplomate gaulliste mais surtout comme un rêveur et un incorrigible immature refusant de vieillir, Gary réussi en 1975 l'arnaque la plus astucieuse de l'histoire de la littérature française. Faisant un véritable pied de nez au Tout-Paris littéraire, il publie sous le pseudonyme Émile Ajar, La Vie Devant Soi. Si "Gary" veut dire "Brûle" en Russe, "Ajar" veut dire "braise". Premier indice de la fusion des deux auteurs. Gary engage un proche parent, Paul Pavlovitch, pour assumer le rôle d'Ajar auprès de la presse et de l'opinion publique.
La manège tient bon le temps de quatre livre.
La Vie Devant Soi pour lequel il réussit l'imposture de gagner le prix Goncourt une deuxième fois, un an auparavant il avait publié Gros-Câlin, Pseudo en 1976 et L'Angoisse du Roi Salomon en 1979.
Il publie aussi sous le nom Shatan Bogat un polar politique, Les Têtes de Stéphanie, en 1974.
Toujours sous le nom de Gary il publiera Clair de Femme et Charge d'Âme en 1977, La Bonne Moitié et Les Clowns Lyriques en 1979.
Jean Seberg se suicide cette année là.
Gary a le temps de publier Les Cerfs-Volants en 1980 avant d'en faire autant et de se tirer une balle dans la bouche.
Il laisse une lettre dans laquelle est notamment écrit : « Aucun rapport avec Jean Seberg ».
En 1978, lors d'un entretien avec la journaliste Caroline Monney, lorsque celle-ci lui posait la question : « Vieillir ? » Romain Gary répondit « Catastrophe. Mais ça ne m'arrivera pas. Jamais. J'imagine que ce doit être une chose atroce, mais comme moi, je suis incapable de vieillir, j'ai fait un pacte avec ce monsieur là-haut, vous connaissez ? J'ai fait un pacte avec lui aux termes duquel je ne vieillirai jamais"
Vie et Mort d'Émile Ajar où Romain Gary révèle l'imposture de la mystification ambiguë Gary/Ajar est publié un an après sa mort.
Une étudiante de la Faculté de lettres de Nice aurait préparé, deux ans avant la révélation publique, un mémoire soutenant, au grand désarroi de ses professeurs, que Gary et Ajar étaient une seule et même personne.
Personnage aux multiples facettes : écrivain, diplomate, cinéaste, héros de la " France libre ", Romain Gary confesse son penchant pour les " farces et attrapes " : marionnettiste, montreur de personnages ambigus, inventeur de fables à double sens, cœur sensible et sourire moqueur, clown lyrique , il manie les ficelles du métier en se tenant à distance pour juger de l’effet produit, se plaisant à étonner et à séduire. Il a poussé l’art du prestidigitateur jusqu’à se donner secrètement un double, cet Emile Ajar que couronne un prix Goncourt, faisant de Gary le seul écrivain à avoir deux fois reçu cette récompense sous des noms différents.
Pour la tendresse, l'humour et le talent lisez au minimum un de ses livres un jour.
Vous ne le regretterez pas.