A 96 ans, Louise Bourgeois est l’objet d’une grande exposition rétrospective à la Tate Modern, jusqu’au 20 janvier. Cela seul mériterait un voyage à Londres, mais l’exposition vient à Pompidou de mars à début juin (puis dans des musées américains jusqu’en juin 2009). Son travail est à nul autre pareil. Elle a refusé toute appartenance à un mouvement, n’a jamais fait partie des coteries artistiques. Elle est sans doute la femme la plus importante de l’art du XXème siècle, celle qui s’est le plus affirmée comme une artiste femme; et en même temps, elle est tout, sauf féministe, elle glorifie la maison, le corps et le pénis, aux antipodes des militantes. On peut avoir d’elle bien des lectures savantes, mais (comme dans le passionnant mais malcommode catalogue), elles sont trop souvent réductrices, simplificatrices. Mieux vaut, je crois, se laisser emporter par son travail, par ses oeuvres au fil des dix salles de l’exposition.
Dès la première salle, avec ses toiles des années 40s (”Femme Maison“), tout est mis en place, en perspective : la femme, la maison, l’enfance, le rapport au père et à l’autorité. Avec une infinie variété de moyens et d’expressions, c’est sur ces thèmes que, toute sa vie, elle va bâtir son oeuvre. Après ses premières sculptures de Personnages, elle va rompre avec le minimalisme en 1964, pour aller vers des représentations très corporelles, voire très sexuelles, comme la bien connue “Fillette” (”Ce que j’aime a la forme des gens autour de moi, de mon mari, de mes fils. Donc quand j’ai voulu représenter quelque chose que j’aime, j’ai naturellement choisi un petit pénis”). Sa première installation, La destruction du père (1974) fait écho à sa haine de son père. Autour d’une table, Louise, sa mère et ses frères et soeurs sont soumis à la tyrannie domestique du père, violent et coureur; ils se plient en silence, puis jettent le père sur la table, le démembrent et le dévorent. La scène baigne dans une lumière rougeâtre sur des murs noirs, comme un petit théâtre. Mais il y a là plus qu’un cauchemar enfantin; la scène engendre des sentiments de claustrophobie, de malaise, de violence réprimée.
Après ses sculptures sensuelles de marbre toscan (comme “Cumul“), on peut voir les grandes cellules qu’ele produit après 1980. Ces cellules sont des cartographies de son esprit, de son coeur, ce sont des prisons et des refuges, cellules dans tous les sens du terme. Passage Dangereux(1997) est une cage grillagée; le regard y pénètre, on s’enfonce dans des redents, on y est dehors en s’imaginant être dedans, on varie les angles de regard, les points de vue. Des objets y sont suspendus ou jetés au sol, chaises, prothèses, miroirs, coussins. C’est un passage entre deux avenues, entre deux lieux, entre deux temps; comme un grenier poussiéreux, c’est un lieu de mémoire, de souvenirs enfantins, de frayeurs plus que de fous-rires. Une chaise électrique ne vous laisse pas l’oublier. Il y a aussi les “Chambres rouges”, celle des parents et celle des enfants. Tout un univers, une intimité dérangeante.
Louise Bourgeois étant représentée par l’ADAGP, je ne peux vous montrer que deux photos sur cette exposition; elles seront ôtées du blog à la fin de la dernière exposition américaine (au Hirshhorn de Washington). Beaucoup des liens ci-dessus mènent vers d’autres images.