Les enfants terribles du foot anglais

Publié le 12 juin 2010 par Acrossthedays @AcrossTheDays

La relation particulière entre la Grande-Bretagne et le football fut permise par l’introduction d’un jeu il y a mille ans par un certain français, Guillaume le Conquérant. Un conquérant qui allait apporter sur un territoire un jeu simple dont la principale valeur ne serait pas le courage ni l’effort mais la conquête, qu’elle soit sur le terrain, dans les stades ou dans les rues. Un conquérant français qui apporta un opium, une relation proche de l’inceste entre un sport et un peuple. Aucun sport n’est aussi populaire et ne déchaîne autant de passions enfiévrées en Grande-Bretagne que le football et cela, même au regard de l’influence et de l’histoire du rugby. Un sport qui deviendra un phénomène mondial, trouvant ses origines en Europe, et qui créa autant une culture du ballon rond qu’une culture de la violence en son sein dès la fin du 19ème siècle. La Grande-Bretagne étaient alors aux avant postes.

En 1066, un français posa son pied sur l’île isolée du continent européen et en profita pour amener avec lui une boite à Pandore dont les caractéristiques comportaient déjà les prémices du hooliganisme. La soule est en effet un jeu joué par les gens de villages (qu’ils soient bourgeois ou paysans) lors de grandes fêtes, et dont les quelques règles qu’elle possédait permirent la codification du folk football par les anglais des siècles plus tard : un ballon, une cage (un lieu choisi au préalable, comme un marécage) et la possibilité de régler ses comptes entre joueurs dont le nombre pouvait être fantaisiste. Ces derniers jouaient seulement s’ils en étaient capable. Rien de plus simple. Huit siècles plus tard, le football professionnel est introduit à la fin du 19ème siècle en France et sur l’ensemble du continent européen par des professeurs britanniques ayant retourné la politesse à Guillaume le Conquérant en traversant la Manche. Parfois, l’introduction du football sur le continent européen est mal vécu, les allemand le nommant vulgairement ce « sport des anglais ».

Aujourd’hui, la Grande-Bretagne est perçu par les historiens du football comme le terreau du hooliganisme, mot galvaudé qui connaît plusieurs sources historiques contradictoires. Contradictoires mais très semblables au demeurant. De toutes les sources auxquels j’ai eu accès, toutes reprenaient les qualificatifs de « gang », « police », « ivrogne irlandais », « rixe » ou « chanson ». À la fin du 19ème siècle, le mot hooligan préfigurait déjà ce qu’allait devenir le phénomène du hooliganisme : un sport violent entre ivrognes, chantant des chants parfois grossiers, maniant agréablement l’art de se battre en gang, autant avec les supporters adversaires qu’avec la police locale. Sachant manier à la perfection l »art du football depuis des siècles,  les anglais et français se trouvaient enfin un point commun. Les deux nations étant à l’origine de ce sport – alors que la Coupe du Monde qui vient de commencer nous aliène, il était naturel qu’elles soient aussi à l’origine historique des premiers actes violents liés à ce sport. Ainsi, il était assez commun d’entendre parler de combats entre supporters avant la première guerre mondiale, de stades entièrement brûlées car l’arbitre semblait avoir été mieux payé par une équipe que par une autre. Bien que les anglais usent souvent de violences au cours du 20ème siècle lors de matches de football, les français ne se privent pas non plus, et beaucoup plus violemment que leurs meilleurs ennemis, de se défouler sur le stade qui les a hébergé un temps. Pour avoir une idée de ce que peut entraîner une simple rencontre, voici trois évènements à 30 ans d’intervalle qui se sont déroulés en France :

  • En 1906, Amiens se dote (déjà) d’un service de sécurité
  • En 1932, les supporters du Havre brûlent avec succès le Stade de la Cuvée Verte après une défaite de 6 à 1 contre l’équipe de Rouen.
  • En 1967, les parisiens du Red Star décident eux aussi de démonter leur stade puis de le brûler pour une décision arbitrale incomprise.

Des deux côtés de la Manche, français et anglais se tiennent main dans la main aux abords de leurs stades, tranquillement, ce dernier se consumant au grès des flammes et du vent. Pourtant, même si les deux nationalités s’accordent sur l’amour qu’elles portent pour le ballon rond et les dommage collatéraux qu’il peut induire, il existe une réelle différence entre les supporters anglais et français. Les premiers rentreront dans la mythologie et dans l’histoire du football, les deuxièmes resteront au coin. Pourquoi ? Car les supporters anglais se sont tout simplement formés en « mouvement », en « gang », afin de mettre leurs empreintes lors d’une rencontre. De la même manière que les joueurs de leurs équipes préférées marquaient des points pendant un match, ils voulaient marquer des points en dehors du match avec leurs poings et cela, de manière organisée et presque tribale. Ainsi, le proverbe l’union fait la force est à l’origine de la différence qui sépare supporters français et supporters anglais, l’union induisant une équipe soudée et alliée par la confiance aux ordres d’un leader.

La nature des ultras anglais a évolué au cours du 19ème siècle et fut largement influencée par les groupuscules et clubs créés dans les années 40 au Brésil dont le but n’était pas seulement de supporter leur équipe mais d’user de violence. Ces « clubs » se disaient indépendant des clubs de supporters classiques qu’un équipe pouvait contrôler et financer. Ce sont ces Torcida (du verbe torcer : soutenir), créés naïvement pour mettre de l’ambiance lors des rencontres, qui auront été à l’origine  des hinchadas en Argentine ainsi que des groupes ultras en Europe et plus particulièrement en Grande-Bretagne. Le phénomène et le nom hooligan s’est largement diffusé chez les britanniques dans les années 80 en pleine années de Thatcherisme. En 1985, le gouvernement anglais décide de réagir après l’évènement dramatique de Heysel à Bruxelles qui fit 39 morts lors d’une rencontre entre Liverpool et Turin. L’opinion britannique découvrit en effet le lendemain dans les journaux que le football allié à la violence déchaînée de quelques supporters pouvait tuer. Même si à ce jour la Grande-Bretagne est beaucoup mieux préparée aux agressions des hooligans (interdiction d’alcool dans les stades, hooligans fichés qui ne peuvent plus aller à l’étranger) un reportage diffusé à la BBC en 1999, réalisé et produit par le journaliste Donald McIntyre, réactualise  en ce début de siècle le côté obscur du football anglais, celui qui produit une violence souvent gratuite, non maîtrisée et cathartique.

Bien que le football soit principalement pratiqué par « le petit peuple » comme le signalait un élève d’Eton dans Reminiscences of Eton qui écrivit « I cannot consider the game of football as being gentlemany; after all, the Yorkshire common people play it » (Je ne peux pas considérer le football comme un sport de gentlemen ; après tout, le petit peuple du Yorkshire y joue), le phénomène d’appartenance ultra ou hooligan dépasse les clivages et les classes sociales pour s’immiscer autant chez les ouvriers que chez les cadres supérieurs. Cette réalité fut rapportée à la télévision britannique sur la BBC en 1999 grâce au puissant reportage de Donald McIntyre qui s’infiltra chez les hooligans de Chealsea, un des « clubs » de supporter, nommé le Headhunter (ou chasseur de tête), le plus important et le plus réputé en Angleterre à l’heure actuelle. Son documentaire permit d’apporter autant des témoignages réels et bruts que d’apposer une image (des docteurs, des cadres, des chefs d’entreprise) et des façons de faire à ces hooligans qui faisaient plus souvent la une des journaux britanniques que les résultats des matches des équipes qu’ils supportaient, laissés aux oubliettes. À l’orée du 21ème siècle, les britanniques avaient enfin une idée de qui pouvaient être les troublemakers, les enfants terribles du foot anglais. On y aperçoit pendant l’heure du documentaire un mélange entre relations avec la drogue et son milieu et relations avec des groupuscules nazi comme l’EDL (English Defence League).


Les hooligans, par leurs codes, leur violence et leurs valeurs incorrects, ont inspirés de nombreuses oeuvres culturelles à travers des films, documentaires et livres. Parmi ces oeuvres, le film Hooligan est l’un des supports les plus populaires de ces dernières années qui soit sortie en salle sur le phénomène du hooliganisme. On y suit un américain exclu d’Harvard et de ses études de journalisme, plus porté sur le baseball que sur le ballon rond, qui s’introduit dans un cercle de fervents supporters du club de West Ham United, le GSE. Arrivé à Londres pour voir de la famille, le personnage principal joué par Elijah Wood va en réalité se trouver une autre famille, celle-ci plus violente, abusant de la bière et chantant à gorge déployée. D’une certaine manière, ce film projeté sur les écrans en 2006 est une adaptation du travail journalistique fourni par Donald McIntyre pour la BBC six ans plus tôt, à la seule différence que le personnage du journaliste se prend tellement au jeu qu’il en devient lui même un hooligan avec ses tics et ses pensées. Celles-ci sont largement décrites à travers le film, que ce soit l’homophobie, le racisme, la haine du journaliste et du policier et le culte de la violence, de la passion et de la réputation de leur club : « Tu fais face et tu te bats« ; « Quelque chose qui te prend à la gorge« . Ces valeurs et ces idées, politiquement incorrects, côtoient de réelles valeurs : le courage, la participation, le dévouement, la confiance et l’amitié entre hommes. La figure du journaliste est très intéressante dans ce film, car bien que les bagarres entre hooligans se fassent à l’extérieur du terrain, à l’abri des regards et des policiers et que les journalistes soient très mal vus, paradoxalement, ces clubs, pour affirmer leur réputation, ont besoin des journalistes pour se retrouver dans la sphère publique et concourir à former ou détruire leurs réputations. Vivre une de ces bagarres peut être assez effrayant.

En effet, témoin d’une bagarre à Londres en plein métro entre des supporters, il est plutôt étrange de se retrouver dans une telle situation où les supporters de West Ham que je venais de voir dans le film Hooligan sont ici à côté de moi, plutôt amochés et particulièrement en forme si je m’en remettais à mes oreilles bourdonnantes. Du côté ouest du wagon, je côtoie les supporters rouges de West Ham qui font face à aux supporters de Sheffield, placés à l’autre bout du wagon, à l’Est. D’une certaine manière, le wagon fait office de champ de bataille improvisé. Les rouges de West Ham chantent pendant 20 minutes, seuls, et il suffira qu’un supporter de l’équipe de Sheffield ne fasse mime de commencer un chant pour que cela déclenche une rixe et entraîne une panique au sein du métro. Les réactions et les mouvements de personnes sont rapides au point qu’il faille avoir assez de sang froid pour ne pas se retrouver au milieu d’un brouhaha où recevoir un coup perdu est aussi facile que de trouver un journal dans le subway londonien. Sans considération aucune, les yeux rivés à leurs bières , leurs chants rodés et leurs poings en avant, les hooligans n’ont aucune préoccupation à l’égard des familles et des personnes âgées se trouvant sur leur chemin lorsque l’heure est à la confrontation. À l’arrivée du métro à la station de King’s Cross, les policiers sont déjà avertis, et comme si  c’était quelque chose de de banal pour eux,  ils réussissent à calmer rapidement les deux équipes de supporters.

Le hooliganisme fait que la Grande-Bretagne entretient une relation paradoxale avec le football tant sur le terrain qu’à l’extérieur et cette brève  rencontre que j’ai pu avoir avec certains d’entre eux – peu violents au regard de certains, me l’a confirmé. Ces anglais (trop) passionnés qui forment une minorité chez les supporters ne posent aucune limite quant à leur passion, se permettant de vivre et de mourir pour leur sport, leur équipe, leurs frères d’armes lors des altercations. Lors de ces dernières, les images d’Hooligan sont violentes, rapides et spasmodiques comme lors d’un banal match de football où le plus rapide et le plus fort l’emporte. C’est une prolongation du match par des supporters grisés par les rencontres de foot. Pour eux, il y a autre chose à voir et à faire pour gagner ou perdre un match : il faut utiliser les poings à la place des jambes, des armes blanches à la place d’un simple ballon afin d’accéder à la réputation ultime, celle du club de supporters le plus redouté du pays. Les seules limites qui existent pour les hooligans sont géographiques. Dans Hooligan ces limites sont simplement représentées au coeur de Londres par un tunnel très éclairé mais froid et glacial, traversé rapidement par un traître pour ne pas être reconnu. La seule limite physique pour un hooligan reste la mort.

À l’heure où la Coupe du Monde va prendre d’assaut tous les médias disponibles, la Grande-Bretagne aura tout fait ces vingt dernières années pour réprimer les pulsions dévastatrices de ses supporters les plus chevronnés, interdisant à toute personne condamnée pour insulte raciste, jet d’objets et envahissement de terrain, de partir du pays. Elle aura tout fait pour préserver son image à l’étranger, dans une compétition aussi importante et aussi regardée que l’est la Coupe du Monde. Pourtant, il y a encore un an, un évènement a remis au goût du jour les problèmes relationnels qu’entretiennent les anglais avec le hooliganisme : 10 ans après la diffusion du reportage de la BBC sur son phénomène, Donald McIntyre, ainsi que sa femme, ont été retrouvé roués de coups par des hooligans lui en voulant pour son reportage. Les hooligans anglais, connus pour ne pas avoir la mémoire courte, seront peut être peu présents lors de cette Coupe du Monde mais resteront toujours une menace sur leurs terres.

Aujourd’hui en 2010, il était intéressant de revenir aux sources, d’avoir un regard sur les supporters anglais qui ont été parmi les premières personnes à être gagné par la fièvre du football il y a des siècles de cela, lorsque le jeu n’était pas encore appelé football. Désormais, le football est l’un des sports, sinon le premier, le plus pratiqué au monde. La Chine est le pays possédant le plus de licenciés (une armée de 26 millions de joueurs) et compte bien, après son introduction réussie dans la globalisation économique, tirer son épingle du jeu dans les années à venir et, peut être, participer elle aussi à cette culture du hooliganisme vielle d’un siècle.

P.S : une idée de la violence des Hooligans avec une vidéo en anglais commentée par Steve Jones des Sex Pistols.

Georges


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