Il y a un tableau d’Arcimboldo, le peintre du marché, intitulé « le bibliothécaire » et qui décrit un peu la métamorphose de l’homme en livre. Le corps de l’homme, ses épaules, sa nuque, sa tête se font envahir par les livres et ça ressemble à un champ de batailles, la souplesse et l’harmonie des traits réduites sous le canon des petits cubes empaginées.
N’y a-t-il pas pour un auteur, un lecteur, danger de devenir livre, de se métamorphoser (pour retrouver un terme qui me poursuit en ce moment !) Livre ou bousier, lequel des deux ? Que le lecteur se rassure, je ne couve pas une nouvelle forme de schizophrénie ! Je viens de relire les pages où Sartre, dans les Mots raconte son étrange relation aux livres et sa terreur de « sentir la colle et le champignon » et de « peser vingt kilos de papier ». Bouvard et pécuchet ?
La tentation de la littérature, quand on la pratique, c’est pour moi celle de l’écorniflage. Si j’écris, ce n’est pas pour lui dresser un sanctuaire, c’est pour l’agacer. Et de la même façon, quand je me laisse distraire par un coin de ciel bleu, un reflet sur la mer, la roue d’un vélo, le gravier d’un sentier, l’aile d’un avion dans un aéroport, je repense toujours à ce poème de Char qui, s’adressant à Rimbaud de façon posthume lui disait, « tu as bien fait de partir ! » ou à telle page de Cendrars qui indiquait qu’il n’y avait rien de plus grisant que la vie. L’écrivain consent difficilement à devenir un livre !