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Max | Que des matons

Publié le 12 juin 2010 par Aragon

ph8.JPGJe prends le train, hier, pour aller à Narbonne. Un simple aller/retour dans la journée. J'ai l'impression d'avoir passé ma vie entière dans des trains. J'en ai déjà parlé. Je l'ai déjà écrit.

Trains tagués en gare Toulouse-Matabiau.

Impressionnant ce défilement de couleurs agressives et flashies, ces circonvolutions de lettres ébouriffées et incertaines peintes sur la tôle froide de wagons immobiles, abattus sur un ballast souillé.  Les vitres même, sont gravées, taguées, au diamant de vitrier.

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Que sont ces lettres ?

Que sont leurs appels échevelés, déchirants et  à qui sont-ils destinés ?

Les entrées des gares, côté voie, sont des no man's land.  Laideur extrême et totale du paysage du dernier kilomètre parcouru apperçu à la fenêtre d'un train, quelle que soit la ville de destination, avant l'arrivée en gare. Je l'ai toujours constaté.

Dans la gare, à son abord immédiat, contre ses flancs, autre spectacle. Assises, couchées, debout, dizaines de brigades canines de SDF qui font face aux voyageurs potentiels ou réels, aux flics qui passent, repassent, revêtus d'uniformes bleus et froids, annoncés, précédés, par le cliquetis inquiétant de tout le matériel de dissuasion qu'ils trimballent accroché en vrac à la ceinture : tonfa, gun, menottes, mini lampe, gants de cuir noir.

Nuée disparate de détresse commune. Ciel commun, trottoir commun. Conglomérat pathétique, aviné, titubant, quémandant, braillant, dormant la joue de l'humain et la lippe du clebs à même le sol. Je suis effaré par toute cette misère. Il doit y avoir des dizaines de milliers de SDF / chiens en France à l'époque actuelle.

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À l'arrêt de Castelnaudary montent dans le dernier wagon où je suis installé sur le dernier siège, une dizaine de jeunes, quinze, dix-huit ans. Que des garçons. Ils se mettent juste devant moi. Impressionnante vision, à son arrivée, que cet amoncellement de faciès improbables et inquiétants, habillés de cité.

Je me ressaisis vite, observe. Ils parlent bien sûr ce langage "jeune" que je ne comprends pas, mêlé à de l'arabe.  Ils doivent être placés dans une institution spécialisée et retournent chez eux (?) en fin de semaine, mais ça c'est moi qui le suppose. Je le suppose d'autant plus qu'ils parlent des conditions de merde de la semaine, des matons qui font chier.

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Ils s'appellent, je ne me souviens que de ces seuls prénoms, Nassim, Mounir, Kad, Manu, Duncan...

Dans la seconde qui suit leur installation, en vrac : Tchatche effrénée, rap à fond sur iPod, roulage de "mélange" à fumer. Dans la seconde qui suit cette précédente seconde une femme vient vers eux,  elle n'a pas été patiente la nana. Elle est assise au bout du wagon, elle le traverse donc, il est quasiment vide, pour venir vers la meute bruyante. Quelques mots fermes pour leur demander d'éteindre la zik et de mettre plutôt des écouteurs. Ils restent muets, donc polis. Ils la regardent comme une extraterrestre. Elle repart, le volume est baissé pour être remonté encore plus fort une minute après. La femme les regarde de loin. Je la vois bien malgré la petite distance. Si ses yeux pouvaient être une kalach les d'jeuns seraient flingués depuis longtemps et moi, dans l'axe du tir, je serais une innocente victime collatérale .

J'entends Mounir dire à Nassim : "Regarde comme elle nous regarde la meuf, on n'est pas des étrangers, y'a que des matons partout dans cette société, elle a pas su grandir la meuf, puisque c'est ça je vais la regarder aussi..."

Le crissement du frein dans les boggies m'a réveillé à Narbonne. J'avais ma tête, ils ne m'avaient donc pas sacrifié, j'avais mon sac, ils ne m'avaient pas volé. J'ai sauté sur mes pieds pour  filer vers la descente. Les mômes mangeaient un grand sandwich que le chef partageait inégalement, mais partageait. C'était pas mal ce qu'ils écoutaient.



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