On songe aux déplacés de la planète, exilés de tous poils, nomades obligés, réfugiés malvenus et autres immigrés sans place. Déplacer, c'est aussi faire faire un écart, un pas de côté, qui peut être douloureux : on songe au déplacement d'une vertèbre, d'un os brisé. Sur le plateau, le déplacement doit être précis : qui se déplace, qui déplace qui, pour dire quoi, dans quel affrontement, avec quelle souffrance ?
Le déplacement est donc un art consommé de la place qui ondule, de la lutte des places qui prend une forme si belliqueuse en ce monde où l'on sent bien que chacun n'y a pas la sienne. Sur scène, la lutte des places est danse collective : chacun la sienne, et tant que chacun des personnages n'a pas sa place, il faut penser, parler, écouter, et la lui trouver…
Le déplacement produit parfois le rapprochement, parfois l'éloignement, ce jeu de distance sur scène. Tout est distance pour nourrir l'espace entre deux comédiens, pour que l'intensité dramatique soit la plus épaisse, la plus forte...
Se rapprocher et s'éloigner, voilà l'enjeu du déplacement, qui reste la technique la plus périlleuse de la rencontre…
Ainsi au théâtre comme dans la vie. Dans la vie comme au théâtre. Perpétuel déplacement. Sur les planches comme sur la fluidité fine d'un trottoir, la plume d'un avion, le ventre d'un wagon...