Ils sont trois côte à côte, amarrés au quai d’un port poussiéreux et quasi-désert. Ces trois thoniers venus de Sète attendent à Malte que le mauvais temps cesse ou que la saison de pêche s’achève. Ils semblent ne plus bien savoir. Voilà plus d’un mois qu’ils ont quitté le sud de la France pour pêcher leur quota annuel de thonidés, soit 440 tonnes pour l’ensemble des trois bateaux – sur un total de 13 500.
Mercredi, Bruxelles a annoncé la fin prématurée de la saison de pêche pour les bateaux battant pavillon européen. Pourtant, les trois thoniers de Sète n’ont pas capturé autant de poisson qu’ils auraient pu. Il en manque cent tonnes. “Officiellement, la fin de la saison ne nous pas été signifiée par les autorités”, assurait vendredi 11 juin le second de l’armada, Généreux Avallone. Ils l’ont appris comme tout le monde par les médias. Si le temps s’améliore, ils repartiront peut-être pêcher ces cent tonnes manquantes. Ce dernier coup dur, ils ne s’y attendaient pas. Mais, la seule chose qui les réconforte, c’est le soutien du ministre de l’agriculture et de la pêche, Bruno Le Maire, fait plutôt rare dans les relations entre les pêcheurs et leur ministre de tutelle…
A l’arrière de l’un des bateaux, assis sur une annexe, un marin pêche à la ligne. A la proue, un autre étend son linge. D’autres reviennent du centre-ville avec des vivres. Sur le quai, M. Avallone m’avait accordé cinq minutes. La conversation durera finalement une bonne heure… Le temps de passer en revue les sujets qui fâchent. Évidemment, la confrontation avec les écologistes de Greenpeace est au menu.
Le 4 juin, lesthoniers de Sète et les militants de l’association écologiste en sont venus aux mains au large de Malte. Les seconds ayant tenté de libérer les thons prisonniers des sennes, les premiers ont répliqué. Et cela a rendu furieux les pêcheurs, Généreux Avallone en tête, qui emploie une gamme variée de noms d’oiseaux pour évoquer l’incident :
“Tant qu’ils venaient avec leurs banderoles, ça allait. Mais on ne peut pas accepter qu’ils viennent bousiller notre outil de travail. Sur ces bateaux, on est des pères de famille, on veut juste nourrir nos gosses. Ils ont mis des sacs de pierres sur les flotteurs des sennes pour les faire couler et que les poissons s’échappent. Qu’est ce que vous vouliez qu’on fasse ? Qu’on aille fumer un petit joint avec eux le temps qu’ils finissent de saboter notre travail ? Non, on a défendu notre propriété. On n’est pas des violents, mais on ne peut pas tendre l’autre joue quand on nous attaque.”
Si les thoniers sortent à nouveau et qu’ils croisent la route de Greenpeace, ou l’inverse, la rencontre risque d’être houleuse. Sur les thoniers français, les quelques marins rencontrés le confirment et craignent que l’affaire ne dégénère plus sérieusement encore.
Les écologistes garants de la préservation d’une espèce versus les pêcheurs qui gagnent leur pain, une vieille histoire. Pourtant, M. Avallone reconnaît que leurs actions ont permis d’inciter les autorités à remettre un peu d’ordre. “Au début des années 2000, des bateaux venaient de partout pour le thon rouge, c’était le bordel”, se souvient-il. Les règles imposées depuis par les instances internationales sont draconiennes. La période de pêche a été raccourcie, les quotas abaissés, les contrôles systématiques. Alors quand Greenpeace vient “emmerder les pêcheurs légaux”, M. Avallones’énerve encore :
“On est fliqués en permanence. On remplit des tonnes de paperasse dès qu’on pêche un poisson, on a un observateur de l’ICCAT en permanence à bord, des navires de la marine surveillent tous nos faits et gestes. Comment voulez vous que l’on triche ? C’est impossible !
Je suis d’accord avec les associations si elles s’en prenaient à la pêche illégale. Mais qu’elles nous laissent bosser, nous qui respectons scrupuleusement les règles.”
Parmi ces règles figure depuis quatre ans l’interdiction de pêcher des spécimens inférieurs à 30 kilogrammes. Depuis, ils grouillent, jurent les pêcheurs. “Ça fait presque peur”, ose même un marin… “Mais qu’ils viennent les scientifiques, les politiques, les journalistes avec nous pour qu’on leur montre le poisson. Des thons, il y en a plein la Méditerranée”, poursuit-il. Et tous les thoniers le diront, ils n’ont mis que quelques jours pour pêcher les trois quarts de leurs quotas. C’est pour eux une preuve suffisante pour affirmer que les thons rouges ne sont pas ou plus en danger.
J.P.