Ils auraient pu garder ça pour eux et faire comme à leur habitude : refaire le monde du ballon rond entre plusieurs rasades de vin rouge, devant un écran scintillant de joueurs modélisés, devant des schémas de jeu inventifs et travaillés : devant FIFA 10 ; mais cette-fois, à l'occasion de la première envolée mondiale pour le continent africain, ils ont décidé de vous faire partager leurs discussions. Pour le meilleur et pour le pire.
J.L.L. : Voilà nous y sommes, aux portes de Cape Town, à attendre fébrilement l'Uruguay et leur duo offensif à presque 80 pions cette saison. Préparation bizarre, pas catastrophique – ce n'est pas l'Italie – mais évidemment pas rassurante. Par rapport à notre première discussion, il y a eu un évènement, et pas des moindres : les diarrhées de Diarra. Raymond a profité de cette opportunité pour passer au 4-3-3 réclamé par tous. T'en penses quoi, en définitive ?
A.C. : C'est sûr que le forfait de Diarra rend nos prospections et nos compos complètement caduques. Et de toute manière, il faut bien admettre qu'on s'est assez largement plantés : Govou titulaire, Henry sur le banc au profit d'Anelka, Ribéry à gauche et, surtout, comme tu le soulignes, l'abandon du 4-2-3-1 pour une sorte de 4-3-3 (changement dicté par le forfait de Diarra certes, mais qui aurait très bien pu être comblé par le rappel d'un milieu défensif).
Personnellement je ne suis absolument pas convaincu du fait que ce soit ce 11 type qui entame le tournoi vendredi, mais à la vue des trois matchs, je suis plutôt globalement enthousiaste. Certes la suppression d'un 6 expose encore davantage une charnière qui fait très peur (voir le premier quart d'heure contre la Tunisie, catastrophique à ce niveau-là), mais depuis quand n'avions-nous pas vu une relation aussi prometteuse au milieu ? Depuis des années (il suffit de remonter à 2006, en fait) les spectateurs réclament du mouvement, du jeu un peu moins stéréotypé, de la vitesse, des combinaisons ; moi, je dois dire que Gourcuff-Malouda-Ribéry, j'aime énormément, même si ça penche à gauche et que Govou fait davantage office de milieu défensif excentré que d'ailier.
Cela dit, j'occulte ici un certain nombre de lacunes et j'en suis bien conscient.
J.L.L. : Je suis persuadé que l'on commencera avec ce 11 type vendredi. S'il y a remaniement – Ribéry de retour à droite –, cela interviendra comme un électrochoc au sein de la compétition. Pas sûr que le faire avant le début du tournoi ait psychologiquement beaucoup d'effet.
Du reste, je vais un peu à l'inverse de l'ensemble des spécialistes, très excités après le Costa-Rica et très alarmiste après la Chine. Le score ici me semble ici faire une autorité un peu irrationnelle. Outre le côté droit, nous avons deux grosses incertitudes : la solidité de l'axe défensif et le poids offensif d'Anelka. Or ces deux chantiers ont semblés en construction contre la Chine, Gallas prouvant toute son envie, Abidal étant moins à la rue dans son placement et Anelka se montrant un peu plus disponible. Rien de fou, hein, mais mais inquiétant que dans les autres matchs.
Il y a un autre point qui pour moi peut faire problème. Et je vais être polémique, comme je l'ai beaucoup été auparavant avec Mandanda dans sa meilleure période – je lui reprochais de ne pas parler et de ne pas savoir diriger une défense. Ce que je vais pointer du doigt et qui peut être criant en Afrique du Sud, c'est l'éparpillement de Toulalan. Dans un système à deux défensifs, j'aimais son envie d'être partout, de compenser les lacunes de tous ses copains, défensives comme offensives. Mais avec ce nouveau système, le défensif n'a plus du tout le même rôle. Sa tâche est moins être celle d'un milieu omnipotent que d'un strict rempart fixe devant la défense. Or le Toulalan de cette préparation part à l'abordage, fait du pressing, impressionne par son envie mais questionne quant à son placement. Ce que je crains, c'est que nous adversaires jouent entre les lignes, entre nos quatre de derrière et nos milieux. Le Mexique surtout. Et pour contrer cela, il faut un 6 intraitable dans sa zone et qui ne s'éparpille pas. Je ne suis pour tout dire pas loin de penser qu'un Alou Diarra ferait mieux le boulot. C'est ici précisément la différence que l'on a vu à l'OM cette année, entre Édouard Cissé en 6 et un MBia très bon mais trop cavalier pour le poste.
A.C. : Je suis moins catégorique que toi en ce qui concerne le 11 type. Comme tu l'as souligné un peu plus tôt, Domenech malgré son apparat de sélectionneur opaque et peu conciliant, cède finalement fréquemment à la pression populaire et, surtout, n'hésite jamais à changer de système ou de joueur pour le premier match d'une compétition, même si ces derniers n'ont jamais été testés (se souvenir de 2006, on était passés d'un 4-3-1-2 à un 4-2-3-1 du fait de la blessure de Cissé). De toute manière je t'admets, et tu le sais, que je ne suis pas très intéressé par les systèmes en eux-mêmes, que je trouve peu significatifs, mais bien davantage par les attitudes des joueurs, leur discipline et la disponibilité qu'ils offrent.
En ce sens, je te suis totalement en ce qui concerne Toulalan. Contre la Tunisie et la Chine, on l'a vu successivement troisième défenseur central, appui de Gourcuff et même, parfois, pur meneur de jeu. Une telle mobilité, dans l'absolu, pourquoi pas, mais comme tu l'évoques c'est beaucoup plus risqué lorsqu'il n'y a pas de second milieu défensif (le bouledogue Lass était parfait dans ce rôle) et de surcroît une charnière à peine plus rapide que Sol Campbell (tu me dis qu'il y a eu du mieux contre la Chine, j'ai envie de te dire que c'est la moindre des choses et que je ne suis pas rassuré pour autant).
En définitive je suis plutôt optimiste certes, mais je me repose en grande partie sur les enseignements que les joueurs tireront de ces trois matchs de préparation (surtout pour Toulalan, qui a bien plus de qualités intrinsèques qu'A.Diarra, mais qui doit apprendre à se fixer), et sur la capacité d'adaptation de Domenech. C'est-à-dire que conserver ce 11 type déséquilibré, pourquoi pas, je crois toujours au réveil des grands joueurs à l'heure des grandes compétitions (Anelka et surtout Govou, tellement imprévisible), mais certainement pas jusqu'à l'entêtement.
J.L.L. : Pas jusqu'à l'entêtement, c'est ça.
Plus généralement, comment tu vois la France dans ce groupe A ? Et quelles premières tendances tu dégages de cette avant Coupe du Monde ?
A.C. : Lors du tirage des groupes j'étais déçu mais aussi un peu inquiet, du fait qu'on hérite de la poule supposée la plus facile. Le rôle d'épouvantail n'a jamais convenu aux Bleus, au moins dans leur histoire récente, et du coup j'imaginais déjà, de très loin, un remake des trois premiers matchs de 2006 avec, à la clé, une issue pas nécessairement heureuse lors du coup de sifflet final contre l'Afrique du Sud. Les équipes dites faibles regroupées à 10 dans leurs trente derniers mètres et qui jouent en contre, ça ne nous a jamais vraiment réussi, et j'aurais donc espéré au moins une équipe plus favorite que la notre dès les poules, histoire de se libérer d'un certain statut et de se débarrasser d'une pression inutile.
Mais depuis le scandale contre l'Irlande, qui répand l'idée selon laquelle on ne mérite pas notre place, et ces trois matchs de préparation, je suis paradoxalement un peu plus serein. On se retrouve maintenant dans une sorte de position intermédiaire, d'équipe qui a vécu mais ne parvient pas à se régénérer, inefficace en attaque et surtout très fébrile en défense. Que les Uruguayens abordent le match de vendredi avec cette idée en tête, selon laquelle nous serions largement prenables, ça me rassure énormément et me pousse à l'optimisme. Il s'agit certes plus d'un sentiment diffus que d'une analyse poussée mais j'aime notre position actuelle, j'aime notre discours calfeutré et la tranquillité de certains de nos joueurs. Et dès vendredi soir, je pense qu'on aura un début de réponse quant à ce que peut réaliser la France lors de cette compétition. Je ne les vois pas, comme en 2006, se révéler et se réaliser à partir des huitièmes. Ca commence immédiatement.
Plus largement, en ce qui concerne les autres équipes, je vois bien les Pays-Bas ou l'Angleterre aller au bout. Ces deux équipes me plaisent énormément, pour des raisons différentes, et ils peuvent évoluer en sous-marins du fait de la surexposition de l'Espagne, du Brésil ou de l'Argentine. Pour ce qui est des équipes qui ne partent pas favorites, je pense que le Cameroun a les moyens de faire une très grosse coupe du monde. D'une part ils sont très solides à toutes les lignes (Mbia-Song-Eto'o !), et d'autre part ils font partie d'un groupe très abordable. Ils ont ensuite de grandes chances d'affronter -au pire- l'Italie en 1/8e, équipe qui je trouve est très vulnérable en ce moment.
Maintenant je te propose de mettre un frein aux spéculations qui peinent à dissimuler mon impatience, de sortir de chez toi, et de passer par chez moi t'imbiber les lèvres de mauvais rouge devant une cérémonie d'ouverture qui, je l'espère, sera au moins aussi ridicule que celles des années précédentes. Je t'attends.
J.L.L. : Je vois plus l'Argentine aller au bout. Quant à notre groupe, je trouve qu'on l'on surévalue beaucoup l'Uruguay tout en sous-estimant le Mexique : les deux pour moi se valent et tu l'as dit, la défiance envers l'Équipe de France nous met dans une position de quasi outsider qui nous va bien. Mais nous verrons, les Dieux du foot sont parfois capricieux.