Dès les débuts de la photographie, celle-ci a été un instrument, instrument de pouvoir au service d’une certaine représentation du monde, mais aussi instrument de surveillance et de plaisir mêlés. Cette exposition à la Tate Modern à Londres (jusqu’au 3 octobre) tente de démontrer que ce sont là des qualités inhérentes mêmes à la démarche photographique et non pas des aberrations. Elle le fait imparfaitement : on le comprend mieux quand on réalise que c’est une exposition conçue par le Musée de San Francisco dont tant l’approche que les exemples donnés sont quelque peu mis à la sauce américaine. L’absence des promeneurs mondains d’Henri Rivière, des criminels de Bertillon ou des vagabonds suisses de Carl Durheim (bien plus intéressants que les suffragettes), déplorable historiquement, s’explique ainsi, et aussi celle de nombreux photographes contemporains européens (Colom est absent; Tichy présent, un peu). Mais, de part et d’autre de l’Atlantique, la question demeure : que veut dire ‘regarder’, moralement, éthiquement, et que veut dire ‘être regardé’? (Weegee, Marylin Monroe arriving at a film premiere, 1953)
Quelques photos sur la violence, dont certaines incongrues par rapport au propos (et un très beau suicide depuis des poutrelles en contre-plongée, de Enrique Metinides). Et la surprise de voir une des photos d’Auschwitz recadrée et redressée : pour ‘faire de l’effet’, on perd le contexte, et donc le sens même de l’image, prise depuis l’intérieur du four et précipitamment. D’un témoignage, on a fait un document. C’est presque un sacrilège.
Parmi les photographies autour de la vidéosurveillance, celle-ci de Jonathan Olley en Irlande du Nord (Golf Five Zeo Watchtower, Crossmaglen Security Force Base, South Armagh, 1999) dit assez l’intrusion et la violence. Mais il est dommage de n’avoir ici ni Francis Alÿs (qui, il est vrai, aura bientôt une exposition à la Tate), ni Taysir Batniji, ni Renaud Auguste-Dormeuil, par exemple; l’Australien Denis Beaubois, posté devant une caméra de surveillance avec laquelle il tente d’établir un impossible dialogue, fournit un des exemples les plus absurdes et les plus révélateurs (In the event of Amnesia the city will recall…1996/97). Et quand la vidéosurveillance est acceptée, quand nous nous y prêtons avec délectation, quand nous nous offrons aux yeux d’autrui, on arrive au travail de Shizuka Yokomizo qui prévient les habitants d’un immeuble que, tel jour à telle heure, la nuit, elle sera dans la rue devant chez eux et qu’ils peuvent soit tirer leurs rideaux, soit les laisser ouverts (Stranger) : c’est tout simple, et c’est, avec McCombe et Yoshiyuki, une des photographies les plus dérangeantes de cette exposition, une de celles qui me questionnent comme acteur et pas seulement comme spectateur.