Loin de tout modèle hollywoodien, le cinéma et la réalité sont faits pour se rencontrer. Parfois. Certes, il faut savoir préserver la part du rêve et apprécier un cinéma du fantasme ou de l'évasion. Mais il ne faut pas s'interdire de défendre les films qui interrogent la réalité et nous en renvoient une vision critique. Loin du faible et conventionnel Welcome de Lioret, Les mains en l'air du "radical" Romain Goupil (Mourir à trente ans) me réconcilie avec un cinéma militant qui, une fois n'étant pas coutume, ne monnaie pas, comme honteusement, la générosité du sujet par une cotisation au syndicat des cinéastes académiques. Les mains en l'air est évidemment mon film de la semaine. Mais celle-ci semble généreuse (ça faisait longtemps...). Un film de Vincent Ostria, un dessin animé japonais apparemment bluffant et surtout le premier documentaire évoquant l'étrange destin des Doors et de son leader poète blues rock sexy, Jim Morrisson, méritent quelques séjours en apnée dans les salles obscures. D'autres aussi, mais aurai-je le temps de les mentionner.
Dans tous les cas de figure, la musique, bande originale de La séance de ce mercredi, c'est forcément ça : car People are stange, non ?
L'ÉDITO PIQUÉ A LA PRESSE QUE J'AIME
Extrêmement intéressant, à mon avis, le texte pamphlet-manifeste publié par les inrocks cette semaine, auquel j'adhère d'autant plus qu'il démolit (mais avec intelligence) le film d'un cinéaste que j'adore. Disons que ce manifeste (qui n'est pas tout à fait le "Sur une tendance du cinéma français", texte fondateur de François Truffaut que je publierai un de ces jours ; justement, Truffaut s'en prend principalement à deux scénaristes qui ont beaucoup travaillé avec ce cinéaste français que défonce Morain dans Les inrocks, Pierre Bost et Jean Aurenche) constitue la suite, non seulement logique mais stratégique du texte du même magasine publié dans cette rubrique la semaine dernière.
C'est titré Ras-le-bol du "C’était attendu" et ça commence comme ça :
"Depuis l’élection de Sarkozy, on s’était peu à peu habitués – très mal en vérité - à la nouvelle morgue rhétorique des vainqueurs. En particulier, les membres les plus en vue de l’UMP (Xavier Bertrand, Jean-François Copé), lorsqu’ils se manifestaient dans une émission de parlote culturelle, utilisaient une belle technique pour discréditer systématiquement leurs opposants artistes (Charles Berling en fut une fois victime chez Ruquier) :
"C’est normal que vous ne soyez pas d’accord avec nous, puisque vous êtes de gauche."
Une méthode très déstabilisante, basée sur une inversion dialectique, à laquelle la réponse la plus sensée devrait être :
"Non, c’est le contraire : je suis de gauche parce que je ne suis pas du tout d’accord avec vous, avec votre façon de voir le monde, avec votre action et vos procédés."
D'abord la politique, maintenant le cinéma.
Et voilà que, depuis peu, il semble qu’une partie de la critique de cinéma française, même quand elle se dit "de gauche", se soit emparée de la technique".
Si le thème (le cinéma, sa critique) vous intéresse, la suite en CLIQUANT ICI
LES FILMS DE LA SEMAINE
Les mains en l'airfilm français de Romain Goupil (1h30)
Scénario : Romain Goupil
Image : Irina Lubtchansky
Distributeur : Les films du losange
Avec : Linda Doudaeva, Jules Ritmanic, Louna Klanit, Jérémie Yousaf, Louka Masset, Dramane Sarambounou, Jules Charpentier, Emma Charpentier, Valeria Bruni-Tedeschi, Romain Goupil, Hélène Babu, Hippolyte Girardot.
Synopsis : 22 mars 2067, Milana se souvient de ce qui lui est arrivé, il y a soixante ans… En 2009, Milana, d’origine tchétchène, est élève en classe de CM2 à Paris. Ses copains, sa bande, ce sont Blaise, Alice, Claudio, Ali et Youssef. Mais un jour Youssef, qui n’a pas de papiers, est expulsé. Puis, c’est au tour de Milana d’être menacée. Se sentant alors en danger, les enfants décident de réagir. Ils prêtent serment de toujours rester ensemble et organisent un complot pour sauver Milana…
La ligne éditoriale de ce blog étant ce qu'elle est, le film de Romain Goupil est évidemment MON film de la semaine. D'ailleurs, malgré tout ce qu'on peut trouver contestable chez cet ancien contestataire trotskyste qui a approuvé l'intervention militaire américaine en Irak au nom de valeurs démocratiques, tout film de Romain goupil serait LE film de la semaine. Parce que ce cinéphile engagé, écorché, marqué à jamais par sa révolution en mai 68, collaborateur de Jean-Luc Godard, Chantal Akerman, Roman Polanski et Catherine Breillat fait un cinéma d'une virulente sincérité et d'une déchirante sensibilité.
Je trouve très intéressant qu'il ait pris le point de vue de l'enfance. Ce qui fait dire à plusieurs critiques qu'il est dans une logique Club des Cinq : sans mièvrerie, contrairement à Lioret, Goupil montre l'exaltation d'une bande de potes (comme dans Mourir à trente ans ou Une pure coïncidence) telle une posture révolutionnaire et un acte de résistance. Mais là, les potes ("Touche pas à...") ont dix ans et ils se construisent comme des révolutionnaires et des résistants de 10 ans... à la manière du Club des Cinq, avec les méthodes du Club des Cinq, comme des vrais gamins. Et au bout, la conscience (d'où le titre, Les mains en l'air) que dans cette France sarkopathe, chaque enfant est une cible en puissance.
A voir d'urgence, en attendant le film de Laurent Cantet, sur un sujet proche.
Le dossier de presse en PDF : CLIQUER ICI
When You're Strange (A Film About the Doors)film américain (US) de Tom DiCillo (2009, 1h30), couleur et N&B
Avec Johnny Depp
Monteurs : Micky Blythe, Kevin Krasny
Distributeur : MK2 Diffusion
Synopsis : A l'origine, il y a Les portes de la perception, le livre d'Aldous Huxley sur son expérience de la mescaline et d'autres drogues hallucinogènes. La citation de William Blake, qui lui a fourni le titre de ce livre, inspira également Jim Morrison et Ray Manzarek pour le nom du groupe - The Doors - qu'ils fondèrent en 1965 à Venice Beach avec John Densmore et Robby Krieger. Ils allaient devenir l'un des groupes les plus importants et les plus influents du rock américain.
J'ai lu les critiques du film à la fois dans la presse intelligente et dans la presse conne. J'en tire un consensus plutôt mou ("encore un film sur les Doors ? ah, non : c'est plein d'inédits, de trucs qu'on n'imaginait même pas ? Mais c'est passionnant etc.). En fait, l'intérêt de ce film, c'est son parti-pris : Tom DiCillo a voulu n'utiliser que des images d'archives afin de nous (re)plonger in vivo dans l'univers devenu si exotique de la fin des sixties et du (tout) début des seventies. Alors, on lit tout dans la presse, c'est brillant, c'est brutal, c'est émouvant, c'est rock. Le dernier mot à DiCillo cité par Libé : "La fascination teenage évanouie, quarante ans plus tard, un sentiment morose enveloppe un récit qui, selon le thanatopracteur DiCillo, «s’adresse à tous ceux qui ont déjà ressenti le frisson glacial de la solitude et de l’étrangeté en eux».
Le site du film : CLIQUER ICI
Crimefilm français de Vincent Ostria (2009, 1h10)
Cadreuse : Emmanuelle Le Fur
Directeur de la photographie : Emmanuelle Le Fur
Ingénieur du son : Ludovic Elias
Distributeur : Les Productions Aléatoires
Avec Philippe Petit, Eva Ionesco, Paul Nguyen
Synopsis : Muinski, un dealer, vit de nuit dans une vieille cité mystérieuse, en compagnie de Tô, un Asiatique agonisant. Fatigué et manquant de clients, Muinski veut s’arrêter pour monter une librairie mais il commence à recevoir d'étranges paquets recélant une poudre noire, une drogue inconnue… Il la teste. Un soir, Muinski invite quelques amis chez lui pour une soirée à l’issue de laquelle son univers bascule. Sous emprise du stupéfiant, Muinski va commettre l’irréparable… Mais les choses ne sont pas si claires, si nettes qu’elles le semblent.
Outre un sujet intéressant, l'origine du monsieur, dont c'est le premier long (il est critique ciné dans mon mag' favori...) m'attire vers cette oeuvre en noir et blanc (le N & B est de plus en plus beau au cinéma) apparemment singulière. Et quand la presse, à propos d'un premier film évoque sans rire Dostoïevski, Lynch, Bela Tarr, Tati, Franju, Kaurislmaki, ainsi que le Robert Aldrich de Kiss me deadly, ça interpelle forcément quelque part, non ? Ah oui, on a aussi mentionné Barbara, l'auteure-compositrice-pianiste-chanteuse-séductrice.
Alors ? Un diamant noir ?
Je cite (à nouveau) J. B. Morain à propos de Crime, car les deux paragraphes qui suivent complètent bien le corpus théorico-énervé qu'il construit depuis Cannes, à propos d'une certaine tendance de la critique française, corpus théorico-énervé que ce blog revendique d'ailleurs : "Nous vivons une époque assez étrange, où la confusion règne parfois parmi les amateurs de cinéma. Le dernier Festival de Cannes nous a ainsi révélé qu’un film clair comme de l’eau de roche tel le nouveau film d’Apichatpong Weerasethakul pouvait encore être considéré par certains journalistes de cinéma, près d’un demi-siècle après, disons, L’Avventura de Michelangelo Antonioni, ou trente-trois ans après Eraserhead de David Lynch, comme du cinéma “radical”… Le cinéma singulier n’a donc pas le vent en poupe et c’est bien dommage pour notre collaborateur Vincent Ostria, qui sort aujourd’hui son premier long métrage, que d’aucuns jugeront “radical”, alors qu’il s’agit juste d’un cinéma qui a la modeste prétention de vouloir nous proposer autre chose que la messe hebdomadaire du mercredi."
Summers warsfilm japonais de Mamoru Hosoda (2009, 1h54)
Animateur : Hiroyuki Aoyama
Chef décorateur : Youji Takeshige
Ingénieur du son : Yasuyuki Konno
Opérateur : Yoshio Obara
Compositeur : Akihiko Matsumoto
Monteur : Shigeru Nishiyama
Directeur artistique : Youji Takeshige
Avec Ryunosuke Kamiki, Patrick Mölleken, Nanami Sakuraba
Synopsis : Bienvenue dans le monde de OZ : la plateforme communautaire d'internet. En se connectant depuis un ordinateur, une télévision ou un téléphone, des millions d'avatars alimentent le plus grand réseau social en ligne pour une nouvelle vie, hors des limites de la réalité.
Kenji, un lycéen timide et surdoué en mathématiques, effectue un job d'été au service de la maintenance d'OZ. A sa grande surprise, la jolie Natuski, la fille de ses rêves, lui propose de l'accompagner à Nagano, sa ville natale. Il se retrouve alors embarqué pour la fête traditionnelle du clan Jinnouchi. Il comprend bientôt que Natsuki ne l'a invité que pour jouer le rôle du " futur fiancé " et faire bonne figure vis-à-vis de sa vénérable grand mère. Au même moment, un virus attaque OZ, déclenchant catastrophe sur catastrophe au niveau planétaire.
Avec l'aide de Kenji, tout le clan Jinnouchi se lance alors dans une véritable croisade familiale pour sauver le monde virtuel et ses habitants...
"Indéniablement splendide", ce film nourri par les fantasmes de la mondialisation qui déstructurent notre vision du monde et les intrusions virales du virtuel dans tous ses états, ce film, présenté comme moins abouti que le "proustien" La traversée du temps (2007) reste un produit "grand public", "pour tous les âges" (TOUS les âges, contrairement à certaines merdouilles techno US que j'ai du me farcir, moi qui ai dépassé les 5 ans, histoire de sortir des enfants - les pôvres...), mais, et quand on connait un peu Mamoru Hosada, forcément virtuose. Je l'avais d'ailleurs recommandé dans mon dernier copier-coller du vendredi, après m'être planté sur la date de sortie. Emmenez les nains dimanche prochain. Et la Grand-Mère...
LA REPRISE DE LA SEMAINE
LA reprise de la semaine est l'évidence même :
Gloria
film américain (US) de John Cassavetes ()
Gena et John étaient mariés. Gena était l'actrice fétiche de John. Comme il tournait souvent dans sa propre maison, Gloria faisait parfois la cuisine pour l'équipe du film (comme son personnage le fait dans A woman under influence) sauf quand elle était enceinte (Faces). Elle lui aurait dit "Make a movie bigger than life, for me", il lui a écrit Gloria, puis il aurait renoncé à le tourner, puis il l'aurait réalisé pour elle, comme un acte d'amour, un don, même s'il devait pour ça passer par un grand studio, ce dont cet indépendant avait horreur. Il détestait le film. Elle l'adorait. Tous deux savaient que Gena aurait pu être Marilyn (une Marilyn équilibrée, heureuse) si elle n'avait partagé le goût de son mari pour le cinéma fait à la maison. Parfois, John, qui était aussi un excellent acteur, acceptait de tourner dans un film à gros budget, pour un cachet qui paierait son prochain film. Dirty dozen avec Aldrich, Rosemary's baby pour Polanski (des gros films, pas des grosses merdes).
Gloria, il est vrai, est un Cassavetes hors normes. Mais ce n'est pas son premier polar (Murder of a chinese bookmaker). D'ailleurs, tout le cinéma de Cassavetes est hors normes. J'aime cet homme. J'aime cette femme. J'aime le cinéma et j'ai revu Gloria avec bonheur. Et je vous souhaite le bonheur de la découverte.
L'IMAGE DE LA SEMAINE
Gena / Gloria a l'air de dire "Les mains en l'air", aux côtés de Romain Goupil. Cette femme magnifique, actrice sublime, née le 19 juin 1930, d'après l'État civil américain, aurait bientôt l'âge magnifique de Clint Eastwood, quelques semaines après lui, tout de même. Bon anniversaire, très très chère Madame Rowlands-Cassavetes.
ON EST PAS DES CHARLOTS...
FILM SOCIALISME de Jean-Luc Godard
LES FEMMES DE MES AMIS de Hong Songsoo
LA REINE DES POMMES de Valérie Donzelli
Si vous habitez Guingamp, vous pouvez voir ce merveilleux film dimanche.
J'aurai accompagné la carrière de ce film que j'aime jusqu'au bout.
Vous pouvez voir ICI un court de Valérie Donzelli,
son premier film, déjà si riche de ce que
la Belle nous donnera avec son long.
Si vous avez 12 mn,
CLIQUER.
MAMMUTH de Kervern et Delépine
pour vous venger de Becker qui vous a mis la tête en friche.
FOCUS
Jusqu'à dimanche, FILMER LA MUSIQUE
entre Point éphémère et MK2 Quai de Seine,
CLIQUER L'AFFICHE pour en savoir plus.
Une programmation très intéressante et puis une pépite (le film est peut-être déjà passé, peu importe, au moins on en aura parlé). Connaissez-vous Jonathan Caouette, le réalisateur de l'EXTRAORDINAIRE Tarnation, film-vie qu'il a commencé à l'âge de 12 ans et qui l'a habité jusqu'à ce qu'il le sorte de lui et qu'il le montre au reste du monde. Je ne connais pas de version de Tarnation en VOST, je l'ai en VO sans ST et mon anglais ne me permet pas de ne pas m'y perdre. Le festival Filmer la musique est l'occasion de voir un autre film de ce réalisateur au nom (c'est son vrai nom) fantaisiste, All tomorrow's parties, montage de 10 ans de tournage du même festival de rock qui revient chaque année près de chez lui (Camber Sands, Sussex).
Tarnation est tellement improbable, mais tellement bon ("radical" selon certains, voir l'article de J.B. Morain), il faut découvrir Jonathan, je sais pas comment, puisqu'en dehors de festivals éphémères, personne ne passe ses films. Tant pis, si vous aimez le cinéma, débrouillez-vous.
Bonne semaine, bons films.