Education. Roubaix a ouvert son école de la deuxième chance pour jeunes sans formation.
De notre correspondante à Lille HAYDÉE SABÉRAN - http://www.liberation.fr QUOTIDIEN : lundi 10 décembre 2007
«Combien de maisons avec un toit pointu, et de maisons avec deux cheminées ?» «Combien avec un œil- de-bœuf et pas de cheminée ?» Cinq filles, sept garçons, entre 18 et 25 ans, mâchonnent leur crayon sur un exercice d’attention, qui prépare aux tests d’embauche. Bienvenue à l’école de la deuxième chance (E2C), à Roubaix, inaugurée le 28 novembre par Edith Cresson, présidente de la fondation des E2C, et par Bruno Bonduelle, celui des petits pois, par ailleurs président de la chambre de commerce de Lille. Le but, relier jeunes chômeurs sans diplôme et employeurs. La règle : quatre semaines de cours, quatre de stage sur une période d’au moins six mois.
Quelques jours plus tôt, journée ordinaire. Rochane Kherbouche, formateur, passe entre les tables, supervise l’exercice sur les toits pointus. Ceux qui savent déjà le faire travaillent un quiz de culture générale. Une fille et un garçon, un peu perdus, s’agitent. La fille : «On n’a qu’à mettre n’importe quoi…» Le formateur : «Attention, il y en a qui risquent d’avoir zéro… Regarde bien, il suffit de bien lire la question.»La jeune fille le rappelle : «Rochane ! Rochane, j’peux plus, là.» Le formateur : «Il faut recommencer.» Elle : «Vous êtes sérieux ? Arrêtez, on a galéré !»
Parrainage. Ici, les 45 élèves s’appellent des stagiaires. Tous envoyés par la mission locale de Roubaix, et recrutés sur «motivation». Ils ont quitté l’école sans diplôme, ont pour la plupart grandi dans les quartiers populaires de Roubaix. Objectif, 70 % de réussite, c’est-à-dire l’emploi ou la formation qualifiante, comme dans les 28 autres écoles de France. L’idée : agir sur les entreprises comme sur les jeunes. D’un côté, on tente de faire cesser la discrimination - l’école est parrainée par la chambre de commerce, et Les 3 Suisses, Rabot-Dutilleul, la Redoute, le traiteur Lecocq ou EDF, entre autres, ont accepté de prendre des stagiaires. De l’autre, on forme les jeunes aux «codes des entreprises et de la société», comme dit Michèle Mathé, la directrice, qui parle de «savoir-être». «On est attendu au tournant, résume la directrice. Chacun porte la réputation de l’école.» Parler fort, avec des phrases courtes, hachées, ça aussi c’est discriminé. «On veut éviter qu’ils appellent une entreprise en disant : "Ho ! Vous avez des stages ?"» résume Rozenn Dault, responsable du volet «socialisation». «Saluer, ne pas couper la parole, ne pas s’affaler sur sa chaise pendant un entretien d’embauche, rester assis une journée, respecter le matériel, accepter un encadrement», précise Michèle Mathé. Les réfractaires sont exclus.
En plus de cours classiques, on pratique l’équitation, le tennis… Bientôt une visite à Paris pour découvrir les métiers de l’Opéra Bastille. On crée une buvette dans l’école, on voyage en Allemagne sur les traces de Bach. Quand ils sont prêts, les «stagiaires» peuvent partir en entreprise. En attendant, «on individualise au maximum» , explique Rosetta Colaccino, prof de français.
«Etre ici, c’est bon pour mon profil. Ça sera plus facile de trouver du travail, puisqu’ils sont en relation avec des entreprises», raconte Cédric, 19 ans, dans le tram qui l’emmène au centre équestre. Il a arrêté l’école en cinquième et a été orienté vers un CAP de cuisine qu’il n’a pas obtenu. Il est payé 340 euros par mois par le conseil régional et vit dans un foyer de jeunes travailleurs. «Si on est en retard, ou absent, on n’est pas payé.» Il n’a pas aimé l’école - mais celle-là, si. «Ils nous prennent en adultes. Au collège, les profs ne cherchaient pas à comprendre. Là, on peut discuter de ce qui nous intéresse. Et si on est nul, personne n’est là pour se moquer.»
«Pur-sang». Au centre équestre, ils sont tous débutants, à part certains qui ont fait un peu de poney en colo. Près des boxs, Majid rigole : «Celui-là, c’est un pur-sang, il vient du bled.» Karima et Hakim brossent un cheval : «Il a des pellicules, le pauvre.» «Il a des jambes, on dirait des jambes d’humain.» Un cheval s’agite. Un stagiaire recule, effrayé. Claire, animatrice du centre : «Ne te laisse pas faire. Il essaie de t’impressionner. Continue à le brosser.» Le stagiaire : «Ah ? Il bluffe ?» Fatah : «Je ne le sens pas aujourd’hui.»Un plot tombe dans les gradins, déclenche un bruit de tonnerre. Son cheval se cabre, Fatah tombe. Pas de dégâts. Claire : «Il faut remonter, on ne reste pas sur une chute.»