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L’accroissement de la puissance énergétique du Brésil

Publié le 10 juin 2010 par Infoguerre

Le Brésil tend à occuper une place centrale depuis une vingtaine d’années sur la scène régionale d’Amérique Latine, notamment d’un point de vue énergétique. L’envergure et la modernité économique représentent pour le « géant vert » le moyen d’accroître sa souveraineté dans le cadre des jeux d’influence qui ont lieu dans la région. Son poids, sa dimension et son ancienneté lui confèrent un statut à part dans le sous-continent américain. C’est donc assez naturellement qu’il a accédé à un leadership régional, le président brésilien Lula Da Silva souhaitant donner à son pays un rôle dominant dans le processus de régionalisation du continent sud-américain. Afin de mieux comprendre dans quelle logique se situe la stratégie de puissance du Brésil, il s’agit de se positionner dans le contexte d’intégration régionale voulue par les pays moteurs du développement régional, à l’image de l’Union des Nations Sud Américaines (Venezuela, Argentine, Bolivie…).

Le 6 août  2008, Lula Da Silva a effectué une tournée parmi cinq pays voisins afin de promouvoir une intégration économique du continent basée, sur le développement des biocarburants. Il a proposé au Mexique, au Honduras, au Nicaragua, à Panama et à la Jamaïque des accords de coopération dans le domaine de la production de l’éthanol, un biocarburant considéré comme une alternative au pétrole qui nécessite de grandes surfaces cultivables. Le président vénézuélien Hugo Chavez quant à lui, a réalisé une tournée parallèle avec pour objectif de proposer sa propre vision basée sur la sécurité énergétique et les hydrocarbures. Lula Da Silva relève le gant d’une alliance stratégique large où les intérêts bien compris de l’ensemble des pays d’Amérique Latine seraient censés coïncider avec les intérêts de chacun. On peut y voir un affrontement diplomatique au cours duquel les deux dirigeants les plus charismatiques d’Amérique Latine se livrent à un jeu d’influence afin de s’imposer comme leader. Dans ce contexte, le Brésil préfère une stratégie basée sur ses avancées technologiques et sur sa capacité à diversifier les sources d’énergie renouvelables dont il dispose en abondance.

La stratégie énergétique du « bioénergie »

Le Brésil a investi dans la promotion des biocarburants, comme le biodiesel et l’éthanol, pour compléter ses ressources limitées en pétrole et en gaz. Dans la perspective mondiale de remplacement du pétrole par des sources d’énergie « renouvelables » le Brésil se présente comme un leader de l’énergie d’origine agricole, en vertu des caractéristiques de son climat tropical, de l’étendue de ses terres cultivables et des ressources hydriques qu’il possède. C’est d’ailleurs ce dernier pays qui a accueilli en juin dernier le sommet mondial de l’éthanol organisé par l’Union de l’industrie brésilienne de la canne à sucre. Il est en effet le principal exportateur d’éthanol (à base de canne à sucre) et second producteur derrière les Etats-Unis qui le fabriquent à partir du maïs. La priorité est ainsi donnée à l’éthanol dans la politique étrangère du Brésil. Le but est de faire accéder ce produit au statut de « commodity », une matière première cotée sur le marché international. A cette fin, le gouvernement a lancé une politique volontariste à l’échelle internationale, illustrée par les nombreux accords multilatéraux signés dans le domaine (au nombre de 38 depuis 2005). C’est surtout avec le Mexique que le président brésilien a tenté un rapprochement. Considérant l’ALENA (Accord de Libre Echange Nord Américain) comme un obstacle à l’intégration du Mexique dans le marché sud-américain., Da Silva a mis sur la table son projet de création d’un marché mondial des biocarburants. Cette promotion de l’éthanol semble avoir une raison simple : malgré ses ressources abondantes, certains spécialistes estiment que le Brésil pourrait être en pénurie d’énergie d’ici quelques années. Cette pratique habile est aussi l’un des principaux facteurs de constitution et de renforcement de l’axe « Sud-Sud », mais aussi le moyen d’asseoir la suprématie du Brésil sur le reste des pays d’Amérique Latine. L’attention au biodiesel, quant à elle, est récente et consacrée par une loi de janvier 2005, autorisant d’une manière facultative, l’incorporation de 2% de biodiesel dans le diesel fossile, rendue obligatoire depuis le 1er janvier 2008. Cette stratégie est une manière de faire face aux variations du prix du pétrole et de promouvoir le biocarburant dans une logique d’indépendance vis-à-vis de ses voisins.  

Quelle souveraineté  énergétique ?

La souveraineté  énergétique passe par l’appropriation des ressources naturelles des pays proches, notamment à travers l’exemple de la production de  l’hydroélectricité. Doté d’un potentiel hydroélectrique estimé à 258 millions de kilowatts (le plus élevé du monde), le Brésil a également fait des investissements considérables dans la construction de barrages pour répondre à une demande en énergie caractéristique d’une économie à croissance rapide (la plus grande usine hydroélectrique est celle d’Itaipu à la frontière du Brésil et de l’Argentine). Au cœur du bassin amazonien, dans l’Etat de Rondonia, un gigantesque complexe hydroélectrique est en train de voir le jour depuis le début de l’année 2009. Le Brésil a pris l’initiative de mettre au centre de sa stratégie l’intégration physique, fondée sur l’exploitation du bassin amazonien par le biais de l’IIRSA (Initiative d’Intégration de l’Infrastructure Régionale en Amérique du Sud). Cette organisation, lancée sous la présidence brésilienne de Fernando Henrique Cadoso, développe de grands projets dans les domaines du transport, de l’énergie et de la communication par le biais de l’intégration économique. D’août à septembre 2006, lors de la campagne qui a conduit à la réélection de Lula, une vaste action politique brésilienne ayant l’appui du secteur privé, qui a impliqué entre autres le BNDES (Banque Nationale de Développement Economique et Social créée en 1952, elle met en œuvre des projets énergétiques et hydroélectriques très importants en Amazonie et en Equateur entre autre), a conduit à un consensus sur la nécessité de construire les centrales hydroélectriques de Jirau et de Santo Antonio sur le Rio Madeira, dans l’Etat de Rondonia. Ces centrales sont placées au centre du PAC (Plan d’accroissement de croissance mise en place par le gouvernement Lula (2007-2010) portant essentiellement sur l’infrastructure) et leur rôle est de produire de l’énergie, surtout pour les centres économiques les plus dynamiques et de rendre l’expansion possible des voies fluviales et d’alimenter les industries qui requièrent un grand volume d’énergie, comme la fabrique d’aluminium ALBRAS – Alunorte. Le Brésil mise en outre sur le Pérou pour qu’il lui apporte l’énergie dont il manque. C’est pourquoi le ministre brésilien du développement, de l’industrie et du commerce s’est rendu, en août dernier, dans ce pays afin de conclure pour la construction de cinq centrales hydroélectriques en coopération avec des entreprises brésiliennes, dont deux d’entre elles seront financées entièrement par la « Banque de Fomento du Brésil ». Alors que les Etats-Unis ont toujours voulu profiter des réserves d’énergie des pays d’Amérique Latine, aujourd’hui ce rôle est tenu par l’UNASUR, la stratégie du Brésil étant de s’affirmer comme puissance énergétique centrale par le biais de l’intégration économique. La politique énergétique du Brésil implique ainsi l’appropriation de ressources naturelles, qui se traduira par un accroissement de la pression sur les frontières agricoles et par une augmentation du prix des terres.  

Créer la dépendance des pays voisins

Le MERCOSUR avait pour première mission de renforcer la recherche d’autonomie économique et politique permettant d’amplifier le poids politique du Brésil. Par exemple, l’usine hydroélectrique d’Itaipu est une réponse à la demande en énergie de deux pays (le Brésil et le Paraguay), tout en les liants d’amitié par un projet commun. Ce barrage a permis au Paraguay d’amorcer son électrification.

Etre au cœur des jeux d’influence avec les autres pays d’Amérique Latine et capter leurs ressources énergétiques afin de contribuer à leur dépendance vis-à-vis de l’offre brésilienne sont des éléments qui nous permettent précisément d’analyser la stratégie de puissance du « géant vert ». Le choix de l’agro-énergie, en tant que nouvelle matrice énergétique « renouvelable » constitue le socle d’une stratégie d’accroissement de puissance, tout en renforçant le modèle de développement rural, axé sur les cultures industrielles pour l’exportation, et donc permettre au Brésil, par la même occasion, d’accéder à la souveraineté alimentaire.  
 

Marie-Anne Cervoni


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