Il y a quelques semaines, je me
suis abonné à votre club, le "Club Histoire".En effet, passionné d’histoire, j’ai décidé de passer
par votre intermédiaire pour de temps en temps me procurer quelques livres sur
des thèmes, des périodes, des personnages et des problématiques qui m’intéressent.
Quelle n’a pas été ma surprise de recevoir le dernier numéro de juin 2010 de
votre catalogue, et de trouver en deuxième et troisième pages de celui-ci une
offre commerciale pour deux ouvrages, de François Furet, «La Révolution Française» et de Nathalie Meyer-Sablé et de Christian le
Corre, «La Chouannerie et les Guerres de
Vendée», intitulée « Contre la
Révolution ». Ce courrier mensuel était accompagné d’un numéro spécial
du magazine «Historia», destiné à
susciter un abonnement, intitulé «France,
où sont nos racines», illustré par un tableau montrant le couronnement de
Clovis, et dont le premier article s’intitule «Louis XVI était un petit gros
médiocre – Idée reçue». Le citoyen-lecteur se trouve confronté à un tir croisé
qui vise «la Révolution». La Révolution ? Française, bien entendu. Or, la
République actuelle en est issue, bon an mal an. Ai-je lieu de m’en plaindre ?
Devrais-je regretter le régime, la royauté, de ce Louis XVI que l’article d’ «Historia» s’évertue à me présenter comme bon
et intelligent ? C’est qu’il est
curieux que cette France, dirigée par un
être si brillant, ait pu prendre de telles distances qu’avec lui, qu’un jour
des hommes l’aient accompagné place de la Concorde pour le guillotiner. Est-ce
donc que la Révolution ait eu sa peau, comme l’auraient voulu à tout prix les
Révolutionnaires ? Croire cela, c’est ne rien connaître à l’Histoire. La
majorité des dirigeants de la Révolution n’étaient pas très révolutionnaires,
et ne voulaient surtout pas porter atteinte à la personne et à l’aura du roi.
Mais ces grands bourgeois pour certains ne voulaient plus lui laisser et
laisser à ses amis de la noblesse les cordons de la bourse, qu’il gérait si
mal, malgré son génie personnel (dixit l’article d’ «Historia »). Sa
condamnation à mort, après son procès, est la conséquence tragique de cette
fuite arrêtée à Varennes. Sans cette fuite, sans les lettres retrouvées et dans
lesquelles les révolutionnaires ont pu lire la volonté royale de les écraser
par l’action sur le sol national des armées étrangères, ce Roi serait resté roi
et aurait conservé un pouvoir semblable à celui du roi ou de la reine d’Angleterre.
Mais l’absolutisme royal français l’a traversé et l’a conduit à cette démesure
que les Grecs connaissaient et stigmatisaient dans la figure de l’hégemon et du
tyran. Mais au-delà de cette discussion sur la personne, le physique et l’intelligence
propres à Louis XVI, il me semble légitime d’interroger la certitude qui est
exprimée autant par votre catalogue que par l’édition spéciale du magazine «Historia»,
à savoir la bonté royale :«Soucieux
du bien être de son peuple» est-il écrit dans cet article « Louis XVI
était un petit gros médiocre». Sur quels éléments peut-on se fonder pour penser
cette « bonté » ? Comment comprendre que ce roi si bon ait été
si abandonné par son peuple au moment fatidique ? Parce que le roi «bon»
dirigeait un peuple «mauvais» ? Que connaissait ce roi de son peuple ?
L’article égrène les acquis de sa formation scolaire. Louis XVI était cultivé,
bien, mais que connaissait-il au peuple de France ? Combien de voyages a-t-il
fait dans son royaume ? Louis XIV a fait construire un véritable piège
pour la noblesse et finalement pour la royauté elle-même : le château de
Versailles. Il s’agissait de mettre le peuple (de Paris) à des kilomètres, la
conséquence a été de mettre la royauté à des années-lumière des yeux et du cœur
du peuple. Dans cet éloignement, le roi n’a pas compris à quel point des
réformes, réelles, structurelles, étaient nécessaires, et que la plupart
concernaient la noblesse et le clergé, qui ont été dans cette situation si
conservateurs. Contre cette minorité si puissante, il fallait de la volonté. Il
n’en eut pas assez. Contre les faibles, on sait à quel point le pouvoir
politique a toujours été «dur», terrible. Et que dire des esclaves dans les
possessions françaises ? Bref, ce Roi a travaillé à sa perte d’une manière
remarquable, et, j’ai beau cherché, j’ai bien du mal à nourrir une colonne qui
lui soit favorable par des décisions ou des actions significatives. La
présentation de l’ouvrage «La Chouannerie et les Guerres de Vendée» semble très
neutre, mais le titre de la page est pourtant très clair : «Contre la
Révolution». Or on sait que concernant cette rébellion d’une partie de la
population française contre la direction parisienne de la Révolution, celle-ci
fait l’objet d’un culte de la part des ennemis classiques de la Révolution, à
commencer par des descendants de la noblesse. Qu’ils aient des convictions est
leur droit. Que des ouvrages existent qui puissent alimenter et justifier ces
convictions est aussi le droit des auteurs et de ces lecteurs. Mais qu’une
entreprise commerciale s’adresse à ses clients en faisant la promotion d’une
idéologie aussi clairement contre-révolutionnaire n’est à mon sens pas
légitime. C’est à chacun de se faire son opinion par ses lectures, grâce au
support des livres qu’il peut se procurer chez vous. En tant que client,
citoyen de cette République, je n’apprécie pas que vous vous adressiez à moi et
à vos autres clients en faisant la promotion d’une idéologie qui est si
contraire à l’Histoire et aux principes de la France actuelle. Dans le magazine
«Historia» qui accompagne votre catalogue, on trouve un article « Etre
français, c’est ringard» qui entend pointer les mauvais «Français» qui se
moqueraient de leur «identité nationale». Ce petit article cumule des sommets
dans le ridicule. Il commence par affirmer que «la Résistance française durant
la Seconde Guerre Mondiale semble bien être le dernier symbole de l’unité
nationale». Cette phrase suscite le vertige. Car y a-t-il une époque dans les
100 dernières années qui ait incarné le plus possible la division entre les
Français, entre des collaborateurs zélés du nazisme, une minorité résistante,
constituée par toutes les parties de l’échiquier politique français mais
dominée par les partis et les mouvements de gauche, et une majorité qui était à
priori hostile au nazisme et à la collaboration, et qui oeuvra surtout pour sa
survie… ? ! Or, s’il y eut une telle division, c’est parce qu’une
partie des Français, à savoir les hommes et les femmes de l’extrême-droite
politique et économique, méprisaient et mettaient en cause, au nom d’une
identité qu’ils jugeaient si peu «ringarde» ces Français qui ne l’étaient pas
assez ou pas du tout à leurs yeux, et pour cela, ils ont osé s’associer avec
des Nazis allemands qui oeuvraient chaque jour à la destruction programmée de
la France, avant l’élimination industrielle des Français dans les camps, s’ils
avaient remporté la victoire. La vie et l’Histoire adorent les paradoxes :
les prétendus meilleurs «patriotes» furent des traîtres, comme ce Maurras qui
sera condamné à «l’indignité nationale». Ensuite, dans cet article, l’auteur
prétend que les jeunes français ne se sentent pas français. Par mon métier, d’enseignant,
je suis au contact de ces jeunes adultes (entre 16 et 20 ans) et s’ils ne se
sentent pas spécialement français, c’est qu’ils se savent être français, par la
langue qu’ils parlent, par leurs cultures, locales, nationales, par leurs
références. Pour qui donc cette identité française fait obsession ? Pour
cette extrême-droite qui pourtant a tant trahi les Français dans leur Histoire. (...) Je m’engage à faire connaître votre réponse et
vous invite d’avance à ne pas me menacer d’une action juridique, car je ne
céderai pas dans la diffusion de cette lettre qui est seulement basée sur des
constats, des questions et une analyse critique.