Entre deux finales de championnat (NHL, NBA), le petit monde du sport professionnel nord-américain s’est passionné pour les grands débuts dans les Ligues Majeures d’un phénomène, Stephen Strasburg.
Risée de la Ligue depuis des années, les Nationals vont-ils devenir une équipe qui gagne avec leur prodige ?
Un prodige.
Né le 20 juillet 1988 à San Diego, Stephen Strasburg a vécu le baseball à l’ombre des Padres. Assez vite, dans ses années lycéennes, le jeune lanceur Stephen apparaît comme un phénomène. Cependant, il apparaît trop nerveux et trop lourd (115 kg contre une centaine officiellement aujourd’hui pour 1,95 m).
Pourtant, il fait partie à 20 ans de l’équipe américaine olympique et lance en demi-finale contre lz redoutable équipe de Cuba et se voit crédité de la défaite. Les Etats-Unis, dont l’équipe est surtout composée de joueurs des ligues mineures, décroche la médaille de bronze. Strasburg se voit attribuer la victoire.
Au sein de l’équipe universitaire de San Diego, Strasburg réalise des prodiges qui le mettent sous les projecteurs des scouts de la MLB. Il réalise 4 matches complet dont deux blanchissages en 2008 et en mai 2009, il réalise un match sans point ni coup sûr.
Avec des performances peu communes au niveau collégial (13 victoires, 1 défaites, une moyenne de points à 1,59 et 195 retraits sur prise en 109 manches), il est le grand favori pour être drafté en première place par les Nationals de Washington, ce qui est fait le 8 juin 2009.
Après le repêchage, les joueurs et leur formation ont deux mois pour s’entendre. Strasburg est représenté par le vorace Scott Boras, l’agent le plus influent du baseball majeur. Le 17 août, les Nationals lui accordent un contrat de 15 millions de $ sur 4 ans, le plus gros contrat jamais accordé à un joueur repêché.
Trop fort pour les ligues mineures.
Strasburg est réputé pour la vitesse de sa balle rapide (plus de 165 km/h en pointe) mais sa balle plongeante (sinker) et sa rapide change up (balle à changement de vitesse qui donne l’impression de plonger car la vitesse de la balle ralentit brusquement) sont très redoutées aussi. Enfin sa balle courbe (curve) fait très mal et est une arme terrible notamment pour aller chercher la troisième prise (strike).
Il est évoqué que Strasburg pourrait intégrer les Majeures dès septembre 2009 mais les Nationals sont très prudents avec leur pépite. Il n’est pas question de brusquer les choses. La franchise, qui n’est arrivée à rien depuis son arrivée de Montréal en 2005, sait que Strasburg peut incarner la renaissance d’une formation moribonde et régulièrement raillée. Il faut prendre le temps. D’autre part, un joueur drafté n’intègre jamais les Majeures dans la saison où il est repêché (il faut signer le contrat et la saison est déjà bien engagée). C’est très rare qu’un drafté intègre les Majeures la saison suivante, le dernier cas remonte à Evan Longoria (Rays de Tampa Bay) en 2008 (Il a été élu rookie de l’année et a contribué au championnat de la Ligue Américaine des Rays en étant arrivé 3 semaines après le début de la saison). Il faut normalement plusieurs années pour se développer et arriver à la grande ligue, si on y arrive car 95%, au moins, des draftés ne jouent jamais dans les Majeures.
A l’automne 2009, Strasburg joue dans l’Arizona Fall League avec l’équipe affiliée aux Nationals, les Phoenix Desert Dogs. Il est élu joueur de la semaine et aussi dans l’équipe-type des prospects.
Désormais, tout le monde n’attend qu’une chose. La date d’entrée de Strasburg dans les majeures. Celui-ci est convié au camp d’entrainement des Nationals en mars et montre encore sa supériorité. Mais les Nationals préfèrent l’envoyer dans l’équipe AA d’Harrisburg pour qu’il se familiarise avec des frappeurs d’un calibre supérieur à ceux qu’il a affrontés. Toutefois, la direction annonce que Strasburg devrait intégrer l’équipe majeure au mois de juin si tout va bien.
Dans la ligue AA, Strasburg est tout de suite dominant. En 5 parties, il affiche 3 victoires, 1 défaite mais surtout une ERA à 1,64 points, retirant 27 frappeurs en 22 manches pour 13 coups sûrs accordés (les frappeurs ont frappé pour 0.165 contre lui). Le 4 mai, les Nationals l’envoient dans l’équipe AAA des Chiefs de Syracuse, au niveau supérieur, l’antichambre des Ligues Majeures.
L’attente et la curiosité sont telles que 13000 personnes assistent à son premier départ. Strasburg est tout aussi dominateur qu’en AA. En 6 parties, il n’accorde que 5 points (4 mérités) en 33 manches (4 victoires, 1 défaites, une ERA à 1,08). Dans sa « plus mauvaise sortie », il accorde 3 points. Mais les frappeurs au niveau AAA ne sont plus assez forts pour lui. Les Nationals annoncent que Strasburg lancera dans les majeures le 8 juin, soit un exactement an après son repêchage. Tout le monde attend ça en Amérique du Nord. Même la radio francophone Quebec800, qui retransmet les matches des Capitales de Québec, donne des nouvelles du match de Strasburg pendant la diffusion de la rencontre.
Le match.
L’adversaire des Nationals mardi soir est l’équipe des Pirates de Pittsburgh, une des plus faibles de la Ligue Nationale. Un bon test pour s’habituer au niveau des majeures.
Les « fans » des Nationals sont présents. Le superbe Nationals Park fait le plein, pour la deuxième fois seulement de la saison, après le match d’ouverture contre les Phillies de Philadelphie et le lancer protocolaire du président Obama (fan des White Sox de Chicago en passant).
Le commentateur du match est sans équivoque. Pour lui une nouvelle ère a commencé pour les Nationals, rien de moins.
Stephen Strasburg quitte le terrain à la fin de la 7ème manche. La route vers la gloire est déjà tracée pour le jeune lanceur des Nationals. Et derrière, toute une foule de supporters est prête à revenir au Nationals Park pour lui. (Getty Image)
Strasburg est un peu nerveux au début du match semble-t-il : il ne trouve pas la zone des prises contre les deux premiers frappeurs même si ceux-ci sont éliminés. Par contre, son premier strike en carrière se fait contre Lasting Milledge et celui-ci est retiré sur prise (strike out).
Tout se passe bien pour Strasburg puisque Ryan Zimmerman, autre grand espoir maintenant confirmé, claque un circuit en première manche (1-0 Nationals). Mais le match est un duel de lanceurs entre Strasburg et Jeff Karstens, un lanceur beaucoup moins réputé qui s’est formé chez les Yankees de New York.
Strasburg accorde un premier coup sûr en carrière à Andy LaRoche en deuxième mais le show du Californien est déjà bien engagé. Les trois autres frappeurs des Pirates sont retirés sur prise. En troisième, Strasburg retire deux autres pirates sur strikeouts : il en compte déjà six.
La quatrième manche est le premier moment difficile pour le jeune génie. Il accorde deux simples aux Pirates mais un double jeu élimine deux joueurs des Pirates. Sur l’action suivante, Delwyn Young envoie le tir de Strasburg loin au champ droit. C’est un home run pour deux points des Pirates (2-1). La passion pour Strasburg est telle que le spectateur qui attrape la balle préfère la jeter sur le terrain plutôt que la conserver précieusement comme fait tout amateur. Mais ce qu’on ne sait pas, c’est que la frappe de Young est le dernier coup sûr réussi par un Pirate contre Strasburg.
En effet, tous les autres frappeurs sont éliminés les uns après les autres. Sur les neuf qu’il affronte, Strasburg en retire huit sur prises, dont les sept derniers avant de laisser sa place à Tyler Clippard. Au final, ce sont quatorze frappeurs de Pittsburgh qui ont été victimes du lanceur n°37. Tous les frappeurs de l’alignement ont été retirés au moins une fois par Strasburg, qui n’a accordé que quatre coups sûrs et aucun but sur balles, fait particulièrement remarquable pour un lanceur au style agressif comme lui. Après la septième manche, Strasburg quitte après 94 lancers. Son manager Jim Riggleman est très prudent encore une fois. Il ne s’agit pas de griller sa vedette mais de le faire monter en puissance, un peu comme une voiture en rôdage. Il aurait sans doute pu lancer une manche supplémentaire mais il ne faut pas risquer la blessure ou la fatigue du bras, surtout à la vitesse où la balle est lancée.
Avant son départ, les Nationals ont eu la bonne idée de frapper dur en 6ème manche. Adam Dunn pour deux points et Josh Willingham juste après, frappent leur circuit et donnent une avance de 4-2 aux Nationals. Quant à Strasburg, il n’a aucun coup sûr en deux présences au bâton.
En huitième, les Nationals se contentent d’un point supplémentaire malgré les buts remplis mais Tyler Clippard et Matt Capps -les deux meilleurs releveurs de l’équipe- préservent l’avantage des Nationals. Capps réussit un 19ème sauvetage cette saison, le meilleur total des majeures. Washington gagne 5-2.
La prestation de Strasburg est évidemment remarquable. Son total de 14 strikeouts est le plus élevé pour un premier match pour un lanceur depuis 1971 (J.R. Richard avec les Astros de Houston). Ce qui impressionne un peu plus c’est qu’il n’a jamais accordé de buts sur balles, le risque pour tout lanceur visant les limites de la zone des prises.
Le ciel est-il sa limite ?
Étant donné ses disponibilités, étant donné aussi l’évolution du jeu cette année où les lanceurs dominent les frappeurs, Strasburg est un candidat naturel pour être élu rookie de l’année, bien que le joueur des Braves Jayson Heyward (Espoir n°1 devant Strasburg avant la saison) ait une bonne longueur d’avance.
Son jeune âge lui permet d’avoir de grands espoirs pour briser quelques grandes marques. La plus difficile sera certainement de remporter 300 victoires en carrière. Mais il risque bien de collectionner les Cy Young, trophées récompensant le meilleur lanceur, concurrençant l’autre prodige des Giants de San Francisco, Tim Lincecum.
On ne connaît pas ses limites mais ce qui est clair, c’est que les Nationals espèrent qu’il relancera la franchise comme l’ont fait dans leur sport et leur franchise respectives, un Sidney Crosby et un LeBron James. Mais il ne peut faire gagner l’équipe à lui seul : c’est un lanceur partant qui n’officie que tous les cinq matches. Pour que Washington devienne une puissance de la MLB, il faut d’autres noms et les Nationals en ont déjà quelques-uns : Ryan Zimmerman, Josh Willingham, Adam Dunn, Ian Desmond ou encore Christian Guzman. De quoi constituer une bonne base mais il faudra plus.
Le phénomène Strasburg est aussi évidemment médiatique et plus tard commercial. Déjà les billets s’arrachent pour aller le voir. Ainsi, son deuxième départ est prévu dimanche à Cleveland pour affronter les Indians (Je sais, je le place mais c’est la vérité en plus). Là encore l’opposition ne risque pas de lui poser trop de problèmes quand on connaît la puissance offensive de l’adversaire (Parole d’expert). Malgré tout, le match de dimanche risque bien de connaître une hausse tout à fait exceptionnelle de l’affluence au Progressive Field : déjà 4000 billets supplémentaires ont été vendus la semaine dernière, 1400 mardi soir et 1000 autres mercredi matin. Cela fait déjà 40% de plus que l’affluence moyenne depuis le début de la saison, ce qui n’est pas mal surtout pour un dimanche midi.
Cependant Strasburg est encore très perfectible. Sa rapide est énorme mais elle peut servir d’appui aux gros frappeurs pour renvoyer la balle dans les gradins. De fait, Strasburg peut être fragile contre les claqueurs de home runs. Il faut donc travailler l’effet, faire « bouger la balle » comme on dit, c’est-à-dire de ne pas donner une trajectoire trop linéaire, trop facilement lisible. Mais la courbe est déjà bien rôdée. La force de Strasburg résidera dans la variété de ses tirs et dans la précision, comme il l’a démontré mardi soir.
Le jeune lanceur devra aussi apprendre à frapper. Dans la Ligue Nationale, le lanceur frappe et même si ce n’est pas la première chose qu’on lui demande, il lui faudra aussi travailler ce domaine pour que l’attaque ne joue pas systématiquement à huit. Mais tant qu’il domine au monticule, ce n’est pas un problème.
Enfin la question portera aussi sur sa résistance avec le temps. Strasburg ne lancera pas toujours des balles aussi rapides, surtout qu’il est une exception parmi les partants (des releveurs ont des lancers de cette vitesse mais ils sont moins endurants). Il devra à la fois économiser sa force et diversifier ses lancers, comme l’avait fait un Greg Maddux qui n’était pas un grand lanceur en vitesse mais un formidable lanceur dans la variété des tirs qu’il présentait. Et puis aussi éviter cette terrible opération Tommy John, le cauchemar du lanceur (Il s’agit de remplacer le ligament du coude, ce qui éloigne le lanceur pendant au moins un an). Mais ça, on n’y peut rien sauf à économiser son bras.
Un nouveau prodige.
Le plus dont j’ai parlé plus haut, pourrait bien s’appeler Bryce Harper. Le natif de Las Vegas, âgé de 17 ans, vient d’être repêché lui aussi en première position par les Nationals. Évoluant au poste de receveur ou au champ extérieur, Harper a affiché des statistiques ahurissantes au niveau collégial : en 66 matches avec l’université de Southern Nevada, il a frappé 31 circuits et présenté une moyenne de 0.443 ( 44,3% de ses présences officielles se sont terminées par un coup en lieu sûr). Sa puissance lui a permis de frapper à 550 pieds (166 mètres) alors que la profondeur du champ centre d’un terrain de baseball (la plus longue distance du marbre) atteint environ 120 mètres. Harper devrait jouer au champ extérieur car les Nationals ont l’intention de le faire jouer le plus rapidement possible au niveau des Ligues Majeures. Il était déjà suivi depuis un petit moment comme l’illustre la Une de Sports Illustrated.
Sports Illustrated ne fait pas dans la demi-mesure. Bryce Harper est tout simplement le "Chose One", l'élu comparé à LeBron James, le looser des Caves de Cleveland. Avec Strasburg aura-t-on la paire qui fera gagner les Nationals dans quelques années ?
En tout cas, sur les perspectives, l’avenir s’annonce plus clair dans l’Est grâce à Strasburg mais on est encore loin d’avoir une belle éclaircie.