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La passerelle – Lorrie Moore

Par Livraire @livraire

Éditions de l’Olivier
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Laetitia Devaux
Titre original : A Gate at the Stairs
ISBN :
978-2-87929-675-3

passerelleQuatrième de couverture :
Tassie Keltjin est une vraie  » country girl « .
Elevée dans une ferme du Midwest, elle sait à peine ce qu’est un taxi et n’a jamais franchi les portes d’un restaurant chinois. Lorsqu’elle s’installe en ville pour ses études, elle plonge avec euphorie dans ce tourbillon de nouveautés : le campus, les cinémas, les longues discussions entre amis… Elle a vingt ans et tout à découvrir. Pour arrondir ses fins de mois, elle trouve un emploi de baby-sitter dans une famille atypique.
Sarah dirige un restaurant à la mode; Ed a les cheveux longs, bien qu’il frôle la cinquantaine. Ils ont adopté une petite fille métisse, Mary-Emma. Rapidement, le tableau idyllique se décompose. Le couple est de plus en plus étrange et la couleur de peau de l’enfant confronte chaque jour Tassie au racisme ordinaire. Avec une vivacité d’esprit proche de Grace Paley, Lorrie Moore dresse le portrait d’une jeune femme et de ses grandes espérances.
Mais derrière l’ironie qui vise juste, c’est aussi un livre bouleversant sur la fragilité des apparences et sur une Amérique en plein désenchantement.

Mon avis :
La lecture de La Passerelle n’est pas sans m’avoir évoquée un autre roman que je n’avais pas chroniqué : Mathilda Savitch¹.  Les deux jeunes filles au centre de ces romans présentent un certain nombre de points communs, à commencer par celui d’être américaine, et si ce détail paraît beaucoup trop général et facile pour en être un, il n’en est rien. Les deux romans se déroulent à une dizaine d’années d’intervalles.
La Passerelle
vers 2003, Mathilda Savitch vers 2007 et dans ces deux romans, on retrouve les traces que le 11-septembre puis la guerre ont laissés, vues par des adolescentes. La première déjà presque adulte au moment des faits, la seconde encore enfant qui a grandi « dans l’Amérique des minutes de silence ».

a-gate-at-the-stairs

Couverture de l'édition originale (hardcover)

Pour autant, ce ne sont pas deux romans de plus sur cette question, plutôt une sorte de littérature de la transition, qui présente des personnages ayant grandis, vécus avec ces évènements et continué, avec plus ou moins de facilités, plus ou moins marqués -c’est surtout vrai pour l’une des deux- parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire. Quoi que vous fassiez, la vie continue, le train ne s’arrête pas pour vous laisser descendre, alors autant s’accrocher pour ne pas glisser du marche-pieds et graver chaque détail des paysages traversés dans votre mémoire.

Le monde et son fonctionnement ont changé, et même si les récits d’adolescences, des romans d’apprentissages pourrait-on même dire, continuent de conserver une certaine universalité, notamment autour de thèmes centraux comme la difficulté d’être soi, les ruptures plus ou moins délicates avec la famille, l’amour et ses tourments, le fait de trouver sa place parmi les autres, il y a des questions qui ne se posaient pas, ou alors différemment, il y a seulement vingt ans. Le fait que ces questions commencent à être évoquées, mises en scène dans des romans pouvant s’adresser aussi bien à des adultes qu’à des adolescents de dix-sept, dix-huit ans et sans pour autant en faire le thème principal du récit montre que, cela aussi, la littérature peut l’assimiler, l’exorciser, participant ainsi à la marche du train vers autre chose, ailleurs.

Tassie Keltjin a beau être une « country girl » pour reprendre les termes du quatrième de couverture, elle n’en est pas stupide pour autant. Son personnage possède, certes, un forme de naïveté qui n’est pas dépourvue de charme mais elle ne se réduit pas à ce seul trait de caractère.
La peinture du Midwest est plus nuancée que le portrait que l’on en fait habituellement : les descriptions qu’en fait Lorrie Moore ne sont pas dépourvues d’un humour décapant et de comparaisons étranges où cohabitent parfois des éléments surprenants.

L’année précédente, j’avais assisté au mariage d’une amie, Marianne Sturch. Elle portait une robe pailletée sans bretelles et avait affublé ses demoiselles d’honneur de robes à fleurs de couleurs vives, parfaites pour un rôle de bergère dans un film porno : avec un bustier dont les lacets allaient de la poitrine au ventre. «Ce que Scarlett O’Hara aurait pu faire avec un rideau de douche, si elle avait voulu se taper le plombier», avait déclaré ma mère, qui percevait la laideur intense de la robe, malgré le brouillard de sa mauvaise vue. Nous portions des chaussures en cuir blanc, que Marianne écrivait « cuir very table », mais je n’ai jamais su si elle le faisait exprès. Ce n’était pas simplement sa tenue, mais toute la cérémonie dans une salle de l’hôtel Ramada qui semblait sordide et embarrassante.
p.80

Mais le plus surprenant, le plus abouti et le plus déconcertant, c’est sans doute l’étrange famille que forme Sarah, Edward et leur fille adoptive, Mary-Emma, à laquelle Tassie s’attache énormément, s’intégrant petit à petit dans leurs vies respectives à la manière d’un satellite, à la fois si loin et si proche, dont on suit longtemps des yeux la petite lumière clignotante.

La peinture du racisme tristement ordinaire et brutal et des relations Noirs/Blancs tels que le roman les décrit soulèvent un certains nombre de questionnements qui ne sont que plus accentués par les descriptions des réunions que Sarah met en place. Il n’y a aucune réponse, aucune solution. Seulement des interrogations qui renvoient au monde d’aujourd’hui et à son fonctionnement.

S’il fallait n’utiliser qu’un seul mot pour résumer La Passerelle, je réutiliserais le terme « étrange ». L’histoire et son écriture simple, fonctionnant sur des images tantôt frappantes tantôt mélancoliques et empruntant beaucoup à la nature, laisse une impression de décalage qui persiste longtemps après la fin de cette lecture.

¹Mathilda Savitch, Victor Lodato, Liana Levi, 2009


Classé dans :américaine, Littérature Tagged: Adolescence, adoption, guerre, Littérature américaine, midwest, racisme, transition


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