Scream 1 et 2. (de Wes Craven)
Slasher Revival.
Lorsque sort Scream sur les écrans en 1996, personne ne s'attend au succès que le film va rencontrer. En effet, le slasher est à ce moment là un genre pudibond. Ayant connu ses heures de gloire dans les années 80, il n'a pas survécu à la décennie, malgré la multiplication des suites données aux fers de lances: Jason Voorhees, Mickaël Myers et Freddy Kruger. D'ailleurs ces suites à répétition dont la qualité diminue à chaque fois que le chiffre derrière le titre augmente sont à l'origine de cette décadence, tant la lassitude devenait de plus en plus grande. Mais heureusement, Craven n'a pas fini de vous faire crier...
Il n'est pas étonnant que Wes Craven est été séduit par le scénario de Kévin Williamson. Lui même ayant déjà, avec Freddy sort de la nuit, expérimenté la mise en abyme. Tout dans ce diptyque (j'omettrai volontairement l'inutile Scream 3) suit de manière cohérente le même schéma: le slasher est mort mais les fans sont toujours là. Il est donc question de rendre hommage à leurs films de prédilection tout en les réinventant. On navigue donc entre testament et renaissance. Ces deux films regardent avec amusement le genre (et invite le spectateur à en faire autant) et lui donnent la nouvelle direction dont il avait besoin. Ce qui a fonctionné car une nouvelle catégorie est née: le néo-slasher, qui a vu naître de nombreux films les années suivantes (Souviens toi..., Urban Legend, Jason X). Hélas, aucun de ceux là n'a égalé ces modèles de suspense. Ce qui en fait les seuls représentants d'un genre mort-né.
L'histoire.
Woodsboro. Petite ville tranquille. Deux étudiants sont sauvagement massacrés à l'arme blanche. La ville est en émoi. Les lycéens sont choqués et excités par ces meurtres mais rien ne bouscule leur routine basée sur le sexe et l'alcool. Sydney Prescott (Neve Campbell) est une jeune fille perturbée par le meurtre de sa mère survenu un an plus tôt. Elle comprend très vite qu'elle est la cible du tueur. Les suspects et les cadavres se multiplient jusqu'à l'acte final, un bain de sang.
Deuxième film. Université de Windsor. Sydney et les autres survivants essaient de se reconstruire après les évènements tragiques du premier opus. Mais le film Stab sort sur les écrans et rappelle aux protagonistes leur triste passé. En effet, dans la salle de cinéma, deux jeunes gens se font assassiner. Le cauchemar recommence.
Claustrophobes s'abstenir.
Une des réussites des films se situe au niveau de l'ambiance. Bien que les mécanismes soient éculés, le suspense est bien présent. Rien que la scène d'introduction du premier film est une franche réussite. Et plus l'espace se rétrécit plus Craven devient puissant. Il n'y a qu'à regarder la scène du garage ou celle du cinéma. La pression monte, la caméra se promène, le tueur s'amuse avec sa victime puis le sang coule. Le réalisateur réussit le pari d'allier le suspense, l'humour et la subtilité. Le tout dans un slasher. Ce qui est loin d'être négligeable.
Vibrant testament.
Comme je l'ai déjà évoqué, la réussite totale du film est ce numéro d'équilibriste constant entre hommage et renaissance. Je vais commencer par m'intéresser à l'hommage, que l'on peut qualifier de testament du slasher. Sorte de pot pourri de tout ce qui fait l'identité du genre, ces deux films en recyclent tous les codes. De la petite communauté, à l'héroïne vierge et tourmentée par un passé qu'elle préfèrerait oublier, en passant par les jeunes qui ne pensent qu'à se saouler et à s'envoyer en l'air, tout y est. C'est non sans un certain humour que le réalisateur s'en amuse. Il n'y a qu'à regarder les tueurs qui se téléportent et ne meurent jamais. Il y a cette connivence entre le spectateur et Craven. Tout le monde sait ce qu'il va se passer et les spécialistes du genre seront ravis de deviner la suite et de remarquer l'amour que porte le réalisateur à leur genre préféré. Mais ce n'est pas tout. L'hommage ne se limite pas à retranscrire les codes. En effet, il place également des références à chaque instant. Il rappelle les gloires du passé comme si il s'agissait d'un enterrement. En faisant de ses tueurs des passionnés de cinéma, il s'autorise toutes les références. Tous les succès des années 80 sont évoqués. Pelle-mêle nous retrouvons: Halloween de Carpenter (le petit copain de Sydney se prénomme Loomis, tout comme le psychiatre qui chasse Mickaël Myers et les adolescents le regardent à la télé ce qui permet un génial jeu de miroir), Prom Night, Psychose d'Hitchcock, Vendredi 13 (le questionnaire fatal dans la scène d'introduction du premier film et le tueur du deuxième opus qui rappelle celui du tout premier épisode des péripéties du tueur au masque de hockey), la saga des Freddy du même Craven (dans le premier film, le réalisateur lui-même joue le concierge de l'école qui est vêtu comme le célèbre croque-mitaine). Toutes ces références montrent un profond respect pour le genre et ses fans. Un hommage funèbre en quelque sorte. Un moyen de tourner la page et d'insuffler un peu de nouveauté.
Mise en abyme.
Le slasher avait besoin d'une nouvelle direction. C'est exactement ce que Craven lui a offert. C'est un truisme de rappeler que ce genre est cantonné à des codes et à des répétitions immuables. Il fonctionne comme cela. Pour s'en convaincre, il suffit de lire le dossier que j'ai réalisé sur Vendredi 13 . Alors plutôt que de jouer sur la même partition, Craven a préféré reprendre les codes et s'en amuser. Sur le ton de l'ironie, voir de la parodie, il a impliqué le spectateur en le faisant réfléchir sur le genre. Pour ce faire, il a décidé que ses tueurs seraient adeptes de films d'horreur et que tous ses personnages, qui ont grandi dans les années 80, connaîtraient les codes sur les bouts des doigts. Le personnage de Randy (Jamie Kennedy) en est le garant. Il est le lien entre le réalisateur et son public. Travaillant dans un vidéo club, il connaît tout par cœur. C'est donc lui qui rappelle les règles de survie dans ce genre de films (virginité et sobriété) à l'assemblée médusée du premier opus et c'est lui également qui réalise le bilan des suspects dans le deuxième opus. En implantant son film dans la réalité, il adopte un processus de mise en abyme. Ainsi, Sydney critiquera les slashers et les nunuches qui les peuplent, les qualifiant de trop stupides pour quitter la maison et préférant aller s'enfermer à l'étage. Ce qu'elle fera évidemment vingt secondes plus tard. Cet exercice permet de réfléchir sur le genre, d'en montrer les forces et les faiblesses.
Le deuxième opus persévère dans cette voie et l'emmène même plus loin. En effet, en adoptant l'idée du film dans le film, Craven peut réfléchir aux effets du genre horrifique sur la jeunesse. Le premier opus a en effet relancé le débat de la violence au cinéma en mettant en scène des jeunes dont l'esprit était embrumé par ce genre de film (ce n'est pas pour rien qu'un des tueurs est mis à mort par une télévision) et après que plusieurs faits divers sordides aient défrayé la chronique. Des adolescents perturbés ont commis des meurtres en se déguisant comme les tueurs des films. Ce débat n'est pas neuf et il est certainement réducteur de considérer les longs métrages comme seuls responsables. En tout cas, il s'est servi du deuxième opus pour sa défense en mettant en scène un psychopathe qui cherche à accuser le cinéma de tous ses maux et en montrant bien que ce n'est pas aussi simple. Car si la sortie du film Stab coïncide avec la reprise des meurtres, les mobiles des tueurs n'ont aucun rapport avec ce dernier. Tout au plus, il sert de déclencheur. Un sacré pied de nez à la censure.
Au final, ce diptyque horrifique n'est pas aussi stupide qu'il en a l'air. Craven ouvrait le slasher à un nouvel horizon (qui hélas sera mal interprété) tout en réfléchissant sur l'effet des films d'épouvante pour la jeunesse de son époque (en cela, le message reste actuel). Essentiel pour les slasherophiles et les amateurs de suspense bien troussé.
Note: